Un mot pour un duel. Un mot que se disputent deux candidats que tout oppose. Un mot qui résume assez bien l'enjeu du second tour de l'élection présidentielle entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron : patriotisme.
Les deux finalistes tentent, à qui mieux mieux, d'apparaître chacun comme le défenseur des patriotes. Sauf qu'ils lui attribuent chacun leur propre définition, en opposition à celle de l'autre.
Dimanche soir, la candidate d'extrême droite a lancé « un appel à tous les patriotes sincères » pour le second tour et a appelé au « rassemblement le plus large des patriotes », le lendemain sur France 2, avec l'intention non voilée d'aller chercher l'électorat de Jean-Luc Mélenchon. Le terme « fait partie des éléments de langage récurrents » du Front national, rappelle Julien Longhi, professeur de linguistique à l'université de Cergy-Pontoise.
Le candidat centriste s'est, quant à lui, revendiqué dimanche en tant que « président des patriotes face aux nationalistes ». Le candidat d'En Marche ! a volontairement exhumé un terme devenu, au fil du temps, omniprésent dans la dialectique de l'extrême droite, pour affronter son adversaire sur ses plates-bandes.
Un patriote est quelqu'un « qui aime ardemment sa patrie et le prouve par ses actes », selon la définition du Larousse. Dans un contexte où la France a été touchée par de sanglants attentats en 2015 et en 2016, mais aussi au moment où l'Europe est fragilisée par le Brexit et la montée des nationalismes, la résurrection du mot, qui n'avait pas occupé une telle place dans le discours des candidats en 2012, n'est pas vraiment surprenante. Avec une interrogation sous-jacente qui rythme pour l'instant le second tour : qui est le plus à même de défendre le mieux le peuple français ? « Pour certains, la patrie est quelque chose de figé, en tant que territoire où l'on naît, avec une dimension culturelle et identitaire assez forte. Pour d'autres, il s'agit d'une construction d'une communauté, un organisme vivant. Et le mot patriote peut être lié au contexte révolutionnaire de l'ancien régime », explique le linguiste. En 1789, les patriotes étaient les partisans des idées nouvelles de la révolution, par opposition aux aristocrates.
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Mot neutre
« Il y a deux mots qui ne sont pas prononcés dans la campagne, c'est libéralisme et nationalisme. Ce sont deux mots structurants et qui sont jugés comme honteux ou difficiles à prononcer », estime de son côté la sémiologue Mariette Darrigrand, à la tête du cabinet Des Faits et Signes, spécialisé dans l'analyse du discours médiatique. « Il y a un moment où tout le monde peut se retrouver sur un même mot neutre, et le mot "patriote", c'est le mot neutre ou positif », poursuit-elle.
En utilisant le terme « patriotes », Marine Le Pen pioche dans le lexique habituel du FN. Mais face à son adversaire actuel, elle tend par ce biais à montrer qu'elle est la voix du peuple contre celle des élites, contre la « mondialisation sauvage » dont le fer de lance serait Emmanuel Macron, selon elle. Depuis plusieurs mois, la candidate frontiste « utilise le mot patriote dans son sens à elle, c'est-à-dire souverainiste, voire nationaliste », poursuit Mariette Darrigrand. Le slogan de l'affiche du deuxième tour de la candidate du FN est on ne peut plus clair : elle appelle à « choisir la France », mêlant ainsi sa candidature au choix de sa patrie, et laissant entendre que son adversaire sert les intérêts étrangers.
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A contrario, Emmanuel Macron appelle à voter pour lui en usant d'un slogan fédérateur : « Ensemble pour la France ». « Il n'y a pas plusieurs France, il n'y en a qu'une, la nôtre, la France des patriotes dans une Europe qui protège et que nous aurons à refonder », a-t-il déclaré lundi devant ses partisans. Le candidat centriste contre-attaque, de manière assez subtile, face aux tentatives de sa concurrente de le dépeindre comme le candidat de la « mondialisation sauvage ».
« En cherchant son adversaire politique sur son terrain, il essaie de la dessaisir de ce terme emblématique », analyse Julien Longhi. Il tend également à revenir à l'essence du mot, en rappelant que le parti d'extrême droite n'a pas l'apanage du patriotisme. Un sentiment partagé par Mariette Darrigrand, qui estime qu'Emmanuel Macron « ne veut pas laisser ce mot très positif à Marine Le Pen ». Un pari difficile pour M. Macron tant le Front national a réussi à imprimer sa patte « patriotique » dans l'imaginaire collectif. « C'est toujours compliqué d'aller sur un terrain qui est déjà bien balisé par le FN, parce qu'on sait qu'il y a une rhétorique, et des éléments de langage très rodés », rappelle Julien Longhi. Emmanuel Macron a d'ores et déjà fait le distinguo entre le « patriotisme ouvert » et « volontaire » face au « nationalisme étriqué » de Marine Le Pen, comme lors d'un déplacement dans une municipalité FN du département de l'Aisne, en mars dernier. « Le patriotisme, c'est d'abord l'amour des siens ; le nationalisme, c'est d'abord la haine des autres », disait Romain Gary. De cette bataille sémantique, mais surtout idéologique, ne sortira qu'un seul vainqueur le 7 mai prochain.
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11 h 30, le 28 avril 2017