Ils étaient plusieurs centaines à prendre la rue dimanche pour exprimer une colère et un ras-le-bol que les fêtes de fin d’année, célébrées dans un contexte économique des plus difficiles, ont exacerbés. L’échec de la classe politique à mettre un terme aux marchandages autour de la formation du gouvernement, promis pour la saison des fêtes de Noël, est venu redoubler le mécontentement général qui s’est exprimé dimanche de manière désordonnée avec des revendications disparates, mais non moins sincères. Une nouvelle manifestation est prévue aujourd'hui mercredi dans le centre-ville de Beyrouth.
Largement inspirée du mouvement des gilets jaunes en France, la manifestation de dimanche, qui avait été précédée par un premier mouvement de protestation initié une semaine auparavant par le Parti communiste libanais (PCL) et le parti Sabaa, a illustré, comme dans le cas français, une mobilisation collective en grande partie spontanée.
Même si le mot d’ordre a été relayé par les médias sociaux – des appels avaient été lancés par divers groupes et individus sur des plates-formes telles que Facebook – aucun parti politique ni mouvement n’était au premier plan, bien que de nombreux sympathisants ou proches des milieux du Hezbollah ont été identifiés parmi la foule.
Le parti chiite, qui n’a pas officiellement appelé à prendre part à cette initiative, aurait toutefois « laissé faire », en s’abstenant d’interdire ou de déconseiller la démarche à sa base populaire « pour permettre aux gens d’évacuer leur colère », devait faire remarquer Omar Dib, membre du bureau politique du PCL dont certains membres ont rejoint dimanche le mouvement de protestation.
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C’est également l’avis d’un analyste qui a noté le fait que le mouvement de protestation s’est étendu jusqu’à l’axe routier menant à l’aéroport, adjacent aux localités où le Hezbollah est fortement implanté, « prouve bel et bien que le parti chiite a toléré cette plate-forme de défoulement ».
Dépourvu d’objectifs précis et d’un plan d’action permettant de réaliser des revendications jetées pêle-mêle, cette grogne populaire semble être à première vue éphémère, la place publique étant devenue, quelques heures durant, un défouloir libérateur de tensions accumulées.
Si les conditions socio-économiques et la généralisation des pratiques de corruption ont largement été conspuées, constituant un tronc commun chez la majorité des manifestants, les revendications politiques étaient également au menu des doléances, variant entre la demande de faire tomber le régime et la réforme du système, sans autre précision sur la manière d’atteindre l’un ou l’autre objectif.
Également dénoncé, le confessionnalisme politique, que certains manifestants ont considéré à l’origine de tous les maux de la société et la raison principale derrière la division des Libanais.
À la différence de la manifestation de dimanche dernier, à laquelle avait appelé le PCL qui a encadré le mouvement en définissant clairement les revendications – notamment la hausse des salaires et la mise en place d’un impôt progressif – la manifestation de dimanche a rassemblé une foule hétéroclite, reflétant des milieux sociaux et politiques divers que seuls le ras-le-bol contre le gouvernement, son inaction et son échec à redresser la situation rassemblaient.
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« Les protestataires qui ont pris part à la manifestation organisée par le PCL et le parti Sabaa étaient issus des milieux de la gauche libanaise et des milieux laïcs. Ce n’était plus le cas du mouvement de dimanche où l’on pouvait retrouver des sympathisants des FL et du Hezbollah scander des slogans aux côtés des fans des clubs de football de l’Ansar et du Nejmeh », souligne M. Dib qui a pris part aux deux manifestations.
De Tripoli jusqu’à Nabatiyé, en passant par Beyrouth et Tyr, un seul et même cri pour exprimer une souffrance commune et un malaise général. Pour la première fois, des sunnites, des chiites, mais aussi des chrétiens issus de milieux modestes se sont retrouvés autour de doléances communes pour dénoncer un quotidien devenu insupportable pour une population en voie d’appauvrissement continu. En tête de leurs réclamations, la réforme du système de santé dans son ensemble et des emplois pour une jeunesse désespérée.
Aux côtés des plus démunis, des gens issus de la classe moyenne venus parfois en famille exprimer leur mécontentement face à la décrépitude de l’État et de la dégradation de la qualité de vie en général.
« Il y avait deux foules : la classe populaire et ceux qui sont venus exprimer leur ras-le-bol d’un quotidien devenu intolérable. C’était un alliage bizarre et une situation de confusion, difficile à cerner », commente un activiste.
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commentaires (4)
Je suis vraiment confus. Donc on a dû attendre les gilets jaunes en France pour se rendre compte que la situation du Liban est même mille fois pires et que c'est nous qui auraient démarrer ce phénomène... Il faudra demander au français de bloquer le parlement et les autres lieux politiques pour qu'on les singes, car nous n'avons pas assez de raison de se soulever... Aiyayay waynak ya "toleit rihitkoun!" Un mot de respect et chapeau à Paula yacoubian impressionnante dans ses démarches loin devant ses collègues du parlement
Wlek Sanferlou
03 h 10, le 25 décembre 2018