Jusqu’où la crise américano-saoudienne provoquée par l’affaire Khashoggi ira-t-elle ? L’Arabie, accusée d’être derrière la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, a fait savoir dimanche qu’elle rejetait toutes les accusations portées contre elle par un grand nombre de pays et qu’elle répondrait à toute sanction économique qui pourrait lui être infligée, rapporte l’agence officielle SPA en citant un responsable saoudien anonyme. « Nous rejetons entièrement toute menace ou tentative d’affaiblir le royaume, que ce soit via des menaces d’imposer des sanctions économiques ou l’usage de pressions politiques », a-t-il ajouté. Le royaume wahhabite « répondra à toute mesure le visant par des mesures encore plus fortes », a poursuivi ce responsable.
Ces déclarations font suite aux propos de Donald Trump qui a mis en garde samedi le royaume saoudien de « châtiment sévère » si sa culpabilité dans cette affaire était avérée. Une chose est certaine, le président américain ne fait pas ici allusion à la mise en péril du partenariat militaire entre son pays et le royaume wahhabite. Il a néanmoins affirmé disposer « d’autres moyens » de le punir, sans plus de précision. « Il est difficile d’imaginer des sanctions réelles, comme des embargos ou des sanctions comme celles actuellement appliquées contre l’Iran. Il ne faut pas oublier que nous sommes à la veille des élections de mi-mandat (mid-terms), qui se dérouleront le 6 novembre (…) Il y a eu des moments très inattendus ces derniers jours avec des renversements de situation autour de cette affaire et il sera intéressant de suivre ce qui se passe ces prochains jours », estime Perry Cammack, chercheur au programme Moyen-Orient de l’institut de recherche du Carnegie à Washington, contacté par L’Orient-Le Jour. Ainsi, le « châtiment sévère » du président américain pourrait donc se limiter à un coup de communication de sa part en vue des mid-terms.
Côté saoudien, Riyad a toujours démenti être impliqué dans l’affaire Khashoggi qui, deux semaines après son commencement, a déjà fait couler beaucoup d’encre dans la presse internationale. Le royaume a néanmoins essayé de calmer le jeu et de nuancer ses affirmations de dimanche, dans le but de ne pas aggraver davantage la brouille avec son allié américain. « Le royaume d’Arabie saoudite adresse ses salutations à tous, y compris l’administration américaine, pour s’être abstenus de tirer des conclusions hâtives à propos de l’enquête en cours », a tweeté l’ambassade saoudienne à Washington. L’Arabie saoudite semble ainsi jouer au coup du « bon et du méchant flic » en se tenant disponible pour participer à l’enquête tout en mettant en garde contre des représailles en cas de sanctions éventuelles. Mais en quoi consisteraient-elles ?
(Lire aussi : Disparition de Khashoggi : le film des événements)
L’arme dissuasive du pétrole
Si pour l’instant les Américains se sont contentés de mises en garde à l’adresse de Riyad, la crise autour de M. Khashoggi a provoqué une succession d’événements néfastes pour le royaume et son prince héritier et homme fort, Mohammad ben Salmane (MBS). Du point de vue diplomatique, plusieurs élus américains, tant démocrates que républicains, ont affirmé la semaine dernière que si la responsabilité de l’Arabie saoudite dans l’affaire Khashoggi était avérée, cela aurait des conséquences « désastreuses » sur les relations entre les deux pays. Mais c’est sur l’aspect économique que le royaume pourrait être le plus touché.
En vue de l’organisation du sommet économique Future Investment Initiative, aussi appelé « Davos du désert », réunissant entre le 23 et le 25 octobre prochain à Riyad tout le gratin du monde des affaires et de la finance mondiale, plusieurs grands médias occidentaux, dont le Financial Times, le New York Times, The Economist, Bloomberg et CNN ont décidé d’annuler leur venue, tout comme plusieurs entreprises étrangères. Ce sommet est pourtant vital pour MBS qui souhaite à tout prix attirer les investisseurs en Arabie saoudite afin de promouvoir son gigantesque projet appelé « Vision 2030 », censé transformer le premier exportateur mondial de pétrole en géant technologique et touristique. C’est d’ailleurs durant un sommet semblable, le 24 octobre 2017, que le prince héritier saoudien s’était exprimé devant une foule d’investisseurs sur ses ambitions économiques et sur la lutte contre l’extrémisme religieux dans son pays, le tout interviewé par une journaliste non voilée, brisant une nouvelle fois les tabous du royaume ultraconservateur et mettant en avant son image d’homme réformateur et moderne.
Mais si des mesures américaines devaient effectivement s’appliquer, comment l’Arabie saoudite réagirait-elle ? Riyad pourrait utiliser son arme de prédilection, le pétrole, pour envoyer un message fort. Washington reproche souvent à l’Arabie saoudite de ne rien faire pour endiguer la constante hausse des prix du pétrole, due notamment à la baisse des exportations du pétrole iranien depuis le retrait des Américains de l’accord de 2015 sur le nucléaire (JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action). Riyad pourrait ainsi jouer cette carte à son avantage. « L’Arabie saoudite pourrait provoquer une sorte de réduction de la production pétrolière qui ferait exploser les marchés pétroliers et financiers. Mais je ne suis pas sûr qu’elle voudrait en arriver là, elle veut seulement faire comprendre aux États-Unis qu’elle en a le pouvoir (…) L’administration Trump et le gouvernement saoudien sont conscients que si les pires scénarios se produisent, cela aurait un énorme impact sur leur relations, et ni l’un ni l’autre ne le veulent », explique Perry Cammack. Dans cette perspective, le secrétaire d’État Mike Pompeo a été envoyé hier par Donald Trump à Riyad pour tenter de trouver une solution à la crise qui intervient au milieu de la lune de miel entre le président américain et le prince héritier saoudien.
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A Qui le crime va t il profiter? Car crime il y a eu, sans qu'on puisse vraiment cerner le scénario. En attendant des clarifications (douteuses) il faut se raccrocher à ce qui est clair Le Royaume saudien a toujours été particulier , avec une lutte intestine entre les " Familles princières" gérée, à coup de "cadeaux" a ceux qui sont écartés du pouvoir politique . Grande Sagesse du Pouvoir. Dans le monde d'aujourd'hui , les Dirigents n'ont plus les moyens (ou la volonté) de sacrifier à ces "saines habitudes" Alors le mécontentement (qui a été lotempsetouffe) se manifeste (essentiellement à l'étranger, car dans la Royaume il vaut mieux marcher droit) Tout un chacun des partenaires sait cela... Et il y a une grande hypocrisie des partenaires des saudiens à poser des cris d'orfraie. Ils continueront à faire affaire avec le pouvoi en place...meme si vertement ils souhaitaient d'en voir un successeur
14 h 28, le 16 octobre 2018