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Le patient libanais

Heureux temps où les mystères d’une machine économique qui, entre autres atouts, valait à notre pays la flatteuse appellation de Suisse de l’Orient, étaient plus difficiles à percer que les coffres-forts des banques zurichoises.

Tous les indicateurs sont au rouge, cela ne devrait pas marcher, et pourtant ça marche, alors il ne faut toucher à rien. Tel est, ainsi, l’ébouriffant constat que faisait le religieux dominicain Louis Joseph Lebret, expert de renommée mondiale, pressenti dans les années soixante par le président Fouad Chéhab pour tenter de mettre un peu d’ordre, de rationnel, de planification dans le légendaire miracle libanais. Nettement moins admiratif toutefois, et même tristement prémonitoire, était ce jugement que consignait le brave abbé dans son journal : Quel pays si beau, trop peu anxieux, confiant dans son étoile…

De fait, l’étoile n’a pas tenu ses promesses ; l’irresponsabilité de ses chefs s’ajoutant à toute une série de séismes régionaux, le beau mythe d’un Liban alpin n’a pas tardé à voler en éclats, faisant éclore ailleurs – à Chypre puis à Dubaï – d’autres et fracassants miracles économiques. Mieux vaut tard que jamais, voici qu’à nouveau, nous nous avisons de faire appel à plus savant, plus expérimenté, mieux documenté que nous, attributs qu’est en droit de revendiquer la firme de conseil américaine de notoriété mondiale McKinsey, qui après six mois de travail remettait mercredi ses conclusions aux autorités de Beyrouth. Ce rapport, complément logique des recommandations de la conférence internationale CEDRE en matière de réformes structurelles, insiste surtout sur la nécessité de diversifier une économie libanaise beaucoup trop dépendante des services, et pas assez de l’agriculture et de l’industrie : cela sans parler des secteurs quasiment inexplorés, tel celui de la connaissance et l’innovation.

Le recours au consultant américain n’avait pas manqué de soulever des critiques, souvent virulentes. Des personnalités politiques se sont offusquées que l’on n’ait pas plutôt fait appel à des compétences locales. C’est un fait, par ailleurs, que McKinsey est le véritable auteur de l’ambitieux programme Vision 2030 visant à dépétroliser l’économie saoudite et dont le prince héritier MBS a fait son cheval de bataille ; mais le Liban n’est pas l’Arabie, objectent des experts de renom ; on n’y trouve pas de MBS absolument maître de ses décisions ; et surtout, soulignent-ils, nulle firme de conseil au monde ne serait en mesure de doter un pays aussi divisé que le nôtre d’une vision (c’est bien là le maître mot dans cette affaire) qui n’ait été préalablement débattue au plan national, sérieuses statistiques en main.

Mais peut-être le plus atterrant est cette absence totale de vision, encore elle, cette cécité stratégique, cet aveuglement face à l’obligation de prévoir qu’implique précisément le privilège de gouverner. Le plus grave et désespérant, c’est l’impuissance de nos dirigeants à appliquer les solutions proposées, offertes, disponibles, trop occupés qu’ils sont en effet à se disputer (avec les inavouables avantages qui vont avec) une portion du cabinet en laborieuse gestation. La galère est menacée de naufrage et c’est pourtant un temps précieux qui est perdu en marchandages, certains hauts personnages s’offrant même des vacances imméritées à l’étranger…

Le diagnostic est établi, le traitement est fixé, mais c’est le patient libanais qui, par une criminelle inconscience, traîne la patte.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Heureux temps où les mystères d’une machine économique qui, entre autres atouts, valait à notre pays la flatteuse appellation de Suisse de l’Orient, étaient plus difficiles à percer que les coffres-forts des banques zurichoises. Tous les indicateurs sont au rouge, cela ne devrait pas marcher, et pourtant ça marche, alors il ne faut toucher à rien. Tel est, ainsi, l’ébouriffant...