L'attaque tactique menée ces derniers jours par les milieux du 8 Mars contre le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, dénoterait « une volonté du Hezbollah de ne rien concéder dans le cadre de son dialogue avec le courant du Futur », selon ce que révèle une source politique proche du 14 Mars à L'Orient-Le Jour.
« Ils ne veulent rien donner », estime cette source, qui dresse un constat hyperpragmatique du dialogue « de nécessité ». « Le Hezbollah s'est rendu compte que, dans le cadre de son dialogue avec le courant du Futur, c'est lui qui devrait faire des concessions dans la pratique. Le Futur n'a pas de milices à désarmer, pas d'armes illégales à ramasser de caïds de quartiers dans les rues de la capitale, pas de troupes à rappeler de Syrie, ni de partisans dans les Ahwaz, dit-elle. Nous n'avons rien à leur donner, ils ne veulent rien donner au Futur, et, partant, ils provoquent des polémiques pour déstabiliser la partie adverse... »
« Ils tentent de donner l'impression, de surcroît, que le camp adverse, le nôtre, est divisé, poursuit cette source. Or cela est totalement faux, puisque toutes les composantes du 14 Mars sont soudées autour des principes énoncés par Fouad Siniora au congrès du Biel, et que ces mêmes principes figuraient aussi dans le discours de Saad Hariri du 14 février dernier, ainsi que dans le communiqué que M. Hariri a fait paraître le jour même du 14 mars. Ils s'énervent et se fâchent, menacent de tout laisser tomber, avant de nous vendre gracieusement l'idée selon laquelle ils restent, malgré tout, attachés au dialogue avec le Futur. Mais personne n'est dupe. En aucun cas Fouad Siniora n'assume seul la responsabilité du communiqué du 14 Mars, qui est notre communiqué à tous », note-t-elle.
Interrogée sur le fait de savoir si ces menaces font réellement peser un danger sur la vie de M. Siniora, la source proche du 14 Mars répond : « Elles n'ont jamais cessé d'exister. Fouad Siniora est menacé de mort depuis 2005, dialogue ou pas. Il faut rappeler que Rafic Hariri a été assassiné alors qu'il se trouvait en plein dialogue avec le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah... »
À toutes ces raisons, une autre source bien informée estime que le matraquage mené par le Hezbollah et ses alliés pourrait être lié à la perspective du témoignage que M. Siniora doit donner en principe devant le Tribunal spécial pour le Liban, dans une tentative de pression/dissuasion sur l'ancien Premier ministre.
(Pour mémoire : La menace à peine voilée du Hezbollah contre Siniora)
Entre l'accalmie et la polémique
Si le huitième round du dialogue entre le courant du Futur et le Hezbollah mercredi à Aïn el-Tiné a quelque peu décrispé le climat qui prévaut depuis la déclaration du 14 Mars au Biel pour son dixième anniversaire, la tension subsiste néanmoins à l'état latent.
Elle était ainsi manifeste dans le communiqué du bloc parlementaire du Hezbollah, hier, qui, dans le paragraphe consacré à la reprise du dialogue et à ses effets bénéfiques, n'a pas manqué de souligner « la provocation et les tentatives de porter atteinte au dialogue par ceux qui voudraient le torpiller, ce qui ne sert pas l'intérêt et la stabilité du pays ». Les formations politiques du 8 Mars au Liban-Sud, réunies hier au siège de l'Organisation populaire nassérienne, ont également dénoncé « le rejet du discours politique provocateur adopté par certains hommes politiques, ministres et députés libanais ».
Du côté du courant du Futur, la volonté de temporiser sans reculer, c'est-à-dire de cesser les hostilités sans aplanir pour autant les sources de conflit politique avec le Hezbollah, était reprise hier comme un leitmotiv par une série de députés et ministres haririens.
Le député Samir el-Jisr, l'un des représentants du Futur aux réunions de dialogue avec le Hezbollah, a ainsi indiqué à l'agence al-Markaziya hier que « chacune des parties avait exprimé son point de vue sur la polémique », mercredi, à Aïn el-Tiné. « Nous ne sommes pas entrés dans les détails de ces polémiques, mais avons évoqué les mesures à prendre pour qu'elles n'influent pas sur le climat de dialogue », a-t-il indiqué. « Chacune des parties continuera à donner son opinion politique, mais nous avons décidé de mettre un terme aux déclarations blessantes qui pourraient avoir des retombées négatives sur ce dialogue », a-t-il dit, soulignant « l'existence d'un accord sur la poursuite du dialogue par nécessité nationale et une décision d'empêcher tout ce qui pourrait se répercuter négativement sur les parties au dialogue et sur le climat de ce dialogue ».
