Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Beyrouth insight

Najwa Zebian, débris de bobos et peurs en stock

Arrachée à son Liban natal à cause de la guerre, cette jeune poétesse à l'existence exaltée détaille les peines du cœur dans deux livres et sur son compte Instagram, que plus de 500 000 abonnés suivent religieusement.

Photo Saleme Fayad Photography

Claire comme de l'eau de roche. Najwa Zebian est le genre de femme qui se déchausse sans frayeur pour patauger dans la gadoue de la vie et en ressortir, chevelure trempée à tordre, cœur à essorer, mais prête à rebondir, quand tant de frileuses se contentent de rester rencognées et haut perchées sur les stilettos de leurs convenances. Et voilà que la guerrière se fait auteure, son meilleur moyen de sécher ses fêlures au soleil, sur un sable vaporeux qui pourrait être les débris de ses bobos dont elle a enfin réussi à se délester. Le visage, carnation de Mata Hari au rimmel écarquillé, est mis entre les parenthèses de son voile qui ne fait que célébrer des lèvres carminées et surtout ce qui en découle : les textes d'une jeune femme audacieuse qui tire leçons de ses douleurs, armures de ses faiblesses, dans des vers sans affèterie, mais cousus avec tant de cran et de candeur qu'ils en deviennent universels. Ceux-ci ont d'ailleurs déjà fait l'objet de deux recueils fédérateurs (Mind Platter et Nectar of Pain) et de posts réguliers sur son compte Instagram où s'entassent les abonnés par centaines de milliers.

 

Journal-abri
Lucide et pas douloureuse pour un sou, elle en dit : « Je ne suis que le vecteur de quelque chose qui me dépasse. Je suis devenue, sans m'en rendre compte, la voix de ceux qui se sentent impuissants et muets. » Car aphone, Najwa Zebian l'a été depuis l'enfance qu'elle passe dans un village à côté de Rachaya, ballottée par les déménagements incessants de sa famille et le départ de ses parents pour le Canada. La poétesse s'en souvient ainsi : « J'étais la plus jeune d'une fratrie de cinq avec où j'avais du mal à trouver ma place, toujours à l'écart, à l'école aussi où on me rejetait pour être trop sensible. » Ces éclats de mélancolie insondable et qui semblent être gravés dans son code génétique, Najwa Zebian les blottit intuitivement au creux des pages froissées d'un journal intime. Premier contact avec l'écriture. « Je me disais que mes problèmes n'avaient aucune importance aux yeux du monde. Alors cet exercice me soulageait. Mon journal, c'était comme ma maison choisie, un abri réconfortant », confie-t-elle. Cela dit, son arrachement du Liban en 2006 pour cause de guerre provoque un choc sismique sur son papier et coupe l'élan de sa plume prolixe et florissante. La voix ne tremblant qu'imperceptiblement, la jeune femme évoque cet incident : « J'avais perdu tous mes repères et c'est alors que l'écriture devenait une concrétisation de ma douleur, comme si la souffrance coulait partout. Je n'arrivais plus à écrire. ». Cela va durer sept ans.

 

Retour à soi
Au cours de cette période, la jeune fille libanaise sortant de l'adolescence s'écarte de sa prose aigre-douce. Elle fait ses classes de biologie au Canada où elle vit désormais, puis un an d'éducation et devient institutrice dans une école jusqu'au jour où « j'ai eu huit jeunes étudiants libyens qui, comme moi, avaient fui leur pays suite à la guerre. C'est comme ça que j'ai spontanément recommencé à écrire, à leur écrire, c'était mon seul moyen et médium pour les inspirer et les soulager ». Elle prend son courage à deux mains et montre ses poèmes à sa cousine et ses professeurs qui la poussent à monter un blog où elle couche ses peurs dont elle apprend à ne plus avoir peur. Car parallèlement, elle vit une « histoire sentimentale traumatisante » avec un homme aux appétences de loup-garou et dont elle ne filtre rien, à part ce poison adhérent qu'elle réussit à mettre en mots, auxquels son audience grandissante s'identifie. Najwa Zebian parle de la suite : « Tout s'est produit naturellement, et surtout avec beaucoup de pudeur. J'ai créé un compte Instagram où je postais des extraits de mon premier recueil Mind Platter sans jamais me divulguer. »

 

L'éclosion
Ses abonnés (aujourd'hui plus de 500 000) découvrent alors, ou voient, une bouée de sauvetage en cette jeune auteure de 27 ans qui aime marcher au cœur des brasiers, qui déteste qu'on retienne les femmes arabes dans des cachots cotonneux et paisibles sous couvert de pudeur. Ils la suivent, partagent, likent, repostent et se reposent sur ses citations et vidéos où Najwa les prend sous son aile, leur parle de cœurs fracassés et de plaies cicatrisées, de jour nuageux et de soleil pointant. Et même si, de l'autre côté de l'écran, le sol se fissure sous ses sabots qu'on croit de fer, que la tourbe engloutit l'édifice qu'on pense de marbre, elle n'en pipe mot et leur conseille d'empoigner la douleur pour mieux l'endiguer. « D'ouvrir à la peine lorsqu'elle frappe à votre porte », dit-elle, s'adressant à tout un chacun qui s'y retrouve comme par magie. « Les gens se demandaient qu'est-ce que j'avais bien pu vivre pour exprimer leur douleur avec tant de précision. En fait, je crois que suis née à la mauvaise époque, je suis née à 100 ans avec les accélérateurs qui me permettent de deviner et saisir les gens et les sensations intuitivement. » Des accélérateurs qui l'ont justement propulsée sur la tribune d'un TED Talk en octobre dernier et sur les pages d'un second ouvrage. Il a pour nom Nectar of Pain, comme la déclaration d'insolence maintenue d'une aventurière au cœur d'artichaut. Parce que après tout, la force de cette jeune femme, ce sont ses faiblesses.

 

Dans la même rubrique

Nayla Audi, sucré bout de femme

Ray el-Daher, dompteuse d'oliviers

 

Claire comme de l'eau de roche. Najwa Zebian est le genre de femme qui se déchausse sans frayeur pour patauger dans la gadoue de la vie et en ressortir, chevelure trempée à tordre, cœur à essorer, mais prête à rebondir, quand tant de frileuses se contentent de rester rencognées et haut perchées sur les stilettos de leurs convenances. Et voilà que la guerrière se fait auteure, son...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut