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Liban - Éclairage

Iran vs US sur le terrain libanais

Le blocage de la formation du gouvernement, désormais ouvertement assumé par le Hezbollah qui réclame la représentation des sunnites opposés au Premier ministre désigné Saad Hariri sur la quote-part du chef de l’État Michel Aoun, a jeté un froid dans la relation entre Baabda et le parti chiite.

Cela se fait sentir de plusieurs façons : cette gêne s’est d’abord exprimée dans les propos du chef de l’État lors de sa rencontre avec les journalistes de la presse écrite pour l’anniversaire de son élection à la présidence de la République. Il a pointé du doigt la responsabilité du Hezbollah, mais sans le nommer. Il a ensuite été question d’une visite, jamais annoncée, que devait effectuer une délégation du parti chiite à Baabda pour uniformiser les positions des deux parties. Or cette visite n’a pas eu lieu et semble pour l’heure difficile à réaliser. Pour l’instant, ce sont des médiateurs qui se chargent de la communication entre Michel Aoun et son allié chiite traditionnel. La campagne menée contre le ministre sortant des Affaires étrangères Gebran Bassil depuis la banlieue sud est venue le confirmer : en requérant la nomination d’un ministre sunnite opposé à Saad Hariri, donc acquis au Hezbollah, sur la quote-part du chef de l’État, plutôt que de se contenter d’un ministre sunnite indépendant, le parti chiite veut s’assurer que le camp aouniste, entendre Gebran Bassil, ne détient pas le tiers de blocage.

Mais le nœud sunnite sert seulement de cause directe au blocage. Le problème est dans l’enjeu stratégique. Il n’est pas tant à chercher dans les rapports entre le chef de l’État et le Hezbollah que dans le choix que l’Iran fera, via le parti chiite, d’utiliser le terrain libanais pour répondre aux sanctions américaines. L’inconnue restera alors la position de Saad Hariri face à cette volonté. C’est toute la conjoncture du pays qu’il convient dès lors de réexaminer pour une lecture lucide de la situation.


(Lire aussi : Le Liban s’installe dans l’impasse)


Un ancien responsable politique, témoin du blocage de dix mois de la formation du cabinet de Tammam Salam, rappelle que le régime de tutelle syrien a cédé la place à l’influence iranienne devenue mainmise iranienne en bonne et due forme. Rien de surprenant à dire que le Hezbollah bloque le cabinet, puisqu’il est presque de coutume, au moins depuis 2009, que Téhéran ait le dernier mot dans la formation du gouvernement.

La question est de savoir quels sont les intérêts iraniens en jeu actuellement, sachant que ceux-ci continuent de primer sur les intérêts syriens, quoi que les deux soient globalement conciliables, à l’ombre d’une résurgence de Damas sur la scène politique libanaise.

La formation du cabinet Salam n’a été débloquée qu’après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. Cette fois, le Hezbollah aurait pu couvrir la naissance d’un cabinet si les nœuds dits chrétien et druze avaient été levés plus tôt, croit savoir l’ancien responsable. Maintenant que les sanctions sont entrées en vigueur contre l’Iran et que l’étau se resserre autour du Hezbollah, définir les contours du prochain cabinet est plus compliqué qu’on ne croit, dit-il.


(Lire aussi : Nœud sunnite : les aounistes très en retrait par rapport à Aoun)


Le Liban est un terrain favorable au parti pro-iranien, c’est-à-dire un levier potentiel de Téhéran face à Washington aussi bien sur le plan politique qu’économique. Suspendre la marche des institutions au Liban serait un moyen de le rappeler à qui veut l’entendre. Autre considération du Hezbollah : un gouvernement au Liban rendrait le pays plus sensible aux sanctions, d’autant plus que le Trésor américain a déjà identifié comme cibles potentielles des sanctions plusieurs dizaines de personnes physiques et morales qui coopèrent avec ou financent ce parti. L’administration Trump attend le moment opportun pour publier les listes de ces noms, selon des sources diplomatiques occidentales. Autrement dit, les sanctions ont de fortes chances d’atteindre par ricochet le gouvernement libanais dans son ensemble.

Est-ce à dire que le Hezbollah entend préserver les institutions des sanctions? Il entend en tout cas garder intacte entre ses mains la carte libanaise.

Si du reste le pari iranien était sur les élections de mi-mandat et la défaite des républicains, des milieux politiques de Washington jugent vain un tel pari : « Républicains et démocrates sont sur la même longueur d’onde pour ce qui est du dossier iranien » et Donald Trump entend mener jusqu’au bout sa lutte contre l’expansionnisme iranien, assurent-ils.


(Lire aussi : Gouvernement : Hariri ne boude pas, mais « use du luxe du temps »)


Le bras de fer irano-américain est engagé sur le terrain libanais et n’est pas près de se calmer, à en croire un ancien responsable ministériel. À ce stade, la naissance du gouvernement est beaucoup plus difficile qu’on le croit, même si les efforts d’un déblocage se poursuivent.

Le patriarche maronite Béchara Raï multiplie devant ses visiteurs les mises en garde contre les menaces à la paix civile et celles d’un effondrement économique, contre lesquelles seul un nouveau cabinet peut prémunir le pays. Il a d’ailleurs transmis un message clair et ferme au Hezbollah par le biais du mufti jaafarite, le cheikh Ahmad Kabalan, lundi lors de la visite de ce dernier à Bkerké, l’appelant à faciliter la formation du gouvernement.

Des réunions informelles sont en outre prévues en marge du Forum sur la paix qui se tient à Paris du 11 au 13 novembre, auquel doit participer Saad Hariri.


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