« Le dialogue ne signifie pas se taire sur les points de conflits entre nous et le Hezbollah », a indiqué pour sa part le député Atef Majdalani hier, dans un entretien à La Voix du Liban 100.5.
(Pour mémoire : Pourquoi le Hezbollah a tiré à boulets rouges sur le Conseil national du 14 Mars...)
« L'attaque venait de Téhéran... »
Dans le même état d'esprit, le député Jamal Jarrah a affirmé, dans un entretien à la chaîne al-Jadeed, que « les positions du Courant du Futur ne changeront pas concernant les questions qui font l'objet d'un conflit avec le Hezbollah ». M. Jarrah a cependant souligné que le 14 Mars, dans son communiqué du Biel, n'avait fait que répondre à des déclarations de responsables iraniens, notamment de Ali Younsi et Ali Larijani, concernant « quatre capitales arabes occupées, la présence (iranienne) sur la rive de la Méditerranée, la transformation de Bagdad en capitale de l'État perse et le projet perse pour la région ». « M. Siniora a répondu à ces propos. Nous ne pouvons nous taire face à ceux qui font état de capitales arabes occupées », a noté Jamal Jarrah. « Le Hezbollah, en tant que composante politique libanaise et arabe, aurait dû prendre position au sujet des déclarations iraniennes », a-t-il souligné.
« L'attaque contre Fouad Siniora ne sert pas le dialogue, mais opère au contraire une régression du processus vers un climat de crispation », a noté pour sa part le ministre Nabil de Freige, dans un entretien à Radio-Orient. Pour M. de Freige, le Hezbollah a voulu, à travers cette polémique, tenter de scinder l'unité du courant du Futur, en donnant l'illusion qu'il existait une divergence de positions entre Saad Hariri et M. Siniora, des « colombes » et des « faucons ». « Il s'agit d'un retour aux vieilles pratiques du temps de la tutelle syrienne », a-t-il dit, estimant que « les menaces contre Fouad Siniora rappellent celles dont a fait l'objet Rafic Hariri avant son assassinat ».
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Plainte contre Wahhab
Le chef du bloc du Futur a porté plainte hier contre le chef du parti al-Tawhid, l'ancien ministre Wi'am Wahhab. Dans le cadre d'un entretien à la chaîne al-Jadeed, M. Wahhab avait notamment accusé Fouad Siniora d'« appartenance indirecte au projet sioniste ». Le bureau de presse de M. Siniora a précisé que l'ancien Premier ministre avait informé le procureur général près la Cour de cassation, le juge Samir Hammoud, des « accusations de trahison » lancées contre lui par M. Wahhab.
L'ancien ministre n'a pas tardé à répondre. Dans un communiqué, Wi'am Wahhab a indiqué qu'il acceptait d'aller devant la justice, à condition que Fouad Siniora « se désiste de son immunité parlementaire ». Pour le chef du parti al-Tawhid, il s'agit là de la condition préalable à même de garantir « une confrontation entre nous deux devant la justice et, si (Fouad Siniora) le souhaite, devant les Libanais ». « J'ai fait une relecture rapide de ses dernières déclarations contre l'Iran, la Syrie et la Résistance. J'ai aussi relu les déclarations de Benjamin Netanyahu et de certains responsables israéliens. Je n'ai pas trouvé beaucoup de différences ; même les formules concordent. C'est pourquoi, je suis déterminé à ce qu'il soit jugé et sanctionné. Qu'il le sache ou non, il fait partie de ce projet », a ajouté M. Wahhab.
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L'appel de Journalistes contre la violence
L'association Journalistes contre la violence a dénoncé hier les menaces lancées contre l'ancien Premier ministre, estimant qu'elles expriment une volonté « d'assassiner politiquement Fouad Siniora avant de le liquider physiquement, surtout dans le cadre de cette confusion que l'on cherche à établir entre lui, Saad Hariri et le courant du Futur ». « Il s'agit d'une tentative flagrante d'insinuer qu'il ne bénéficie d'aucune couverture politique, à l'heure où il est de nouveau question d'assassinats politiques », souligne l'association. « Cette attaque injustifiée révèle les intentions de ses auteurs », a-t-elle ajouté, évoquant « le terrorisme pratiqué par le 8 Mars contre les personnalités libanaises souverainistes » et appelant à un vaste mouvement de solidarité avec Fouad Siniora.
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commentaires (7)
De véritables grandes gueules, franchement, ces saletés de pourfendeurs de notre Sanioûrâ au Grand Cœur !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
08 h 46, le 21 mars 2015