Le double attentat de Qaa a soudain réveillé la léthargie libanaise, remettant la situation sécuritaire à l'ordre du jour. Au-delà de l'horreur de l'action, c'est surtout l'angoisse de ne pas comprendre les réelles motivations des assassins qui mine les habitants de la bourgade frontalière et les Libanais en général. La petite phrase du commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, sur « les nouvelles méthodes d'action des terroristes » donne un indice sur le fait que le Liban se trouve au début d'une nouvelle phase.
Il est clair qu'après des mois de paix relative, les groupes armés actifs en Syrie et en Irak ont décidé d'utiliser directement le Liban comme une nouvelle scène de confrontation. En effet, selon une source sécuritaire bien informée, la méthode utilisée par les kamikazes à Qaa est similaire à celle utilisée en Syrie.
Les groupes commencent par envoyer plusieurs kamikazes, à pied ou dans des voitures piégées, qui se font sauter devant les lignes adverses, semant la terreur et la mort pour faciliter ensuite l'invasion d'une localité par un flot de combattants. C'est ce qui s'est passé dans certaines localités dans le rif sud d'Alep et qui a permis aux groupes rebelles de gagner du terrain tout en causant de grosses pertes dans les rangs adverses, bénéficiant eux-mêmes d'un inépuisable réservoir humain.
Selon la source sécuritaire précitée, l'enquête actuellement en cours n'a pas encore abouti ni éclairci tous les points obscurs de ces horribles attentats, mais certaines constatations peuvent déjà être faites. On ne sait pas encore ce que voulaient exactement faire les quatre premiers kamikazes tués à l'aube du lundi. Ils ont été tout simplement surpris par Chadi Mokalled. Le jeune homme finissait un repas tardif pour cause de jeûne du ramadan, lorsqu'il a entendu du bruit devant sa maison. Il a eu un premier échange avec les kamikazes, mais ceux-ci s'étaient ensuite cachés dans les champs proches, après s'être fait passer pour des agents des renseignements. Il a alors pris contact avec l'armée libanaise qui lui a affirmé qu'elle n'a pas d'éléments dans le coin ni de patrouille civile ou autre. Il a flairé le piège, mais il n'a rien pu faire. À l'aube, alors qu'il voulait se rendre dans les champs où il travaille à Qaa, il les a de nouveau aperçus. Il y a eu un échange de coups de feu et les fameuses explosions successives qui ont fait cinq morts parmi les habitants et plus d'une dizaine de blessés.
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La mission confiée aux quatre kamikazes n'a pas été déterminée et certains pensent que les explosifs n'étaient pas destinés à cette bourgade, les kamikazes ayant été pris de court par Chadi Mokalled. Par contre, l'attentat de lundi soir aux alentours de 22h ciblait réellement la bourgade et était destiné à narguer en quelque sorte tous ceux qui, tout au long de la journée de lundi, ont voulu exprimer leur solidarité avec les habitants de Qaa et les pousser à rester sur place et à ne pas avoir peur. Le message des agresseurs serait donc clair : nous pouvons atteindre Qaa quand nous voulons et toutes vos déclarations n'y changeront rien.
Quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, les kamikazes ont en tout cas réussi un grand coup. Ils ont montré qu'en moins de 24 heures, ils peuvent envoyer dans une bourgade libanaise 8 d'entre eux qui parviennent à se faire sauter sur place. C'est une démonstration de force qui est en elle-même un message musclé à la fois aux civils et aux autorités. Les groupes rebelles actifs en Syrie souhaitaient-ils envahir la localité de Qaa et faire ainsi une intrusion dramatique au Liban ? L'enquête n'a pas encore réussi à préciser leurs mobiles, ni à deviner leur plan, mais la source sécuritaire précitée estime que le timing est en lui-même significatif.
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La double agression de Qaa arrive à un moment où l'étau se resserre autour des combattants de Daech en Irak après la libération de Fallouja et en Syrie avec la contre-offensive de l'armée syrienne et de ses alliés autour d'Alep et dans la Ghouta (banlieue de Damas). Elle intervient aussi au lendemain du discours d'une grande violence prononcé par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, vendredi dernier, dans lequel il a annoncé que « la grande bataille d'Alep » est imminente. Il est clair que cette bataille est un enjeu stratégique et déterminera les contours de la solution en Syrie. Il se pourrait, dans ce contexte, que l'organisation État islamique veuille empêcher le Hezbollah de mener cette bataille dans les prochaines semaines, l'heure d'une solution n'ayant pas encore sonné. Par conséquent, il aurait décidé de détourner son attention et ses forces, en créant des troubles au Liban.
Que Qaa soit la destination finale des kamikazes ou non (c'est l'enquête en cours qui devrait le déterminer, mais jusqu'à présent la source sécuritaire croit que le premier lot de kamikazes s'est introduit à Qaa parce que c'est un maillon faible, mais il souhaiterait avoir un accès à la mer par le Liban, selon un plan dénoncé par le commandant en chef de l'armée il y a déjà deux ans), le Liban pourrait bien être devant une nouvelle période de turbulences. C'est le moment de vérifier si le « parapluie international sécuritaire » est efficace ou non...
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Depuis l'indépendance en 1943 et surtout après l'évacuation des troupes étrangères fin 1946, le Liban a vécu une certaine stabilité jusqu'à 1958. Depuis, notre pays n'a plus d'amis dans l'hinterland. Tous, nous traitent comme des paillassons. Terrorisme, flux migratoires de Syrie et d'ailleurs, font partie de notre pain quotidien. A ma très humble échelle, je souhaite dire sans ambages que le Liban, n'ayant que des ennemis autour de lui, il faudrait désormais qu'il regarde vers le large à l'instar de Churchill. Winston Churchill avait dit au général de Gaulle en 1944 : "Quand nous aurons à choisir entre le continent et le large, nous choisirons le large." Le Liban aussi !
Un Libanais
15 h 40, le 29 juin 2016