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Liban - Crise des déchets

Le mouvement civil prône un traitement « sur place » des ordures

Une réunion est prévue aujourd'hui à 15h, selon le ministre de l'Agriculture, pour discuter du plan du mouvement civil avec ses concepteurs.

À Jal el-Dib, une banderole interdisant de jeter les déchets sur un terrain privé n’a pas empêché l’amoncellement d’ordures. Photo Sako Bekarian

Dans l'urgence d'une crise de déchets qui est entrée dans son troisième mois, le débat autour des solutions s'enrichit de nouveaux plans... et de très peu d'actions sur le terrain. Le mouvement civil, né du ras-le-bol causé par la crise déclenchée par la fermeture de la décharge de Naamé le 17 juillet, a répondu aux critiques qui l'accusaient de négativisme en présentant son propre plan pour le traitement des ordures empilées dans les rues depuis des mois, comme pour le traitement du flux d'ordures quotidien.

Le plan, présenté par l'écologiste Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, lors d'une conférence de presse tenue hier au siège de l'Agenda légal à Badaro, se fonde sur un refus catégorique de la réouverture de la décharge de Naamé, préférant un traitement sur place – autant que possible – des ordures empilées depuis le 17 juillet, par un processus de compostage à l'air libre ou sans air, dans une enveloppe de plastique (voir ci-dessous les détails techniques du plan). Il a par ailleurs affirmé que des expériences sur les membranes protectrices devant faciliter le traitement des déchets seront bientôt menées par des sociétés établies au Liban.

Ce plan du mouvement civil vient en réponse au plan présenté par la commission d'experts présidée par le ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb, il y a trois semaines, et qui préconise, entre autres, une réouverture de sept jours de la décharge de Naamé pour y placer les ordures amoncelées dans les rues.
« Le gouvernement tente de faire pression sur les citoyens en leur répétant que la situation environnementale et sanitaire est devenue extrêmement grave, a souligné Paul Abi Rached. Ils veulent faire porter au mouvement civil la responsabilité de leur propre négligence. » Il a réitéré le refus total de la réutilisation de la décharge de Naamé et de la prorogation du contrat avec Sukleen, « un symbole de corruption, selon les propos mêmes des responsables ». Le plan Chehayeb, rappelons-le, prévoit de confier à la société privée le balayage, le ramassage et le transport des ordures, étant la seule à disposer de l'infrastructure nécessaire pour cela.

À la question de savoir si ce plan réglait le problème de manques de terrains qui entrave notamment la mise en place du plan Chehayeb, Paul Abi Rached, rencontré en marge de la conférence de presse, souligne que « les ordures seront principalement traitées dans les endroits où elles se trouvent, ou transportées à un lieu proche ».
Et d'ajouter: « Pour la période transitoire de 18 mois, le mouvement civil refuse le renouvellement du contrat avec Sukleen, bien que son infrastructure puisse être utilisée par le gouvernement dans un autre cadre. Il faut également recourir à un maximum de tri, à la source comme dans les usines de la Quarantaine et de Amroussieh. »

Quand un tel plan pourrait être mis en application ? « Dès demain si on le veut, parce qu'il n'est pas conditionné par une approbation des populations de régions devant accueillir des décharges comme Akkar ou Masnaa, répond-il. Le plan Chehayeb est entravé par la contestation dans les régions. » Il assure par ailleurs que le dialogue se poursuivra si les autorités ouvrent la voie.

Prié de réagir à l'annonce de ce plan, Akram Chehayeb souligne simplement à L'Orient-Le Jour qu'il a reçu le communiqué officiel du plan du mouvement civil. Il tenait hier une réunion avec sa commission pour en discuter les détails. « Tout ce que je peux vous dire aujourd'hui, c'est que nous sommes en train d'examiner le plan présenté dans les moindres détails afin d'être en mesure de le discuter de manière scientifique avec les représentants du mouvement, a-t-il expliqué. Nous les avons conviés demain (aujourd'hui) à une réunion à 15 heures pour en discuter. »

(Repère : Les grandes lignes du plan présenté par la commission d'experts présidée par Chehayeb*)

 

