Cela faisait longtemps que le Hezbollah avait adouci le ton en parlant du 14 Mars et de sa politique, sans pour autant se départir de ses critiques qui sont ainsi restées dans le cadre du politiquement correct. Mais hier, le parti chiite a violemment réagi aux discours qui ont marqué le lancement du Conseil national du 14 Mars et n'a pas hésité à menacer de rompre le dialogue avec le courant du Futur. En quelque sorte, le Hezbollah a considéré que la trêve médiatique qui dure depuis quelque temps a été brisée par certaines allocutions virulentes prononcées samedi au Biel. Deux de ses cadres, le président de son conseil exécutif, cheikh Hachem Safieddine, et le chef de son bloc parlementaire, Mohammad Raad, se sont ainsi déchaînés contre le 14 Mars, dénigrant son action en des termes très peu élogieux, l'accusant notamment de faire le jeu de puissances étrangères.
« Nous nous sommes demandé si ces gens étaient sérieux ou s'ils plaisantaient lorsqu'on a entendu parler de la création d'un Conseil national du 14 Mars. S'ils sont sérieux, c'est qu'ils veulent annoncer le décès du gouvernement au sein duquel ils détiennent la majorité, et s'ils plaisantent, comme à leur habitude – et c'est le plus probable –, nous laisserons l'opinion publique les juger », a asséné Hachem Safieddine lors d'un meeting oratoire à Maïss el-Jabal, au Liban-Sud.
Qualifiant d' « inutiles » les propos tenus samedi par les 14 participants à la réunion du Biel, il a estimé que « les Libanais n'ont connu avec eux que des slogans, des discours creux et des équations fallacieuses. Nous n'avons pas vu d'actes. Si c'est un Conseil national des discours et des slogans qu'ils ont créé, il faut admettre qu'il y en a déjà trop », a-t-il encore dit, en jugeant que l'appellation choisie « inspire l'échec ». Cheikh Safieddine a estimé que « chacun crée quelque chose à son image, et dans ce cas, l'image est celle de l'échec. Le faible s'inspire toujours de l'impuissant. Il est tout à fait normal que celui qui sème du vent récolte du vent. Ce rassemblement a toujours compté sur des forces étrangères qui promettaient de l'aider à réaliser ses rêves et à vaincre la résistance. Et si, à la base, ces forces étrangères, qu'elles soient régionales ou internationales, sont confrontées à des crises, il est normal que leurs ramifications locales soient à leur image et qu'elles ne possèdent que quelques discours inutiles », a-t-il encore asséné.
Selon lui, les Libanais « savent que c'est le sang de la résistance et de l'armée qui a protégé le pays contre les visées takfiristes et terroristes. En revanche, ces gens (le 14 Mars) n'ont d'autre chose à faire que lancer des accusations infondées contre l'Iran, la Syrie et la résistance, ce qui donne une preuve supplémentaire de leur échec qui ne fera que s'accentuer parce que l'Iran est fort et capable, parce que la Syrie vaincra, et parce qu'ils savent que les forces et l'axe de la résistance dans la région sont plus solides et bien plus ancrés qu'ils ne le croient ».
Réviser les engagements
Lui faisant écho depuis Houla, également au Liban-Sud, Mohammad Raad a affirmé être « conscient de ce que certains trament au Liban et à l'étranger. Le slogan du passage à l'État ne nous effraie pas parce que la résistance a vu le jour lorsque l'État n'existait pas encore pour défendre son peuple et sa souveraineté. Sans les victoires de la résistance, les institutions publiques n'auraient jamais repris le chemin du Liban-Sud », a-t-il dit.
