21 avril 2002. Marine Le Pen exulte, elle vient d'apprendre la qualification de son père Jean-Marie Le Pen pour le second tour de l'élection présidentielle française, avec près de 17 % des voix. « C'est la naissance de quelque chose », prédit-elle. À l'époque, c'est un séisme, un choc ressenti dans toute la France. Après une mobilisation massive, le candidat du Front national finit par perdre face à Jacques Chirac, qui obtient plus de 82 % des suffrages.
23 avril 2017. Quinze ans plus tard, celle qui est aujourd'hui la présidente du FN est, elle aussi, qualifiée pour le second tour de la présidentielle. « Nous pouvons gagner, et je vais même vous dire mieux, nous allons gagner », a-t-elle asséné hier. Mais le séisme n'en est pas un, ou, en tout cas, n'est pas celui que l'on pense. La surprise n'est pas le fait que Marine Le Pen, à la tête du FN, ait engrangé 21,30 % des voix. Cette fois-ci, les deux partis qui ont dominé la Ve République, les socialistes et la droite, sont tous deux éliminés du scrutin, et les deux candidats qui doivent se faire face n'appartiennent aucunement à ces deux camps.
Car le Front national n'est plus un parti tabou. Plusieurs éléments ont contribué à son ascension dans le paysage politique français, et sa percée dans la présidentielle était attendue. Certains observateurs se sont même étonnés qu'il ne soit pas en tête des scores. C'est dire l'ancrage du parti d'extrême droite sur l'échiquier politique français, qui n'est pas loin de devenir un parti comme les autres, ou presque.
Une crise économique mondiale dont les effets se font encore ressentir, celle de la zone euro, une mondialisation qualifiée de « malheureuse » par Thomas Guénolé, politologue et chercheur à Sciences-Po (Paris), des vagues d'immigration extraeuropéennes, le danger de l'autre... Autant de facteurs qui entrent en jeu lorsqu'il s'agit d'expliquer la montée en puissance d'un parti qui cherche pourtant à se « dédiaboliser », selon ses propres termes, depuis plusieurs années déjà. L'Union européenne est plus faible que jamais, le Brexit est en cours, Donald Trump est aujourd'hui président des États-Unis, les mouvements anti-immigration et la xénophobie connaissent une forte expansion un peu partout, facilitée par des attentats en série, perpétrés sur le sol européen par des Européens.
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Stratégie de normalisation
La stratégie de normalisation du parti prend de la vitesse lorsque Marine Le Pen prend la tête du parti en 2011. Il s'agit de rendre le discours FN acceptable, sinon respectable, moins ringard, moins antisémite. La tactique finit par payer, et le FN devient omniprésent dans le débat public. « L'effort consiste à utiliser une figure de style, qui est la périphrase », explique Thomas Guénolé à L'Orient-Le Jour. « Il ne faut pas dire "j'ai un problème avec les Arabes", mais "l'islam n'est pas compatible avec la République", "Il faut défendre la laïcité", "Je veux défendre les racines chrétiennes de la France", etc. », énumère le politologue, qui parle de « novlangue lepéniste » pour désigner le simple fait d'être contre les immigrés de toute génération.
Aujourd'hui, la réaction à la poussée du FN est bien plus molle qu'en 2002. Entre-temps, le parti a fait son retour à l'Assemblée générale, après quelque trente ans d'absence, a fait son entrée au Sénat, et a cumulé les succès aux élections municipales et européennes de 2014.
Le parti d'extrême droite s'inscrit dans le débat public, y devient omniprésent. Sa présence sur les plateaux de télévision, les entretiens donnés par ses membres aux journalistes de tous bords, le fait que des éditorialistes développent des thèses d'extrême droite contribuent à la banalisation du FN et de sa présence, estime M. Guénolé, qui donne l'exemple de l'hebdomadaire Valeurs actuelles. « On ne peut plus les ignorer. Mais ne plus ignorer est une chose, leur servir la soupe en est une autre », remarque le politologue.
(Lire aussi : Le duel Le Pen-Macron oppose deux visions de l’économie aux antipodes)
Une forte mobilisation générale contre les succès électoraux du FN n'est plus possible dans ce contexte. Et cette banalisation, au lieu de rendre le discours du FN moins marquant, lui confère, au contraire, une légitimation inespérée.
Toutefois, dire que le succès de Marine Le Pen lors de ce premier tour est entier reste inexact. Bien qu'historique, son score est moins élevé que prévu. La crédibilité de la candidate du FN n'est pas intacte, sa campagne n'a pas été à la hauteur, selon plusieurs observateurs. Hier encore, Jean-Marie Le Pen a affirmé à Europe 1 qu'il aurait souhaité « une campagne plus dynamique, plus agressive et moins convenue, plus française ». Mais même si elle perd au second tour face au centriste Emmanuel Macron, ses succès futurs pourraient dépendre de ses résultats aux élections européennes de 2019 et lui ouvrir de manière définitive la voie de l'Élysée en 2022, observent déjà certains commentateurs. D'ici là, la menace FN reste, plus solide que jamais.
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commentaires (5)
Les français qui souffrent , dans les campagnes et dans secteurs industriels, de la mondialisation ( et européanisation même ) a laquelle ils n'ont pas su ( pas pu, ) résister...sont des adeptes du FN , non pas par idéologie ou même politique...ne font plus trop attention à la dangereusite des thèses FNAC Pratiquement "abandonnés à eux mêmes par des gouvernements élitistes", ils sont prêts à aller dans quelconque direction ou ils voient "une faible lumière" Alors il n'est pas insensé de craindre "une revanche des laisses pou compte" revanche déjà proposée par Mélanchon ( qui n'ayant pas de base électorale à échoue dans le soulèvement des petites gens) Il pourrait y avoir une surprise!
Chammas frederico
14 h 16, le 25 avril 2017