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Idées - Recherches

De la gestion du pluralisme dans le monde arabe

Antoine Messarra.

Après la déclaration d'al-Azhar du 1er mars 2017 sur le sujet « Citoyenneté et vivre-ensemble dans le monde arabe », la conférence internationale qui vient d'être organisée par l'Université américaine du Caire (AUC) et Ibn Khaldun Center for Development Studies sur « la gestion du pluralisme et sa problématique au Moyen-Orient » apporte une méthodologie en vue de recherches et d'actions qui devraient contribuer à la protection et au développement du patrimoine séculaire arabe de pluralisme.

La conférence s'est tenue avec la participation de plus de 40 spécialistes et jeunes chercheurs de trois pays occidentaux (États-Unis, Grande-Bretagne, Italie) et de six pays arabes (Égypte, Liban, Irak, Yémen, Tunisie, Maroc), dans un contexte marqué par le fait que les sociétés arabes sont ravagées par des guerres internes ou externes par procuration, et connaissent des mutations révolutionnaires ou des processus complexes de transition démocratique.

Le pluralisme est aujourd'hui une réalité indéniable : « 60 % des États connaissent un pluralisme religieux et culturel à des niveaux variables » (Bahgat Korany, Égypte). Aussi, l'Université américaine du Caire est concernée par « l'étude d'un problème sensible qui exige une continuité dans son traitement » (Francis Riccardone, président de l'AUC). Le caractère sensible de ce problème est illustré par le fait que depuis plus de vingt ans, le Ibn Khaldun Center for Development Studies a essayé d'organiser un congrès sur le pluralisme dans le monde arabe, mais il n'a pu le réaliser qu'à Chypre !

 

(Lire aussi : Harès Chéhab : « Le rapport entre le spirituel et le temporel se révèle être un véritable enjeu de civilisation »)

 

On compare la mentalité arabe dominante aux étapes du deuil où « la personne affectée traverse cinq étapes : la dénégation, le refus, le questionnement, la morosité, la soumission au destin inévitable... ou l'émergence de l'espoir. Le paysage dans ce cadre est tragique. Nos États vivent la dénégation, la morosité et l'attente... et le coût est particulièrement lourd : des millions de victimes. La raison profonde d'une telle situation est l'absence de liberté, et ceux qui aspirent à la liberté se taisent (Abdel Moneim Said, Égypte).

Quelle méthodologie faudrait-il suivre pour la recherche et la gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel (Barbara Ibrahim, Égypte) ? La confusion entre trois niveaux sur ce plan débouche sur des erreurs de diagnostic et de thérapie. Il est donc nécessaire de distinguer entre trois niveaux :
– le niveau juridique, qui comporte les aménagements constitutionnels et législatifs relatifs au pluralisme et ses garanties judiciaires ;
– le niveau culturel, qui porte sur les rapports entre les composantes de la société, la culture, la citoyenneté, le patrimoine de tolérance et d'accommodement, les valeurs, transmis par les divers moyens de socialisation ;
– le niveau politique, qui comporte les règles de la compétition politique et l'exploitation par les élites au pouvoir des clivages religieux, culturels et socio-économiques.

 

(Lire aussi : Al-Azhar, radicalisme et modération)

 

Le patrimoine constitutionnel arabe et islamique se fonde sur le pluralisme juridique dans des domaines délimités relatifs au statut personnel et à l'enseignement à travers des régimes de millet ou de fédéralisme personnel. Ces régimes sont susceptibles d'être modernisés en vue de les rendre conformes aux principes généraux de la démocratie et des droits de l'homme.

On distingue dans ce contexte entre le pluralisme dur et le pluralisme souple (Bahgat Korani, Égypte). Cette distinction se dégage des études sur la perception du pluralisme. Ce dernier est extrême dans certains cas quand l'individu naît, grandit, va à l'école, exerce un métier, se marie, meurt et est inhumé au sein de sa communauté. Par contre, le pluralisme intégré est régi par la notion de multiappartenance (overlapping memberships) au cas où, par exemple, un Libanais maronite naîtrait à Jounieh, habiterait et irait à l'école à Beyrouth, exercerait une profession à l'Ouest de Beyrouth, se marierait avec une fille de la région du Chouf, serait membre du parti Kataëb, membre de l'ordre des ingénieurs, possèderait une propriété dans la Békaa... Cette multiappartenance est facteur d'interaction et de médiation en vue de concilier entre des appartenances entrecroisées.

Il n‎'y a pas lieu de craindre le pluralisme dans le monde arabe, surtout qu'il n'y a pas dans cette région de courant séparatiste. Le cas libanais, en dépit des conjonctures, offre un exemple concret d'intégration sans contrainte, en cas de reconnaissance et de légitimation des allégeances primaires.

 

(Lire aussi : François apporte sa caution à l’imam d’al-Azhar : un pari audacieux)

 

Après le recul des idéologies conventionnelles du passé, les religions sont exploitées en tant qu'idéologies de mobilisation politique par des marchands du temple qui envahissent aujourd'hui tous les temples. L'expression munâfiqûn (hypocrites, imposteurs) figure plus de vingt fois dans le Coran. Les munâfiqûn sont à l'exemple de pharisiens et de docteurs de la loi dans l'Évangile.

L'un des intervenants à la conférence précitée a souligné que » le plus souvent, quand quelqu'un commence son palabre par un verset du Coran, soyez sûr qu'il va parler de politique et instrumentaliser la religion. On parle de chiites yéménites. Mais il n'y a pas de chiites au Yémen ! « (Khaldoun Bakhail, Yémen). L'impact de la politologie de la religion et de l'instrumentalisation des clivages est moindre quand il existe une cadre juridique garantissant les libertés et la sécurisation psychologique.

Le pluralisme n'est pas seulement un problème fondamental, mais une cause prioritaire au Moyen-Orient qui regroupe 5 % de la population mondiale mais qui subit plus de 21 % des conflits mondiaux et se trouve menacé de somalisation » (Bahgat Korani, Égypte).

Cependant, le pessimisme à outrance dans le monde arabe est exagéré : « Le printemps arabe est un vrai printemps en dépit de tout ce qu'il endure, car il a brisé le mur de la peur » (Saad Eddine Ibrahim, Égypte). Quant à la situation libanaise, elle exige un haut niveau de sagesse au plan du diagnostic et de la thérapie, car « le Liban a été plongé dans les conflits de la région » (Abdel Moneim Said, Égypte).

 

Membre du Conseil constitutionnel. Titulaire de la chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, USJ

 

 

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diagnostic parfait. la question eternelle : PAR QUI, COMMENT, QUAND la therapie ?

Gaby SIOUFI

12 h 22, le 27 mai 2017

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  • diagnostic parfait. la question eternelle : PAR QUI, COMMENT, QUAND la therapie ?

    Gaby SIOUFI

    12 h 22, le 27 mai 2017

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