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Culture - Bipod 2017

La Médée de Thomas Noone, ou la maturité d’un mythe...

La 13e édition du festival de danse a tiré sa révérence samedi, devant un parterre de fidèles.

Photo Manu Lozano

Citerne Beyrouth peut être satisfaite. D'abord, d'avoir réussi l'exploit de monter un espace en moins d'un mois (malgré quelques couacs techniques), ensuite, d'avoir offert au public libanais un florilège de spectacles locaux et internationaux de danse contemporaine, réunissant des compagnies connues dans le monde entier, provenant de Suisse, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, d'Allemagne et de Suède, et qui ont transporté ce public averti. C'est avec l'Espagne et la troupe du chorégraphe Thomas Noone, qui a présenté sa propre version de Médée, l'une des histoires de trahison les plus dramatiques jamais écrite, que Bipod a clôturé deux semaines de performances.

Généalogie

Pour les derniers de classe en mythologie, un petit récapitulatif de ce mythe si souvent revisité, et particulièrement au Liban cette année, que ce soit dans le cadre du Festival al-Bustan, de l'édition 2017 de Bipod, ou de la pièce de théâtre Jogging de Hanane Hajj Ali. De quoi se poser la question : après avoir été réhabilitée par les dieux de l'Olympe, Médée serait-elle aujourd'hui en train de devenir un archétype social ?
La première version attestée du mythe est donnée par Hésiode et sa théogonie : elle relate essentiellement la généalogie de Médée, sa rencontre avec Jason, chef des Argonautes parti à la quête de la Toison d'or. Médée, dotée de pouvoirs magiques, en tombe amoureuse, l'aide dans son entreprise en lui faisant promettre de l'emmener et d'en faire son épouse. L'histoire commence comme un conte de fées et se termine dans un bain de sang. Médée, abandonnée par Jason qui lui a préféré une autre femme, jette un sort à celle-ci et assassine les deux enfants qu'elle a eus de Jason pour se venger.

« Reality shows »

Thomas Noone, né à Londres, avoue avoir eu une enfance très académique : « La danse n'était pas du tout mon domaine de prédilection, et j'avais choisi plutôt de me diriger vers des études scientifiques. Durant des vacances d'été dans les îles Caraïbes d'où ma mère est originaire, je découvre la Jamaïque et sa culture : la danse. Je m'inscris à un cours, histoire de m'amuser, et décide, de retour à Londres, de terminer mes études en géologie avant de m'adonner à cette passion naissante. Après avoir été engagé dans une compagnie de jazz, ma voie est tracée. »

Thomas Noone se produit aux Pays-Bas quand il rencontre celle qui deviendra son épouse, danseuse de formation classique. Il décide de la suivre dans son pays en partant s'installer en Espagne. En 2001, il crée sa propre compagnie. Un producteur lui propose un jour de se pencher sur le mythe de Médée, et Thomas Noone de répondre : « Je ne fais pas dans la danse narrative, mais plutôt dans l'expressionnisme. » Mais des années plus tard, Médée, en bonne magicienne, revient hanter son esprit, et il réalise qu'elle répondait bien à ses exigences : « Ce qui intéressant dans ce mythe, c'est qu'il présente plusieurs lectures possibles : d'un côté l'apothéose du mal avec la démence et la perversion, et de l'autre, le complexe des femmes abandonnées et humiliées, qui trouvent dans le meurtre la castration du père et peut-être une autodestruction. Pour moi, Médée est une femme à forte personnalité, qui prend en charge son destin », juge le chorégraphe.
« On a toujours offert ce genre de rôle aux hommes, alors pourquoi ne pas honorer les femmes ? L'histoire de Médée est certes tragique, mais aujourd'hui, dans ce monde de violence, on n'est pas très étonné, face aux reality shows américains, de constater que cela peut encore arriver. »

Zéro respect

Dans cette version du mythe retrouvé, Thomas Noone avoue utiliser un langage de danse très physique, où la gestuelle est hautement athlétique et où les personnages rivalisent entre eux grâce à l'utilisation d'échanges complexes, présentant un contraste entre fragilité et puissance, et sensualité et bestialité. Ils se portent témoins de l'amour, de la haine, de l'admiration et du mépris, et leurs compétences et leurs efforts sont renforcés par une bande sonore électronique enrichie d'influences urbaines contemporaines. « J'ai construit mon spectacle non pas dans une linéarité, mais plutôt dans une dynamique puissante, celle-là même qui dicte la vie de Médée. On peut ne pas connaître histoire, mais rester sensible au visuel des corps qui évoluent dans l'espace, qui se déchirent et qui se transcendent. »

D'ailleurs, toute la thématique du chorégraphe gravite autour de la perception. « Comment perçoit-on les choses autour de nous et qu'est-ce qui nous pousse à agir dans des situations extrêmes? se demande-t-il. Souvent, notre conditionnement social dicte nos comportements et nos décisions. Il est vrai que l'idée de la trahison est omniprésente, mais personne dans l'histoire n'est digne de respect: Jason est un homme faible qui utilise les femmes, Créon est un roi égocentrique, et Glaucé est une femme objet. »

Et si on allait plus loin que l'histoire et qu'on (se) posait une question : dans la légende, Médée n'a pas été punie pour ses actes, alors pourquoi devrions-nous dénigrer ce mythe puissant plutôt que de le chanter ou de le danser ?


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