Se retrouver nez à nez avec un serpent constitue, pour la plupart d’entre nous, un vrai cauchemar et une réminiscence de peurs ancestrales. Pour beaucoup, tuer la bête est le seul moyen d’en finir. Les spécialistes soutiennent que ces animaux subissent le poids d’une réputation imméritée, victimes d’une méconnaissance de leurs espèces, et d’une ignorance de leur vraie place dans la biodiversité. Ils sont tués de manière indiscriminée alors que le plus souvent, il suffit de les laisser passer leur chemin parce que comme tous les animaux sauvages, ils n’attaquent que très rarement de leur propre chef.
Carla Khater, chercheuse associée au Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste de la biodiversité et particulièrement des écosystèmes méditerranéens, experte en réhabilitation des milieux dégradés, et Johnny Fenianos, doctorant en psychologie de l’environnement et en sensibilisation, sont des passionnés de ces espèces méconnues. Ils ont à cœur de rendre à ces animaux la place qui leur revient dans la biodiversité du pays et dans les mentalités.
Cette rubrique « Faune et flore », contrairement aux éditions précédentes et exceptionnellement, ne se concentrera pas sur les détails d’espèces particulières, mais sur la place qu’occupe toute cette famille animale dans la biodiversité et dans la psychologie humaine, conformément aux spécialisations des deux interlocuteurs. Certaines espèces particulièrement intéressantes pourraient faire l’objet de rubriques ultérieures.
Mythes et préjugés
L’un des problèmes qu’on rencontre quand on aborde le sujet de ces reptiles, c’est la quantité de mythes et de préjugés qui entourent ces espèces dans l’imaginaire populaire. Dans leurs conversations avec des habitants de localités rurales où l’on a plus de chance de croiser des serpents qu’en ville, les deux experts se sont heurtés à des affirmations qui défient toute réalité scientifique : ainsi, il y aurait une créature géante d’une trentaine de mètres, vieille de mille ans, avec des sortes de cornes et des poils, que l’on aurait croisée un peu partout ! Une image bien ancrée mais probablement causée par la distorsion d’un souvenir, survenue suite à une rencontre imprévue avec une couleuvre bien plus anodine.
Il faut tout d’abord préciser que les serpents, contrairement à ce qu’on peut penser, ne représentent pas une menace inévitable dès qu’on les croise, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, ils n’attaquent que quand ils se sentent menacés ou qu’on leur marche malencontreusement dessus dans la nature sans les voir. Sinon, ils préfèrent de loin s’esquiver et ne pas avoir affaire à l’homme. La meilleure stratégie serait donc de les ignorer quand cela est possible. La panique – même si elle est incontrôlable – est mauvaise conseillère en la matière.
Un habitat naturel qui se rétrécit
À savoir que les serpents se retrouvent le plus souvent sur notre chemin parce que leur habitat naturel a été envahi par des constructions humaines et qu’il se rétrécit… Et même si on en voit un à la maison – le pire scénario qui soit –, il serait plus judicieux de le recouvrir d’un drap sombre pour le calmer et éviter une morsure, avant d’appeler des experts qui peuvent le sortir de là.
Deuxièmement, il faut savoir que rares sont les serpents au Liban que l’on peut qualifier de « dangereux » : en fait, soit ils ne sont pas venimeux, donc leur morsure ne tire pas à conséquence, soit ils ont du venin mais peuvent mordre sans venin. En effet, l’être humain n’étant pas sur leur liste de menu, ils préfèrent souvent économiser cette ressource précieuse pour leurs proies. À ce niveau, un serpent adulte peut s’avérer moins dangereux qu’un serpent plus jeune, moins expérimenté sur le plan des confrontations avec des humains, et qui pourrait lancer du poison par pure panique.
Quoi qu’il en soit, même au cas où la morsure n’aurait pas été évitée, il faut savoir que rares sont les espèces qui peuvent être qualifiées de « dangereuses », et il s’agit surtout des vipères, alors que la majorité sont des espèces de couleuvres.
Il y a beaucoup de mythes à rectifier dans le cas des serpents : ceux-ci n’aiment pas la chaleur comme on le dit. Ce sont des animaux à métabolisme froid au contraire, incapable d’autoréguler la température de leur corps : voilà pourquoi ils se réfugient dans les parkings ou les jardins en plein jour, et qu’on les voit donc plus facilement en plein soleil.
Une vipère caractéristique de nos montagnes
Pour mieux savoir comment se comporter avec les serpents, il s’agit donc de les connaître davantage. Il faut savoir qu’il y a trois espèces de vipères au Liban, dont une endémique à notre pays et dont l’habitat est restreint et menacé (par les sports de montagne, entre autres) puisqu’il s’agit exclusivement de la haute montagne : il s’agit de la Montivipera bornmuelleri. Cette espèce est particulièrement discrète, difficile à repérer, de couleur grise et mangeuse de rongeurs et de lézards. Les deux chercheurs pensent que cette espèce doit faire l’objet d’un programme de préservation spécifique.
L’autre vipère, qu’on trouve beaucoup plus communément sur le territoire, est la Macrovipera lebetina, ou vipère du Levant. Elle est plus claire et grosse que la précédente, et elle est particulièrement menacée par les périodes de sécheresse de plus en plus longues par la disparition des forêts, son milieu de prédilection, sans compter qu’elle est souvent tuée lors de ses rencontres avec les humains. La troisième espèce est la Daboia palaestinae, la vipère de Palestine, qui est présente un peu partout et chasse généralement la nuit. De complexion plutôt sombre, parfois avec des rayures jaunes, cette vipère est la plus bruyante, utilisant son sifflement caractéristique pour intimider ceux qui l’approchent.
Les autres espèces de serpents que l’on trouve au Liban sont toutes des couleuvres, plus communes et moins dangereuses que les vipères. Par ailleurs il convient de se rappeler que venimeux ou pas, dangereux ou pas, les serpents ne veulent rien à voir avec nous… et qu’ils sont très bénéfiques pour la nature où ils consomment nombre de nuisibles. Donc pourquoi ne pas tenter de les laisser tranquilles plutôt que de chercher à les éliminer systématiquement ?
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- CERTAIN JOUR L,ABBÉ FERRAND FUT PIQUÉ PAR UN SERPENT. SAVEZ-VOUS CE QU,ARRIVA ? C,EST LE SERPENT QUI CREVA ! VOLTAIRE
LA LIBRE EXPRESSION
20 h 51, le 09 juin 2018