Rechercher
Rechercher

Liban - En toute liberté

Samir Frangié et l’homme nouveau

Le grand philosophe disparu René Girard constatait que « c'est ce qui reste de chrétien dans les sociétés modernes qui les empêche d'exploser ». De la même manière, on peut dire que c'est ce qui reste en lui de convivialité qui empêche le Liban de s'effondrer. Nous dansons, depuis longtemps, sur un volcan.
Décernant lundi l'insigne de commandeur de la Légion d'honneur à Samir Frangié, l'ambassadeur de France, Emmanuel Bonne, a comparé la réconciliation nationale inlassablement poursuivie par Samir Frangié, qui milite aujourd'hui pour une « alliance des modérés », à une lutte de libération nationale. Ce rapprochement est lourd de sens.

Comme toute une génération d'intellectuels, Samir Frangié a rêvé de révolution et de l'avènement d'une société plus juste. Comme elle, il a cru un moment en la transformation du monde, promise par Karl Marx. Mais au fil des années et des désillusions, comme au spectacle interminable de la violence qui ravageait la planète, il a appris aussi, comme (presque) tout le monde, que l'aspiration à la transformation du monde par un changement des rapports économiques entre les classes est un vœu pieu, quels que soient les efforts déployés pour l'obtenir, si le cœur de l'homme n'est pas d'abord transformé. La plus grande erreur du marxisme, a-t-on tous appris, n'est pas économique, mais anthropologique. C'est une espèce de croyance naïve en la bonté innée de l'homme, héritée de Jean-Jacques Rousseau, au nom de laquelle toutes les atrocités seraient permises.

 

(Lire aussi : Le « Bey rouge » ou le Liban de toujours)

 

À cette erreur, le philosophe russe Nicolas Berdiaev a répondu une fois pour toutes dans son ouvrage De l'esclavage et de la liberté de l'homme. « Toute grande révolution, écrit-il, a la prétention de créer un homme nouveau. Or la création d'un homme nouveau est une entreprise infiniment plus grande, plus radicale que la création d'une société nouvelle. On voit bien, à la suite d'une révolution, se constituer une société nouvelle, mais on chercherait en vain l'homme nouveau. C'est en cela que consiste la tragédie de la révolution, son échec fatal. On peut dire que toutes les révolutions ont, dans une certaine mesure, échoué par la faute du vieil Adam qui réapparaît sous un vêtement neuf à la fin de chaque révolution. C'est le vieil Adam, l'homme du péché, qui fait aussi bien la révolution que la contre-révolution. » (De l'esclavage et de la liberté de l'homme, Nicolas Berdiaev, p. 253, DDB,1990).

« L'histoire nous révèle (...) à quelles cruautés démentielles ont été conduits ceux des maîtres de l'heure qui croyaient voir s'ouvrir au bout de leur effort la porte de la cité parfaite : l'utopie engendre la tyrannie et la terreur », a écrit l'historien Henri-Irénée Marrou. « Nos institutions demeureront toujours imparfaites ou ambiguës, nos civilisations inachevées et pour finir mortelles », ajoute-t-il, comme pour illustrer la proposition de Berdiaev.

On met rarement en avant la foi chrétienne de René Girard, cité plus haut, qui a fourni à Samir Frangié l'une des clés d'interprétation du cycle infernal de la violence dont il parle dans son ouvrage Voyage au bout de la violence. Dans le christianisme, démontre Girard, cette violence a été totalement absorbée par le sacrifice de la croix, celle de l'innocent qui retourne la violence contre lui-même, pour l'épuiser. Dans le christianisme, peut-on ajouter, l'aspiration à la paix, la soif de paix, correspond à quelque chose en ce Dieu même qu'on invoque. Car, dans toutes les religions, c'est l'homme qui cherche Dieu, mais dans le christianisme, c'est Dieu qui cherche l'homme. Et la foi s'y révèle comme la rencontre de deux soifs, celle de l'homme pour la paix qui se trouve en Dieu, et celle de Dieu pour le cœur des hommes.

C'est ainsi que le combat de Samir Frangié rejoint celui de l'Église, que les deux dimensions politique et religieuse se recoupent, et que, comme le laisse entendre Emmanuel Bonne, la « lutte de libération nationale » rejoint « la réconciliation » de l'homme avec son frère, sous le regard de Dieu.

 

Lire aussi

Samir Frangié élevé au rang de commandeur : la nouvelle bataille pour la paix est lancée

Samir Frangié à « L'OLJ » : Il est temps de jeter les bases d'un autre Liban, un Liban de paix

L'exemple de l'homme libéré, l'hommage de Hassan RIFAÏ

Au survivant de nos espoirs, l'hommage de Marwan HAMADE

Égalité et liberté, l'hommage de Farès SOUHAID

Semence d'une rencontre, l'hommage de Mgr Youssef BéCHARA, évêque émérite d'Antélias

La gageure Samir Frangié, l'hommage de Farès SASSINE

Samir, ou la résilience du lien, l'hommage de Saad HARIRI

L'aube doit être proche, l'hommage d'Amin MAALOUF

L'autre Liban..., l'hommage de Mohammad Hussein CHAMSEDDINE

Un cerveau novateur, pionnier de l'autocritique..., l'hommage de Saoud EL-MAWLA

Le grand philosophe disparu René Girard constatait que « c'est ce qui reste de chrétien dans les sociétés modernes qui les empêche d'exploser ». De la même manière, on peut dire que c'est ce qui reste en lui de convivialité qui empêche le Liban de s'effondrer. Nous dansons, depuis longtemps, sur un volcan.Décernant lundi l'insigne de commandeur de la Légion d'honneur à Samir...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut