À l’heure où la formation du gouvernement patauge dans les méandres des calculs politiques étroits, la polémique entre les Forces libanaises (FL) et le Courant patriotique libre (CPL) continue d’enfler. Les derniers développements en date font craindre un divorce entre les deux partis qui pourrait faire éclater ce qui reste de l’accord de Meerab, notamment après les propos incendiaires du chef du CPL et ministre sortant des Affaires étrangères, Gebran Bassil, qui s’en est pris mercredi dernier aux FL dans un entretien sur la chaîne MTV.
Les propos de M. Bassil, qui a fait part de ses griefs à l’encontre de la formation de Samir Geagea, ont été considérés comme une rupture de la trêve avec ce parti et une remise en cause de l’accord de Meerab, qui serait sur le point de chavirer. Les FL sont accusées d’avoir manqué à leur soutien au régime de Michel Aoun en critiquant certains dossiers, notamment celui des navires-centrales. On leur reproche également d’avoir remis en cause les prérogatives du président de la République en demandant la vice-présidence du Conseil des ministres qui devrait revenir à la part du chef de l’État. Les FL ont quant à elle mis de l’huile sur le feu en dévoilant jeudi dernier une clause du volet politique de l’entente conclue par écrit entre les deux partis le 18 janvier 2016 et paraphée par Gebran Bassil et Samir Geagea. Selon la chaîne MTV, ce volet stipule un partage équitable des portefeuilles entre le CPL, les FL et le président selon deux équations. Si le gouvernement est de 30 ministres, le CPL et les FL auront chacun six ministres, et trois autres seront choisis par le chef de l’État. Si le gouvernement comprend 24 portefeuilles, les CPL et les FL auront chacun droit à quatre ministres, tandis que le président en aura deux. Une clause qui a été déjà violée d’emblée par le CPL depuis la formation du premier cabinet, soulignent les milieux FL.
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« Ne pas applaudir quand il y a erreur »
« Lors de l’apparition télévisée de M. Bassil, il y avait certains points qui n’étaient pas précis, nous avons donc dû répondre pour les clarifier, a déclaré le ministre sortant de la Santé, Ghassan Hasbani, dans un entretien samedi à Radio-Orient. Il y avait des zones d’ombre concernant l’accord de Meerab, et certains les ont utilisées pour semer le doute. Suite à ces agissements, les FL ont dévoilé cet accord afin de mettre l’opinion publique au courant de la réalité. » « La coopération, ce n’est pas applaudir quand il y a une erreur ni couvrir les agissements qui pourraient faire du tort au régime, même s’ils proviennent des plus proches », a-t-il ajouté.
Réagissant aux propos de M. Bassil, le ministre sortant des Affaires sociales, Pierre Bou Assi, a défendu les FL samedi dernier à la MTV : « Nous ne nous sommes pas attaqués au régime. Nous faisons partie des personnes les plus soucieuses des prérogatives de Michel Aoun », a-t-il dit. « En revanche, je n’ai vu nulle part dans la Constitution que c’est M. Bassil qui forme le gouvernement. Qu’il se calme donc. Je ne conseille à personne de refuser un portefeuille régalien aux FL », a-t-il souligné.
La réponse du député de Baabda, Alain Aoun, ne s’est pas fait attendre. L’entente entre les deux partis « a besoin d’être restructurée », a-t-il déclaré dans un entretien le week-end dernier au quotidien koweïtien al-Anba’. « L’accord de Meerab est politique et consiste d’abord dans le soutien des FL au président de la République, ensuite dans le partage du gâteau politique. Les FL ne peuvent pas choisir la partie qui leur plaît et faire fi du reste », a lancé M. Aoun.
Face à tout cet imbroglio, Bkerké ne compterait pas rester les bras croisés et refuserait toute dégradation de la situation chrétienne, a rapporté l’agence al-Markaziya. Le patriarche maronite, Béchara Raï, qui est rentré hier de Rome, va bientôt appeler à une rencontre entre les représentants des CPL et des FL pour calmer le jeu.
