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Liban - Reportage

Pour les électeurs à besoins spéciaux, un mélange de cauchemar et d’humiliations...

« Ces législatives ne peuvent pas être considérées comme une réussite quand toute une partie de la société est ignorée », déplore la présidente de l’Union des handicapés du Liban.

Une vieille dame à mobilité réduite aidée hier à Bebnine dans le Akkar. Photo Michel Hallak

« Cette journée électorale est un échec démocratique. » C’est en ces termes que Sylvana Lakkis, présidente de l’Union des handicapés du Liban, a commenté le déroulement de la consultation populaire, hier, sur l’ensemble du territoire libanais. Les médias télévisés locaux ont relayé tout au long de la journée les difficultés, voire l’impossibilité, pour des électeurs du troisième âge et à besoins spéciaux d’accéder aux bureaux de vote situés aux étages supérieurs d’établissements scolaires, démunis d’ascenseurs et transformés en centres électoraux.

Plusieurs bénévoles de l’Union, fixes et itinérants, ont assisté dans les bureaux de vote à des scènes « humiliantes » pour les électeurs à mobilité réduite mais qui restent autonomes, raconte Mme Lakkis à L’Orient-Le Jour. En l’absence d’ascenseurs pour accéder aux étages élevés, plusieurs électeurs ont dû être portés par des membres de la Défense civile ou même des agents de l’ordre pour qu’ils puissent voter. Ils auraient pourtant pu facilement exercer leur droit sans l’aide de qui que ce soit, si seulement le ministère de l’Intérieur avait tenu parole, c’est-à-dire si les instructions données lundi dernier par le ministre Nouhad Machnouk avaient été respectées et si le décret organisant l’opération de vote des handicapés avait été appliqué. « Les rez-de-chaussée sont restés pour la plupart fermés », déplore la présidente de l’Union des handicapés du Liban, malgré la promesse du ministère de l’Intérieur de les maintenir ouverts pour permettre aux personnes à mobilité réduite de voter plus facilement. De même que peu de véhicules ont été autorisés à pénétrer dans l’enceinte des bâtiments.
M. Machnouk avait demandé lundi que des mesures exceptionnelles, facilitant l’accès aux bureaux de vote pour les personnes âgées et à mobilité réduite, soient prises lors du scrutin. Il avait appelé les forces de l’ordre déployées devant les centres électoraux « à permettre l’accès des véhicules transportant des personnes âgées ou à besoins spéciaux jusque devant les bureaux et de leur donner la priorité pour voter ». Il avait aussi demandé à la Défense civile de déployer « au moins deux personnes » qui seront en charge d’assurer l’accès des personnes à mobilité réduite aux bureaux de vote dans le cas où ces derniers se trouvent à l’étage dans un bâtiment sans ascenseur. La démarche du ministre faisait suite à une requête en ce sens de l’Union libanaise des handicapés physiques (LHPU), qui avait organisé un sit-in à la mi-avril afin de réclamer une meilleure accessibilité aux bureaux de vote pour les personnes souffrant de handicaps, notamment moteurs. Mais en réalité, aucune structure sérieuse n’a été mise en place pour permettre aux handicapés et aux personnes âgées de voter de matière autonome et aucun suivi n’a été effectué par le ministère pour s’assurer que les droits de ces personnes seront respectés.


(Lire aussi : Législatives libanaises 2018 : Les leçons à retenir du scrutin)



Les regrets de Machnouk
Le manque de considération pour l’accessibilité des personnes à mobilité réduite aux bureaux de vote avait été évoqué par Mme Lakkis, lorsqu’elle avait annoncé sa démission, en avril également, de la Commission de supervision des élections législatives.
En fin de matinée, Nouhad Machnouk, qui s’exprimait à la presse au terme d’un entretien à Saïda, avec le mohafez du Liban-Sud, Mansour Daou, a exprimé ses regrets pour les ennuis des électeurs à mobilité réduite, en rappelant ses instructions. Mais son intervention s’est arrêtée là, parce que rien n’a été fait durant le reste de la journée pour faciliter la participation de ces personnes, qui représentent après tout au moins 10 % de la population libanaise, aux élections. S’il n’était pas possible d’aménager des bureaux de vote aux rez-de-chaussée, les voitures transportant des handicapés ou des personnes du troisième âge auraient au moins pu être autorisées à entrer dans les centres électoraux. Mais rien de cela ne s’est produit.


(Lire aussi : Les lenteurs du vote ont-elles fait ombrage à la liberté des législatives ?)



 « Je n’accepte pas d’être transporté comme un sac de patates », s’est exclamé un électeur qui a refusé d’être porté. Pire encore, cette situation anormale a facilité, dans certains endroits, la fraude électorale. Cités par Mme Lakkis, des témoins ont rapporté que certains accompagnateurs, en conduisant les électeurs jusqu’à l’isoloir, auraient profité de l’occasion pour influencer leur vote.
Sylvana Lakkis précise qu’à l’avenir il ne sera plus question « de croire qui que ce soit de la part de l’État ». « Nous ne recevons que des promesses, mais rien n’est concrètement mis en place pour rendre les bâtiments accessibles à l’ensemble des personnes souffrant de handicaps », souligne-t-elle en relevant, tout comme la Campagne nationale pour les droits des personnes handicapées au Liban, que toute cette humiliation aurait pu être évitée si le ministère de l’Intérieur avait appliqué le décret d’exécution 2214 / 2009 supposé faciliter le vote des personnes à besoins spéciaux, comme Nouhad Machnouk l’avait promis en 2016.

Dans un communiqué publié en soirée, la Campagne a énuméré une série d’irrégularités en rapport avec le vote des personnes handicapées, « dont la dignité et les droits civils ont été bafoués ». Elle a même fait état de « maltraitances de la part de certains chefs de bureaux de vote, de leurs assistants ou de certains délégués ».
Selon un communiqué de la Défense civile, publié en soirée, 4 007 électeurs ont été « aidés » pour voter.


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