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Lifestyle - Beyrouth Insight

Nayla Audi, sucré bout de femme

Vingt ans que Nayla Audi régale le Liban et la Californie avec ses glaces et desserts qu'elle mitonne comme une couturière des saveurs et des parfums. Elle lance aujourd'hui un pop-up à New York et continue d'empoigner son métier avec audace et sérénité sans en faire un plat.

C’est à Los Angeles que Nayla Audi fait pousser « Milk », son second bébé, le cousin américain d’Oslo. Photo DR

Elle a les joues grignotées des gourmands de nouveaux défis, jamais rassasiés, et qui refusent de siester sur leurs lauriers. Une allure ployée sous un maelström de projets mais qu'on sent ébouillantée de tonus. Une cambrure qui ne fait pourtant pas de courbettes, préférant se pencher sur son affaire et saisir à bras-le-corps les embûches et les espoirs, pour remuer le tout sans rien mâcher (ni lâcher) de ses convictions. Une façon de se vêtir de noir généralement, histoire sans doute de ne pas faire d'ombre aux couleurs et arômes de sa planète toute en sucre cimentée. Des yeux nuageux qui grillent leur haut voltage quand vient la titiller une idée, mais se ferment sur les fioritures de ce monde « que je refuse de voir pour me concentrer sur l'essentiel ». Des mèches jais et raides, conformes à sa volonté de fer que rien ne semble pouvoir torsader.

Et puis surtout un nez plus flaireur de hasards à attraper que renifleur d'opportunités périmées. Nayla Audi est une créatrice de glaces et desserts, et une femme d'affaires (autodidacte) comme on en fait peu. Ce n'est pas une chef (d'entreprise) se satisfaisant de resserrer son tablier sur le torse bombé de ses réussites, plutôt une inventrice déglinguée, une laborantine aux sucreries érudites, qui essaye et fonce, innove et passe à autre chose, cherche et se perd parfois, mais toujours pour mieux se retrouver.

 

Entamer une seconde vie
En lieu et place de jouer à la poupée, cet enfant unique traînait déjà dans les fourneaux de ses grands-parents, où l'on mijotait des tartes saisonnières et autres desserts, le Vacherin entre autres, sa madeleine proustienne dont « je suis encore la recette ! ». Ce penchant pour les papilles ne cessera de la tirer par la manche alors qu'elle fait ses classes de politique à New York et qu'elle passe son temps à réaliser les recettes du New York Times. Elle s'en souvient de la sorte : « Je me suis toujours adaptée au registre du pays, je mange comme on le fait sur place, cuisine pareil. Je n'ai d'ailleurs jamais cherché à reproduire les saveurs du Liban aux États-Unis. » Au milieu des années 90, elle est de retour à Beyrouth après un exil forcé à Los Angeles dont elle dit : « Nous sommes devenus citoyens du monde sans trahir Beyrouth, c'est le seul cadeau de la guerre. Si j'ai surtout développé une relation avec Los Angeles, c'est parce que cette ville ne ressemble pas du tout à la mienne. » Nayla Audi s'improvise alors pâtissière comme on entame une seconde vie. À partir de sa cuisine, elle enfourne des macarons qu'elle imagine glacés, fait surgir de ses rêves (d'enfant) une cavalcade de glaces et sorbets aux parfums improbables, et fricasse le tout de son aplomb coloré. « Plus que mon métier ou ma passion, c'est mon langage, ma manière de m'exprimer », avoue-t-elle avec une gourmandise que le temps n'a pas réussi à édulcorer.

 

Dévorer le monde de ses yeux
Très vite, la chantilly monte, au propre comme au figuré, alors qu'Oslo, l'emblème sous lequel la Libanaise place ses créations sucrées, « est devenu sérieux » – plus de 80 parfums de glace, 300 biscuits et 20 employés à ce jour. « Mais je ne me suis jamais rendu compte de l'ampleur des choses. Chaque chose partait de la maison, de façon très artisanale. Après avoir été approuvé par ma mère, ma tante et mes deux filles, c'était mis sur le marché », confie-t-elle avec une franchise sans fards. Ceci dit, aussi rêveuse qu'elle puisse être, Nayla Audi n'a pas les yeux plus grands que le ventre. C'est une femme qui a le compas dans l'œil pour ce qui est des estomacs d'aujourd'hui ; ces bedons modernes et jouisseurs, pointilleux mais décontractés, régressifs et récréatifs, et dont elle saupoudre les fantasmes de ses Angel Food Cakes cotonneux, glaces arc-en-ciel et tartes inimitables pour lesquels on joue du coude dans ses échoppes de Mar Mikhaël et Verdun. Nonobstant, elle doit surtout sa réussite au fait qu'elle est à la fois un paladin du sucré, « je suis maniaque par rapport à la qualité » au tempérament bien trempé mais jamais enrobé de ganache, mais aussi l'une des rares à vouloir révolutionner l'univers kitsch-baroque du dessert comme on l'entend localement.

 

La conquête des États-Unis
Réputée pour ses appétences de fer quand il s'agit de challenges, c'est à Los Angeles que Nayla Audi fait pousser Milk, son second bébé, le cousin américain d'Oslo. « J'ai vu une enseigne à louer et je me suis dit : allons-y, histoire de voir ce que vaut ma glace dont j'ai décliné des parfums californiens. ». Et de poursuivre : « Je suis aveugle au risque en quelque sorte, j'ai envisagé chacun de mes projets comme des certitudes car je pense que la peur (du risque) coupe les ailes. » Deux points de vente à West Hollywood et Silver Lake où, filtrant l'air du temps pour en faire des Ice Cream Sandwiches, cookies et gâteaux décapants et chatoyants, elle insuffle son ADN ludique, doux et soigné dans un univers culinaire longtemps alourdi de junk et aujourd'hui prosterné devant la nourriture prétendument saine et sans goût.

Croquant ainsi le monde de ses yeux intransigeants, la dame mappemonde ne relève pas le talon de l'accélérateur de projets et passe à la vitesse supérieure : « Il fallait que je m'adapte à l'évolution du marché aux États-Unis qui glissent vers la livraison en ligne. D'où le lancement du site de vente en ligne qui permettra une livraison en moins de 12h sur tout le territoire américain. » Pour ce faire, elle a choisi New York pour un pop-up qui aura lieu entre le 22 et le 25 juin, au 52, Kenmare Street, de midi à minuit. Elle y introduira ses desserts (dont la nouvelle saveur thé vert et rose accordée à la Grande Pomme) sur la côte Est, « qui pourra ensuite se les procurer en un clic », résume ce sacré bout de femme. Rapide, clair, net et précis, à l'image de son succès dont elle dit : « Je n'en sais rien... Quand on comprend, on perd quelque chose de cette magie. »

 

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