Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a lancé vendredi une attaque verbale virulente contre l'Arabie saoudite, répétant que celle-ci a forcé le Premier ministre libanais, Saad Hariri, à démissionner et l'a placé, depuis cette démission surprise samedi dernier, en résidence surveillée dans le royaume. Le leader chiite a également affirmé que Riyad a demandé à Israël de frapper militairement le Liban.
"Depuis samedi, on a mis le Liban devant une nouvelle réalité dangereuse. On entend des menaces ici et là", a dénoncé le leader chiite, lors d'un discours télévisé retransmis en direct à l'occasion des cérémonies du quarantième de la mort de l'imam Hussein, qui coïncide également avec le jour de commémoration des "martyrs du Hezbollah".
"En un an, le Liban est entré dans une phase de stabilité politique, la situation était bonne (...). Mais d'un coup, l'Arabie saoudite convoque à Riyad le Premier ministre urgemment, sans ses conseillers. Il s'y rend, et on lui impose de démissionner et de lire le communiqué qu'ils ont écrit, mettant de facto le Liban devant une nouvelle réalité. S'en suivent des déclarations saoudiennes en série, notamment des menaces", a rappelé Hassan Nasrallah. "Il s'agit d'une ingérence inédite et publique de la part de l'Arabie" dans les affaires du Liban, a-t-il insisté.
Près d'une semaine après l'annonce surprise de la démission de Saad Hariri depuis Riyad, les voix se font de plus en plus fortes au sein de l'establishment politique pour un retour du Premier ministre à Beyrouth. Entre-temps les interrogations se multiplient concernant sa liberté de mouvement dans le royaume wahhabite.
Le mystère est en effet total depuis cette annonce choc, M. Hariri, un protégé de Riyad, ayant invoqué la "mainmise" de l'Iran et de son allié au Liban, le Hezbollah, sur les affaires intérieures du pays. Depuis lors, le président libanais, Michel Aoun, attend que le Premier ministre lui remette officiellement sa démission pour s'exprimer sur le sujet et lancer, éventuellement, des consultations parlementaires pour la formation d'un nouveau gouvernement.
En attendant le retour de M. Hariri, qui a aussi la nationalité saoudienne, les spéculations vont bon train sur les conditions dans lesquelles il a annoncé sa démission. Et ce d'autant plus que cette annonce a eu lieu le jour même du lancement par le pouvoir saoudien d'une vaste purge anticorruption, qui a abouti à l'arrestation de nombreux émirs et hommes d'affaires saoudiens dans le royaume.
(Pour mémoire : Nasrallah : La démission de Hariri a été imposée par Riyad)
"Cet homme est détenu en Arabie saoudite"
"Cela ne fait plus de doute. Cet homme (Saad Hariri) est détenu en Arabie saoudite, et ne peut jusqu'à nouvel ordre rentrer au Liban. Le chef du gouvernement libanais est en détention en Arabie saoudite, a insisté le leader chiite. Il s'agit également pour l'Arabie d'une tentative d'imposer un nouveau leadership sunnite, et même un nouveau chef de gouvernement."
Hassan Nasrallah a estimé dans ce contexte que "l'insulte saoudienne contre Saad Hariri est une insulte contre tout le Liban". "Nous condamnons l'ingérence saoudienne dans les affaires libanaises. Ils n'ont pas le droit de faire cela. Et nous condamnons leurs agissements honteux avec le président Hariri. Nous considérons, en tant que Hezbollah et Libanais, que l'insulte contre Saad Hariri est une insulte contre tout le Liban. Saad Hariri est le Premier ministre du Liban. M. Hariri n'a pas écrit un mot du communiqué qu'il a lu lors de sa démission", a insisté le leader chiite.
"Nous appelons comme le bloc parlementaire du Futur au retour de M. Hariri au Liban. S'il veut démissionner, qu'il rentre au pays et qu'il fasse ce qu'il veut. Il pourrait dire qu'il voudrait rester Premier ministre ou démissionner, ou encore déclarer la guerre au Hezbollah. Mais qu'il rentre au pays. Car il est inacceptable qu'il reste Premier ministre du Liban alors qu'il est en résidence surveillée", a prévenu Hassan Nasrallah.
"Nous considérons que cette démission est illégale et n'a aucune valeur, car elle a été faite sous la contrainte, a martelé le chef du parti chiite. Nous avons toujours un gouvernement en exercice. Ce gouvernement n'est pas démissionnaire, et il ne peut y a voir de consultations pour former un nouveau cabinet."
(Lire aussi : Saad Hariri "est libre de ses mouvements" à Riyad, selon Paris)
La démission de Saad Hariri intervient dans un contexte de fortes tensions sur plusieurs dossiers entre les deux poids lourds de la région, l'Arabie saoudite sunnite, qui soutient M. Hariri, et l'Iran chiite, grand allié du Hezbollah. Les deux puissances régionales sont farouchement opposées sur des questions comme la Syrie, le Yémen et le Liban, où elles soutiennent des camps adverses.
