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Liban - Grille des salaires

Les magistrats haussent le ton pour défendre leurs droits acquis

L'Agenda légal dénonce un tournant dangereux en matière d'indépendance judiciaire.

Il a fallu que les magistrats haussent le ton et décident de suspendre le gros de leurs activités pour se faire entendre. Les décisions envisagées par le Parlement de charcuter une partie de leurs acquis n'a pas du tout plu au corps de la magistrature.

Rejointe par la protestation de l'ordre des avocats de Beyrouth et de Tripoli, la grogne des magistrats semble avoir donné ses résultats : hier des « promesses sérieuses » ont été faites au Conseil supérieur de la magistrature. Elles consistent, pour les parlementaires qui doivent se réunir de nouveau aujourd'hui pour adopter le projet de loi sur la grille des salaires, à revenir notamment sur leur décision de déléguer au gouvernement le pouvoir d'envisager l'annulation de certaines aides financières dont bénéficiaient les juges par le biais de leur mutuelle, une manière pour l'exécutif de brandir l'épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

L'Assemblée, qui poursuivra aujourd'hui l'examen des ressources devant alimenter le paiement de la grille des salaires, va également reconsidérer, promet-on, sa décision initiale de réduire les vacances judiciaires de deux à un mois. Au final, et suite aux tractations qui ont eu lieu hier entre le CSM et de hauts responsables politiques, on a préféré couper la poire en deux : les juges, mais aussi les avocats se verront donc attribuer un mois et demi de vacances, d'où une réduction de deux semaines de repos seulement au lieu de quatre.

 

(Lire aussi : Grille des salaires, loi électorale : l'heure de vérité)

 

 

Violations multiples
Mais, au-delà des détails concrets qui ont motivé la fronde des magistrats, c'est la violation de principes autrement plus fondamentaux que conteste le CSM, notamment le fait qu'il n'a pas été consulté par les parlementaires sur des questions qui concernent directement les magistrats. « Une obligation que prévoit l'article 5 de la loi sur l'organisation judiciaire », fait remarquer le président du CSM, le juge Jean Fahd, rejoint en cela par les membres de la Legal Agenda, une ONG qui œuvre pour la réforme judiciaire.

Dans un communiqué, l'association a clairement contesté le fait que les politiques ont pris le pli de passer outre l'avis du CSM et de légiférer sans le consulter au préalable, une pratique qui foule au pied aussi bien la loi concernée que le prestige de l'institution.
« Parfois ils ignorent l'obligation de prendre notre avis. Et lorsqu'ils le font, ils ne le prennent même pas en considération », ironise à son tour le juge Fahd, dans un entretien à L'OLJ. Contestant l'argument « de la nécessité d'une plus grande productivité, avancée pour justifier la réduction des vacances judiciaires, le juge Fahd tient à souligner que le problème de la lenteur de la justice n'est pas dû à ces deux mois de vacances », mais à plusieurs autres facteurs tels que les retards liés à la procédure en vigueur. « Il ne faut pas non plus oublier que le budget alloué à la justice ne dépasse pas les 0,27 pour cent de l'ensemble du budget de l'État », précise le magistrat.

 

(Lire aussi : Les hésitations de la Chambre, entre la grogne populaire et la détermination du gouvernement...)

 

La productivité des juges
Déplorant l'accumulation des dossiers devant les tribunaux et une lenteur judiciaire devenue accablante pour les citoyens, un haut responsable de l'État qui a requis l'anonymat avalise le principe de la réduction des vacances judiciaires, affirmant que « les juges devraient même renoncer à ce privilège pour mettre les bouchées double et liquider la pile de dossiers qui s'amoncellent sur leurs bureaux et devant les tribunaux ».

Pour le président du CSM, les critères de productivité sont complexes selon les types de tribunaux en cause, le nombre de magistrats qui y sont affectés et la nature des dossiers en examen. Le juge Fahd affirme à ce propos qu'un bureau ad hoc sera bientôt mis en fonction pour effectuer des statistiques sur le taux de productivité en moyenne de chaque juge, et ce sur l'ensemble du territoire libanais.

Autre décision objectée par les juges et dénoncée avec virulence par l'Agenda légal, celle de la fusion des deux corps de métiers, celui des magistrats et des fonctionnaires qui font l'objet d'un seul et même texte de loi en matière de grille de salaire, une pratique qui bafoue le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, et place les juges en position inférieure par rapport aux fonctionnaires.
« Non seulement il est prévu que les fonctionnaires de la première catégorie touchent un salaire supérieur à celui d'un juge de première catégorie (5 220 000 LL pour l'administratif contre 4 100 000 LL), mais ces ajustements vont figurer dans un même texte de loi, ce qui va à l'encontre de la loi en vigueur, note un communiqué publié par l'Agenda légal. L'association rappelle qu'aucune mesure parallèle prévoyant le réajustement des salaires des juges n'a été prise pour compenser ce fossé. C'est donc le principe sacro-saint de l'indépendance financière des juges qui a été bafoué. »

« S'il est avalisé par le Parlement, ce projet de loi constitue un tournant dangereux dans notre système constitutionnel et légal », commente le fondateur de l'association, Nizar Saghiyé. « Il est interdit de toucher à l'indépendance financière des juges qui reste un critère-clé de l'assainissement du travail judiciaire et la sauvegarde de la justice », commente à son tour Myriam Mehanna, avocate et membre du conseil d'administration. « Il faut que les juges puissent obtenir suffisamment de ressources pour les soustraire à la tentation d'aller s'enrichir auprès des politiques ou auprès d'autres sources », conclut Mme Mehanna.

 

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