Endormir la vigilance de l'opinion publique ?
Une des composantes essentielles du mouvement civil, le collectif « Vous puez ! », était présent hier à la conférence de presse, ainsi que des personnalités politiques tels l'ancien ministre Charbel Nahas, et d'autres. « Notre principal objectif, en tant que mouvement issu d'un soulèvement populaire, reste de combattre toute velléité de marchés douteux, nous explique Wadih el-Asmar, un des membres du collectif. Les Libanais sont fatigués des promesses de rectification de tir, formulées par les hommes politiques dès qu'ils se sentent coincés, sans que rien ne se passe. Nous attendons des réponses, notamment de l'enquête ouverte par le procureur financier contre Sukleen. »
Wadih el-Asmar affirme que le mouvement civil n'est pas convaincu du plan de Chehayeb parce que le flou entoure l'étape de l'après-réouverture de la décharge de Naamé pour sept jours, étant donné que les autres sites, à Akkar ou à la Békaa, ne sont pas prêts à accueillir les déchets. « Nous soupçonnons que le plan Chehayeb vise à endormir la vigilance de l'opinion publique avec 18 mois de statu quo, après quoi ce sera de nouveau le prolongement d'une situation existante, dit-il. S'il y avait une volonté réelle de changement de la part du gouvernement, celui-ci lancerait le plan durable dès le premier jour. » Il fait référence aux étapes définies dans le plan Chehayeb : 18 mois pour la phase de transition, après quoi vient la phase durable, au cours de laquelle le dossier reviendra aux mains des municipalités.
Pour ce qui est du plan du mouvement civil, le militant affirme que son principal avantage est « qu'il peut être lancé demain, avec une formule permanente et durable dès le début ». Il estime que ce plan présente des grandes lignes, et que c'est à l'État, s'il le désire, d'entrer dans les détails et de déterminer les coûts. Selon lui, le dialogue avec les autorités au niveau technique ne s'est jamais interrompu, mais le dialogue politique attend des éléments de preuve sur la volonté du gouvernement à aller de l'avant dans les réformes.


Ali Darwiche, président de Green Line, également présent à la conférence de presse, estime que les usines de tri, pierre angulaire du plan, peuvent être réhabilitées rapidement. « Si le tri a lieu de manière exacte, et qu'on nous confie les matières organiques, celles-ci n'auront plus qu'à être étalées dans des terrains agricoles ou autres », explique-t-il à L'Orient-Le Jour.
À supposer que le plan est lancé aujourd'hui, quelle serait la procédure à suivre ? « Nous commencerons par classer les zones de stockage d'ordures par ordre de priorité, selon le risque de contamination de l'environnement, dit-il. Nous commencerons à transporter les ordures empilées dans des lieux problématiques dans un terrain de stockage : nous proposons d'utiliser des terrains comme le Biel ou certaines parties de la Marina de Dbayé, car ils sont remblayés, sont loin des habitations et revêtent un caractère public. Pour les ordures qui ne pourront jamais être triées, nous pouvons en faire du combustible dérivé des déchets (RDF), pour une seule fois exceptionnelle. Celui-ci sera alors exporté plutôt que brûlé au Liban. »
Qu'est-ce qui peut être amélioré dans ce plan ? « Il faut travailler davantage sur les propositions à long terme », répond Ali Darwiche.

Parmi les écologistes, ce plan-là pourrait ne pas faire l'unanimité. Une première réaction a été exprimée hier par l'association Green Globe, présidée par Samir Skaff. Celle-ci a publié un communiqué affirmant que « le plan du mouvement civil n'a rien apporté de nouveau », estimant qu'il avait repris de nombreuses idées du plan que l'association avait présenté à la commission de Chehayeb : transporter les ordures dans des terrains à Beyrouth, sans ouvrir la décharge de Naamé, traiter l'intégralité des ordures empilées sur les routes par le compostage aérobique puis anaérobique, etc. Le texte souligne que le plan de Green Globe allait même plus loin, prônant une période transitoire de 6 à 9 mois, non 18. « Le groupe de décision du mouvement civil ne représente pas toutes les associations écologiques », conclut le texte.