Commentant les menaces contre la vie du Premier ministre démissionnaire, Hassan Nasrallah a déclaré : "Lorsque Saad Hariri a dit craindre pour sa vie, cela n'était pas vrai. Il s'agissait d'une information véhiculée par l'Arabie saoudite. Elle l'a obligé à dire cela. Mais il faut rester prudent face aux informations de la chaîne al-Arabiya (financée par l'Arabie) selon lesquelles des engins d'espionnage iraniens ont été impliqués dans le brouillage du dispositif de sécurité du convoi de M. Hariri. Ce ne sont que des mensonges, a prévenu Hassan Nasrallah. Que préparent ceux qui véhiculent ces mensonges ?".
(Lire aussi : La façon dont la démission de Hariri a été annoncée est "inadmissible", dit Aoun au chargé d'affaires saoudien)
"Frapper le Liban"
Dans ce contexte tendu, Hassan Nasrallah a affirmé sans ambages que l'Arabie saoudite a demandé à Israël de frapper militairement le Liban. "L'Arabie saoudite a demandé à Israël de frapper le Liban. Et elle est prête à offrir des dizaines de milliards de dollars pour cela", a-t-il assuré, parlant d'"informations sûres". "La guerre de juillet 2006 (entre le Hezbollah et Israël) a également été menée à la demande et sur incitation de l'Arabie saoudite qui avait demandé la poursuite des hostilités jusqu'à la destruction de la Résistance. Il est clair que l'Arabie a déclaré la guerre au Hezbollah. Mais elle l'a également déclarée à tout le Liban", a ajouté le numéro un du parti chiite.
"Nous ne croyons pas qu'une guerre avec Israël aura lieu bientôt. L'ennemi israélien sait que le coût d'une telle guerre serait très élevé", a-t-il fait savoir. "Nous suivons la situation de près, et les Israéliens sont prudents. Nous sommes aujourd'hui plus forts que par le passé. Et je mets en garde Israël contre toute erreur de calcul. Ils ne devraient pas croire que nous sommes occupés ou craintifs."
Selon Hassan Nasrallah, l'Arabie saoudite veut "se défouler au Liban", car elle ne peut pas affronter l'Iran. "L'Arabie, en voyant tous ses échecs dans la région, se dit qu'elle peut réaliser des avancées au Liban. Il n'est pas vrai que le Liban est sous l'emprise de l'Iran. L'Arabie, tout comme l'Iran, ont une influence au Liban. Mais à la différence de Riyad, Téhéran ne se mêle pas des affaires libanaises. Je vous le dis, l'Iran a de l'influence au Liban mais n'instrumentalise pas cette influence pour obtenir des gains. Je vous défie de me donner un seul exemple qui contredise mes propos", a insisté Hassan Nasrallah.
Et le numéro un du Hezbollah de lancer : "Si les Saoudiens croient qu'ils peuvent faire échec à la Résistance (...) ils se trompent. Ils feront face à la défaite, tout comme cela a été le cas ailleurs dans la région. Ils ne peuvent pas battre le Hezbollah".
(Lire aussi : Arabie : la rupture des liens diplomatiques avec le Liban est une option, selon Jubeir)
"Une guerre improvisée"
Pour le leader chiite, "ceux qui conspirent contre le Liban ont commis une grave erreur. Cette guerre déclarée contre le pays et le Hezbollah est une guerre improvisée et le fruit de la colère". "L'attachement des Libanais à la sécurité et la stabilité, la poursuite du dialogue, tout cela doit continuer. Il faut aussi éviter le recours à la rue. Et les décisions sages du président de la République, Michel Aoun, en concertation avec le chef du Législatif, Nabih Berry, doivent faire l'objet d'un consensus", a insisté Hassan Nasrallah. "N'ayez pas peur, ne vous inquiétez pas, notre volonté nationale de préserver notre pays est la garantie.
Aujourd'hui, en tant que Libanais, nous devons, face à l'insulte, les contraintes et les menaces, rester responsables et attachés à notre pays."
Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Jubeir, a indiqué vendredi que la rupture des relations diplomatiques avec le Liban était une option étudiée par Riyad, reprochant au Hezbollah d'utiliser le pays pour ses attaques contre le royaume.
En réponse à ses propos, Hassan Nasrallah a martelé : "C'est comme cela que, après vos agissements depuis samedi, vous comptez +sauver+ le peuple libanais ?" "Les Saoudiens veulent punir le Liban car il a désobéi aux ordres royaux de l'Arabie. Il n'est même pas permis au Courant du Futur de défendre son chef", a enfin regretté Hassan Nasrallah. "Aux Saoudiens je dis : vous pouvez punir le Hezbollah sans punir tout le Liban. Faites travailler vos méninges".
Le chef du parti chiite a conclu son allocution par un appel aux Libanais. "Unis, nous serons plus forts pour dépasser les difficultés actuelles".
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La question qui se pose est de savoir si le premier ministre libanais est plus sous contrainte en Arabie saoudite qu'à Beyrouth où la milice Hezb tient le haut du pavé; ne serait-ce que parce que le chef de la milice est aussi invisible que M. Hariri, actuellement.
23 h 34, le 11 novembre 2017