Selon lui, le 14 Mars, qu'il n'a pas nommé, « n'a d'autre choix que de tendre la main (à ses interlocuteurs locaux) et à réviser ses engagements parce qu'il n'est pas capable d'attirer le pays vers l'axe auquel il appartient. Ceux-là n'ont pas le droit de dénigrer notre axe parce que nous appartenons à une cause fondée sur la libération, la préservation de la souveraineté nationale et l'édification d'un État capable, fort et juste. À quel clan appartiennent-ils en contrepartie ? Quelle est leur cause et comment la servent-ils ? Est-ce en se tenant aux portes des forces étrangères pour quémander une dignité et des équipements pour l'armée ? N'est-ce pas honteux de laisser les forces régulières sans armes, alors qu'elle sont au cœur d'une guerre contre le terrorisme takfiriste ? » a fulminé le député en accusant certaines figures du 14 Mars de « maintenir le contact avec les terroristes takfiristes ».
« Nous ne voyons pas l'utilité de nous engager dans un dialogue alors que les mauvaises langues continuent de s'en prendre à la résistance et à son projet. Soit nous poursuivons le dialogue dans un climat calme et discipliné, soit nous devons revoir avec qui nous dialoguons, leur volume et leur influence sur leurs rassemblements, leurs blocs parlementaires et politiques. Mais cela ne peut plus continuer. Nous gardons le silence et nous évitons de nous engager dans des polémiques médiatiques. Mais jusqu'à quand peut-on encore jouer aux autruches ? Vous n'êtes plus en mesure de vous cacher la tête dans le sable », a poursuivi M. Raad en menaçant de rompre le dialogue avec le courant du Futur : « Nous nous sommes engagés dans le dialogue pour avoir des échanges de franche explication et pour nous entendre sur des sujets qui peuvent faire l'objet d'une entente. Pourquoi nous insultez-vous ? Cela est inacceptable. Ou bien vous êtes attachés à ce dialogue ou bien que chacun suive son chemin. »
Échange de messages
Cette « flambée de violence » verbale ne risque cependant pas de perturber le rapprochement entre le courant du Futur et le Hezbollah, essentiellement parce qu'elle est destinée à apaiser la rue sunnito-chiite et que cet objectif est important pour les deux camps.
D'aucuns y voient un « échange de messages » ponctuel et considèrent que tout ne doit pas tarder à rentrer dans l'ordre entre les deux formations. La date du 18 mars servira d'ailleurs de test d'intentions pour les uns et les autres. C'est ce jour-là que les représentants du courant du Futur, du Hezbollah et d'Amal doivent se retrouver de nouveau à Aïn el-Tiné pour une neuvième séance de dialogue.
Toujours est-il que face à la virulence de certaines interventions du Biel, le Hezbollah ne pouvait pas ne pas réagir, et sur le même ton. Il le doit à son public, tout comme le 14 Mars ne pouvait pas se situer, également par rapport à son public, en deçà du discours qu'il tient habituellement. Mais la réaction du Hezbollah va aussi au-delà de ces considérations rhétoriques. La formation chiite y a sans doute vu un rapport avec les pressions américaines exercées sur elle par les États-Unis pour amener l'Iran a jeter du lest dans les négociations sur le dossier du nucléaire. Elle craint que le 14 Mars ne soit entré dans le jeu des manœuvres américaines visant à maintenir la pression sur l'Iran. Il y a eu d'abord la diatribe de l'ambassadeur US, David Hale, contre le Hezbollah. Il y a eu ensuite l'affaire des Libanais, pour la plupart chiites, refoulés des Émirats arabes unis à cause de leur présumé soutien à cette formation.
En réagissant de la sorte et en menaçant de se retirer du dialogue avec le courant du Futur, le Hezbollah voulait à son tour faire passer le message suivant : qu'il est capable, lui aussi, de se radicaliser au point de laisser la scène locale exposée aux risques de voir la discorde éclater et au moment où les puissances occidentales n'arrêtent pas de répéter à quel point le maintien de la stabilité est important au Liban.
Le Hezbollah ne manquera pas de faire part de ses craintes et de ses griefs, mercredi, à son interlocuteur.
T. A. R.
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ROMPRE... SON SOUHAIT LE PLUS CHER !
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 27, le 17 mars 2015