Nous, Libanais, sommes les joyeux locataires à vie d’une insubmersible tour de Babel. Vautrés sur nos pauvres 10 452 km² ou exilés (in)volontaires dans un pays plus civilisé, nous parlons une infinité de langues, nous défendons une infinité de cultures, nous nous bunkérisons dans une infinité de communautés, nous mangeons, prions, aimons ; bref, nous (sur)vivons de façons infiniment différentes. Et tout cela dans une espèce de coexistence qui n’a, certes, rien de convivial, loin de là, mais qui, finalement, se tient, miraculeusement, et assure le minimum syndical. Les uns ont leur Liban et les autres le leur ; les troisièmes se battent pour que ce pays reste ce pour quoi il est né : un pont entre d’infinies rives, ce fameux pays-message à visage arabe ; d’autres, encore, veulent le vampiriser et l’aligner sur tel ou tel axe, le modifier génétiquement, et il y a ceux, enfin, qui ne finiront jamais d’éprouver à son égard un mathématique mélange de fascination et de répulsion, un je-t’aime-moi-non-plus qui surprendra toujours tout le monde.
Nettement moins polarisées que celles de 2005 et de 2009, les législatives 2018 qui se sont tenues hier sont venues prouver, encore et toujours, cette babélisation organique et systémique du Liban. Encadrées par une loi d’une bâtardise inouïe, une loi, là aussi, il n’y a pas de surprise, super tour de Babel, elles ont vu à la fois la consécration du conservatisme, avec les victoires des partis-bulldozers, et l’émergence, aussi timidissime soit-elle, d’un vent nouveau, avec une ou deux possibles arrivées de candidats de la société civile. Ces élections ont également vu, à la fois, l’enthousiasme et l’engouement de ceux qui ont fait le déplacement jusqu’à cette espèce de carton censé faire office d’isoloir, qu’ils soient partisans aveugles et sourds, sympathisants qui ont voté avec leur tête ou nouveaux venus, si jeunes, qui ont laissé parler leur cœur, et un taux de participation inférieur à 50 %, preuve s’il en est que la moitié des Libanais se fout royalement de ce droit/devoir titanesque qui est pourtant sa plus puissante arme démocratique.
L’heure du bilan politique sonnera vite. Ce sera le moment où les masques, immanquablement, tomberont ; le moment où ces alliances pré-6 mai et tour de Babel absolument hallucinantes se détricoteront; le moment où chaque inscrit, qu’il ait voté ou pas, se frottera les mains ou regrettera amèrement son (non-)choix, peu importe, avant de se retrouver happé par un quotidien sans électricité, sans eau, sans télécoms dignes de ce nom, sans pétrole, sans idées, sans économies, sans (pré)vision(s), sans fierté de posséder le passeport libanais. Ce sera le moment, aussi, gueule de bois : le Hezbollah et ses alliés, notamment aounistes, continueront d’embourber le Liban dans des aventurismes persans meurtriers et d’infinies déclinaisons de populisme, le courant du Futur et les Forces libanaises continueront de naviguer en eaux troubles avec des boussoles souvent défectueuses et une étoile du berger pas très visible, Gebran Bassil continuera de se noyer dans un culot obscène (en dénonçant, par exemple, la sauvagerie de l’argent électoral alors que ses listes comportent plusieurs milliardaires…), la société civile continuera de s’entre-déchirer et le Parlement 2018 continuera, après avoir probablement perdu quelques ténors indépendants, d’être anschlussé par Nabih Berry – donc par le Hezbollah.
Le vrai problème est que nous, Libanais, sommes à la fois la blessure et le baume ; la maladie et le remède ; le problème et la solution. À la fois des Avengers, déterminés à préserver notre sol, nos identités, aussi meurtrières soient-elles, nos avenirs, et des Thanos, tout entiers concentrés à les dynamiter et les annihiler. Nous, Libanais, sommes à la fois tellement preux et tellement gueux.
Législatives 2018, Infinity War(s)
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 07 mai 2018 à 00h00
commentaires (4)
l'histoire du pauvre Liban se repete, se repercute sur celle des libanais , leur avenir, leur dignite , leur intellect ? ils -la crasse politique- continue a choisir de s'allier avec n'importe qui -C leur droit- pour gagner et/ou garder chacun sa chaise , celles de baabda et du serail . le SEUL HIC est que ces "" n'im[orte qui "" quoique libanais , s'allient eux a l'etranger d'une facon absolue, qui nous ramene aux annees noires de 1967-1990. C de leur droit ca ? hmm ! tous vous diront que oui.....
Gaby SIOUFI
11 h 05, le 08 mai 2018