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Harb monte au créneau
Le dévoilement des détails de l’accord de Meerab n’a pas plu au reste des figures, indépendantes comme partisanes, de la scène chrétienne, notamment l’ancien député Boutros Harb, qui y voit une tentative d’annihilation de tout ce qui échappe aux deux formations impliquées par l’accord. « Nous avons été surpris par les détails de l’accord, a-t-il indiqué à l’agence al-Markaziya le week-end dernier. Nous avons découvert qu’il s’agissait d’un marché politique dans lequel les deux partis se sont réparti les butins et les postes attribués aux chrétiens au sein du pouvoir, ainsi que ceux dans l’administration. Ce qui prouve que cette entente vise à annihiler les autres chrétiens », a-t-il dit. M. Harb a en outre dénoncé une « tendance à calquer le modèle du tandem chiite sur la société chrétienne, sachant que la pluralité de la société chrétienne et le respect des avis des autres sont source de richesse et de force pour cette communauté ».
Même son de cloche du côté du député de Zghorta Tony Frangié, qui a estimé que l’accord de Meerab est une « tentative d’annihilation qui a échoué » et qui « a porté un coup à la Constitution et aux institutions ». « L’entente de Meerab donne l’impression que le CPL et les FL sont les uniques représentants des chrétiens », a-t-il dit samedi dernier lors d’une rencontre à Bnechii avec le bloc de la Coalition nationale, avant de demander un siège chrétien et un autre musulman pour lui et ses alliés dans le futur gouvernement.
Dans une publication sur son compte Twitter le week-end dernier, Jamil Sayyed, député de Baalbeck-Hermel proche du régime syrien, a pour sa part dénoncé le dévoilement de « l’accord secret de Meerab » qui prévoit selon lui une répartition des parts semblable à celle du tandem chiite, tout en rappelant qu’il avait déjà mis le CPL en garde contre « ses frères » les FL. Ce qui lui a valu une réponse cinglante de la journaliste May Chidiac sur Twitter : « Va te trouver autre chose à faire pour occuper ton dimanche », a-t-elle écrit hier.
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« Ne pas réduire les sunnites à un seul groupe »
Côté sunnite, le problème de la représentation de la communauté n’est toujours pas réglé puisque les députés ne gravitant pas dans l’orbite du Premier ministre désigné Saad Hariri continuent de réclamer leur participation au prochain gouvernement. S’exprimant lors d’une rencontre avec des figures sociales du Nord samedi dernier, le député de Minié-Denniyé Jihad el-Samad a appelé Saad Hariri à « accepter les résultats des législatives qui ont prouvé que la communauté sunnite ne peut pas être réduite à un seul groupe ». Ses propos s’inscrivent dans la continuité de la réunion jeudi dernier de six députés sunnites prosyriens, à savoir Fayçal Karamé, Abdel Rahim Mrad, Walid Succariyé, Kassem Hachem, Adnane Traboulsi et M. Samad lui-même.
Interrogé samedi dernier sur sa position sur la scène sunnite lors d’un entretien à la radio Voix du Liban, le député de Saïda Oussama Saad s’est pour sa part dit indépendant de la formation haririenne mais également des députés sunnites prosyriens. « Je fais partie de l’opposition nationale », a-t-il martelé.
Le Hezbollah est quant à lui revenu à la charge le week-end dernier, reprenant le même discours consistant à demander la représentativité de chacun selon les résultats engendrés par les législatives, dans une réponse claire aux FL, mais surtout au Premier ministre désigné Saad Hariri. « Aucune force politique ne peut prétendre qu’elle est le représentant exclusif d’une communauté », a lancé le député de Tyr Nawaf Moussaoui lors d’une célébration partisane. « Concernant la représentation sunnite au sein du gouvernement, le tiers de cette représentation sunnite est en dehors de l’orbite haririenne, et il est inacceptable que les désignations au sein des institutions se limitent au courant du Futur », a-t-il dit.
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commentaires (10)
LA MEILLEUR QUI A ATTIRÉ MON ATTENTION, C'EST TONY FRANGIEH QUI EXPLIQUE LES LOIS ET LES RÈGLES. HIHIHIIIIIII. IL ADÉPASSÉ TAYMOUR ET SAMI GEMAYEL.
Gebran Eid
16 h 05, le 09 juillet 2018