Après que les six ministres sunnites de la Rencontre consultative ont refusé samedi de se voir représentés par Jawad Adra au sein du gouvernement qui devait incessamment voir le jour, le processus de la formation du cabinet semble être à nouveau gelé. D’autant qu’au-delà des tiraillements autour des quotes-parts et portefeuilles basés sur le poids des communautés et des formations politiques, le président de la République Michel Aoun a dénoncé mardi une certaine volonté de « créer de nouvelles coutumes » à travers la violation des lois constitutionnelles applicables à la formation du gouvernement.
« Certains tentent de créer de nouvelles coutumes dans le processus de formation du gouvernement », a lancé M. Aoun, au terme d’un entretien avec le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, à l’occasion de la messe de Noël à Bkerké. Sans désigner les auteurs de cette tentative de changer les règles en vigueur, le chef de l’État a précisé qu’« on a besoin d’un certain temps pour trouver des solutions », appelant les Libanais à « prier pour que les obstacles soient aplanis ».
Quelle serait cette faille secrète à laquelle fait allusion le chef de l’État, et qui risque, à entendre ses propos, de perdurer ? Interrogée par L’Orient-Le Jour, une source politique affirme que « le message présidentiel évoque visiblement l’immixtion du Hezbollah dans la formation du cabinet, une pratique qui transgresse la Constitution selon laquelle le Premier ministre désigné et le président de la République ont seuls la charge de former le gouvernement ». « Le Hezbollah veut être partenaire dans cette décision, alors que selon la loi, il ne peut exprimer sa confiance ou son opposition à l'égard du gouvernement que dans l’hémicycle parlementaire », note cette source.
Emboîtant le pas au président Aoun, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a regretté hier, devant une délégation du Centre maronite de documentation et de recherche, que « les règles constitutionnelles ne soient pas appliquées ». Le patriarche a réitéré à cette occasion sa demande d’un « gouvernement réduit et neutre, composé de technocrates qui œuvrent à faciliter la marche des affaires de l’État, à charge pour les hommes politiques de se réunir au palais présidentiel autour d’une table de dialogue afin de résoudre les problèmes politiques ».
La pertinence de la remarque du chef de l’État a en outre été saluée par Nagib Mikati, député de Tripoli et ancien Premier ministre, qui a estimé sur Twitter que « le président Aoun a mis le doigt sur la plaie ». M. Mikati a souhaité à cet égard que l’« on revienne à la Constitution et à son esprit, en s’abstenant de faire de la jurisprudence ».
Dans le même sillage, l’ancien président de la République Michel Sleiman a souhaité que « l’on s’écarte de la logique de blocage adoptée pour servir des objectifs privés », notant devant des visiteurs venus lui présenter leurs vœux de Noël que les transgressions aux coutumes constitutionnelles existaient également lors de son mandat. « J’ai affronté toutes les tentatives de passer outre les coutumes suivies dans la formation du gouvernement », a indiqué M. Sleiman, soulignant que « la levée des obstacles se prolongeait parfois pendant de longs mois en raison de torpillages et tiraillements ».
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« Rester silencieux »
Lors de sa rencontre hebdomadaire avec les députés à Aïn el-Tiné, le président du Parlement Nabih Berry a estimé pour sa part que l’entrave du processus gouvernemental pourrait avoir un lien « avec l’étranger », c’est-à-dire avec les développements régionaux et internationaux. Sans faire abstraction de ces facteurs extérieurs, une source qui suit de près le dossier gouvernemental attribue en revanche le dernier sabotage à « une détérioration des relations entre le Courant patriotique libre (CPL) et le Hezbollah ». Interrogée par l’agence al-Markaziya, cette source évoque une possibilité pour le chef de l’État de vouloir se désengager de l’entente de Mar Mikhaël conclue en 2006 avec le Hezbollah et se référer à nouveau à l’arrangement politique concocté avec le Premier ministre désigné, Saad Hariri, et le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui avait favorisé son accession à la première magistrature. Ce retournement serait provoqué d’un côté par les tentatives du Hezbollah de lui imposer ses décisions, et de l’autre par des conseils provenant de gouvernements occidentaux et de pays de la région. Selon la même source, la question ne serait plus désormais cantonnée aux parts et portefeuilles ministériels, mais plutôt liée aux relations et alliances qui vont régir la période à venir. C’est de là que viendrait le silence observé autour de cette question par Saad Hariri, qui a écrit samedi sur son compte Twitter : « Il faut parfois rester silencieux pour pouvoir écouter les autres. »
Mohammad Raad, chef du groupe parlementaire du Hezbollah, n’a pas fait d’allusion aux liens de son parti avec le CPL, estimant que « s’il existe des obstacles à la formation du cabinet, les compteurs du processus gouvernemental ne sont pas revenus à zéro ». Il a appelé dans ce cadre au dialogue, « seul moyen de sortir de la crise ». Une source du Hezbollah indique d’ailleurs que « les concertations seront bientôt relancées au point où elles s’étaient arrêtées, à savoir le choix d’un nom en remplacement de celui de Jawad Adra ».
(Lire aussi : Gouvernement : derrière le problème de forme, une question de fond)
L’autre élément du tandem chiite, le mouvement Amal, impute implicitement au chef du CPL, Gebran Bassil, la responsabilité de la paralysie du processus. Ali Khreiss, député berryiste, a ainsi exprimé son refus de voir le pays « gouverné par une partie qui torpille et décide à son gré », et déploré que « d’aucuns entrent dans l’arène pour prendre un ministre sunnite dans leur lot, ignorant ainsi les efforts déployés ». « Nous lâcherons le morceau et dévoilerons qui se cache derrière les obstacles », a ajouté M. Khreiss.
Fadi Saad, député de Batroun (Forces libanaises), ne va pas par quatre chemins, affirmant à L’OLJ qu’« outre le Hezbollah qui crée de nouvelles coutumes en usant de sa force pour exercer des pratiques non conformes à la Constitution, c’est également Gebran Bassil qui empêche la naissance du cabinet en voulant imposer le tiers de blocage en faveur de son parti ».
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commentaires (6)
Querelle, que dalle!
Wlek Sanferlou
17 h 13, le 27 décembre 2018