Les Libanais avaient espéré que pour le troisième anniversaire de l’élection du président Michel Aoun, le Liban serait doté d’un gouvernement. L’occasion est passée et ils ont concentré leurs espoirs sur la célébration du 75e anniversaire de l’indépendance du pays. En vain. Les responsables semblent se soucier aussi peu des symboles que des attentes des Libanais. Entre l’exigence des députés sunnites du 8 Mars d’être reconnus et représentés, et le refus du Premier ministre désigné de les reconnaître et de les représenter, le Liban traverse les échéances sans gouvernement en fonction. Tous les dossiers sont en suspens et chacun s’accroche à ses revendications. Même la médiation confiée par le chef de l’État au ministre Gebran Bassil piétine, alors que la proposition qu’il a transmise aux deux parties concernées aurait pu constituer une solution acceptable : le chef de l’État renonce à échanger un ministre chrétien contre un ministre sunnite avec le Premier ministre et celui-ci pourrait alors s’entendre avec les six députés de « la Rencontre consultative » pour donner le sixième ministre sunnite à une personnalité de leur choix. Mais cette proposition qui se voulait équitable s’est heurtée à un double refus du Premier ministre désigné, d’une part de reconnaître l’existence de ce groupe, qui n’était pas constitué lorsqu’il avait procédé aux consultations parlementaires après sa désignation, et d’autre part de leur donner un ministre déduit de sa propre part.
Pour l’instant donc, le Premier ministre campe sur sa position et les députés sunnites du 8 Mars radicalisent la leur. Au point que certains se demandent si derrière ce nœud considéré comme interne, il n’y aurait pas des veto régionaux, voire internationaux.
Dans ce contexte, des sources proches des Forces libanaises et des faucons du courant du Futur estiment que la position des députés sunnites du 8 Mars est dictée par l’Iran qui ne voudrait pas faire preuve de la moindre souplesse dans le climat de confrontation entre Téhéran et les pays du Golfe, ainsi qu’avec les États-Unis. Selon cette logique, la République islamique souhaiterait montrer à ses adversaires régionaux et internationaux que s’ils continuent à la mettre au pied du mur, elle est en mesure de paralyser le Liban et d’y empêcher le fonctionnement des institutions. La République islamique montrerait en même temps qu’elle est prête à utiliser toutes les scènes où elle a de l’influence dans le cadre de sa confrontation avec ses adversaires. Dans ce contexte, le bras de fer entre les États-Unis et leurs alliés arabes d’une part et l’Iran de l’autre ne resterait plus limité à certaines régions, mais il revêtirait une forme globale, dans une tactique iranienne destinée à pousser ses adversaires à reculer. Cette thèse se base essentiellement sur le fait que le retard dans la formation du gouvernement nuit principalement au Premier ministre désigné et à son camp, et au Liban en général qui reste principalement sous influence occidentale, américaine en particulier.
(Lire aussi : Gouvernement : la médiation de Bassil menacée d’enlisement)
Mais face à cette thèse, il y en a une autre qui fait attribuer aux pays du Golfe et aux États-Unis la responsabilité du retard dans la formation du gouvernement. Selon cette version, qui est en général adoptée par les sources proches du 8 Mars, ce serait le Premier ministre désigné qui assumerait totalement la responsabilité du blocage gouvernemental en refusant l’octroi d’un ministre aux sunnites de la « Rencontre consultative ». Selon les partisans de cette thèse, il y aurait un veto clair de la part des États-Unis et de leurs alliés arabes pour la reconnaissance d’une force sunnite qui ne serait pas sous l’influence de l’Arabie saoudite. Cette position ne serait pas une simple tactique pour entraver la formation du gouvernement au Liban. Elle s’inscrirait dans une stratégie globale qui vise à aiguiser les tensions confessionnelles entre les sunnites et les chiites dans la région, pour renforcer les Israéliens. Or la reconnaissance de l’existence d’une force politique sunnite qui serait proche du Hezbollah, sous couvert d’appuyer la résistance contre Israël, met en danger la stratégie américaine dans la région. D’ailleurs, le secrétaire général du Hezbollah a fait allusion à cette thèse, lorsqu’il a rendu hommage dans son dernier discours aux sunnites du 8 Mars en leur donnant le crédit de l’échec de la tentative de semer la discorde entre les sunnites et les chiites. Selon les partisans de cette thèse, le refus du Premier ministre désigné de représenter au gouvernement les sunnites du 8 Mars ne serait donc pas simplement dû à sa volonté de ne pas se retrouver affaibli en réduisant sa part gouvernementale et en érodant sa position de leader sunnite. Il serait plutôt inspiré par les Saoudiens et les Américains, qui refuseraient de reconnaître les sunnites proches de la résistance et, par ricochet, de l’Iran.
Quelle que soit la version adoptée, cela signifierait que « le nœud sunnite » serait en réalité régional et international, et montrerait que le Liban reste tiraillé entre les deux grands courants en conflit dans la région et dans le monde. Toutefois, même si ces versions peuvent être plausibles, les sources proches du courant du Futur et du CPL continuent à affirmer que le problème est purement interne...
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Les Libanais avaient espéré que pour le troisième anniversaire de l’élection du président Michel Aoun, le Liban serait doté d’un gouvernement. L’occasion est passée et ils ont concentré leurs espoirs sur la célébration du 75e anniversaire de l’indépendance du pays. En vain. Les responsables semblent se soucier aussi peu des symboles que des attentes des Libanais. Entre...
commentaires (11)
En cette étape plus que majeure dans l'Histoire du Liban, le problème est très simple à décortiquer: D'une part les patriotes, et de l'autre les traitres.
Remy Martin
21 h 21, le 22 novembre 2018