 

Les détails techniques du plan du mouvement civil

 

 

 

Le plan présenté hier par le mouvement civil se base en grande partie sur le tri des produits recyclables – verre, papier, plastique – et l'extraction des matières organiques. Celles-ci, représentant environ 55 % des déchets, seraient alors compostées, produisant un compost (enrichisseur de sol) de bonne qualité, n'ayant pas été mélangé avec des produits recyclables non organiques.

Sur les opérations de compostage en elles-mêmes, le plan propose de mettre à contribution l'usine de Coral, auparavant utilisée par Sukomi, en augmentant sa capacité. Il suggère aussi de construire une nouvelle usine de traitement près de l'usine de tri de Amroussieh. « Et si la capacité des usines de compostage est inférieure aux quantités de matières organiques produites les premiers mois, celles-ci seront transportées à l'endroit le plus proche pour un traitement à l'air libre », souligne le texte du plan. Quant aux 10 % restants de déchets dont on ne peut plus rien faire (chaussures, tissus, cuir...), ils seront utilisés pour la réhabilitation des sites défigurés de carrières, aux frais des propriétaires de celles-ci.

La plan tel qu'il a été présenté hier apporte des solutions au flux quotidien d'ordures, tout comme aux ordures empilées dans les rues et les zones de stockage depuis le 17 juillet. En ce qui concerne les premières, le plan insiste sur la promotion du tri à la source et sur les mesures légales nécessaires pour l'imposer et mettre au point un calendrier de ramassage par type de déchets. Il souligne aussi la nécessité de libérer les fonds alloués aux municipalités et d'interdire l'utilisation des camions qui pressent les déchets, parce qu'ils réduisent en miettes les produits recyclables.

Pour ce qui est des déchets empilés depuis plus de deux mois, le texte reconnaît « qu'ils sont dans un état de décomposition tel qu'il est difficile d'envisager un tri manuel direct, sans compter qu'un certain volume de ces déchets a déjà été pressé par les camions-bennes ». « Toutefois, cela ne suffit pas à faire de l'enfouissement la seule option possible, poursuit le texte. Le compostage naturel qui a ainsi commencé permettra d'arriver à un point où le tri sera possible. »

Deux méthodes de traitement de ces déchets empilés sont envisageables, selon le plan : le compostage aérobique (à l'air libre) ou anaérobique (dans un contexte privé d'air). Dans le premier cas, il faudra étendre les déchets sur des surfaces planes et les retourner régulièrement pour faciliter le processus de fermentation. Le tri des matières recyclables est ensuite effectué à l'aide de machines, avant que les matières organiques ne soient envoyées à des sites dégradés, tels les carrières désaffectées, pour leur réhabilitation. L'autre méthode consistera à envelopper les déchets à l'aide d'une membrane spéciale en plastique, par ballots de 500 mètres cubes, et à les maintenir ainsi durant six mois, le temps que la fermentation anaérobique soit terminée. Il sera possible alors de trier ces déchets, selon le texte, puisqu'ils seront dépourvus de toute bactérie.

L'option choisie dépendra de l'endroit où sont stockés actuellement les déchets, poursuit le communiqué : si les déchets se trouvent dans de grands terrains plats, ils pourront être traités sur place ou dans un endroit proche, suivant la méthode aérobique (à l'air libre). S'ils sont stockés de manière longiligne, comme sur les rives du fleuve de Beyrouth ou le long de l'enceinte de l'aéroport, ils seront alors enveloppés de plastique et gardés sur place. S'ils sont éparpillés en petite quantité, il vaudra mieux les transporter, suivant leur taux de fermentation, pour les ajouter aux deux précédentes catégories.

« Par ces dispositions, il ne restera plus qu'à trouver des sites adéquats aux opérations de compostage puis de tri, poursuit le texte. Selon les estimations, il y aurait quelque 60 000 tonnes de déchets dans les rues (étant donné les quantités qui ont été incinérées à l'air libre, et après l'évaporation), soit quelque 120 000 mètres cubes, qui nécessitent une surface pour le compostage et le tri mécanique. Il faudrait quelque 300 ouvriers et techniciens sur une période de quatre mois pour s'en occuper. »

 

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