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Liban - Sécurité

Pour les habitants de Ersal, seule l’armée pourrait redresser les injustices subies

Tôt dans la matinée d'hier, les habitants de Ersal ont commencé à rentrer chez eux, mais vers midi, l'accès au village a été bloqué, l'armée voulant inspecter encore certains quartiers et réduire l'embouteillage qui s'était formé à l'entrée de la localité. L'accès était complètement interdit aux journalistes.

Vérification d’identité à l’entrée de Ersal. Photo Wissam Ismaïl

À bord de sa camionnette, Saad a quitté Ersal dans la matinée. Marchand des quatre-saisons, il a voulu s'approvisionner en fruits et légumes qui manquent terriblement . « Nous avons encore du pain, du riz, du sucre et d'autres denrées, mais ce sont surtout les fruits et les légumes qui manquent, et aujourd'hui, c'est la première fois que je sors de Ersal depuis le début des événements », raconte-t-il alors qu'il descend vers Laboué.
« J'habitais à Mcharih el-Qaa, à la frontière libano-syrienne, avant la guerre en Syrie. Et, puis à cause des bombardements, j'ai dû rejoindre Ersal, mon village natal. Je n'ai jamais imaginé que les choses se passeraient ainsi », soupire Saad.
« La majorité des islamistes sont des Syriens. Il y a quelques Libanais, dont certains de Ersal. Le fils des voisins a été tué aux côtés des jihadistes dans les batailles contre l'armée ; il a été enterré par les soldats dans une fosse commune. Dans sa famille, c'est la honte », raconte-t-il.

Invité à évoquer les armes des takfiristes, il souligne qu'ils en possédaient d'importantes quantités, surtout de calibre moyen : des kalachnikovs, des grenades à main, des roquettes de diverses catégories, notamment sol-air.
« Nous soutenons l'armée libanaise, nous voulons qu'elle nous protège. Nous avons aidé la troupe comme nous avons pu. Dans certains endroits proches du jurd, les soldats ont manqué de provisions et nous avons partagé avec eux ce que nous avions », indique-t-il.

 

(Lire aussi: Le troc envisagé par Daech et al-Nosra : les militaires otages contre les détenus islamistes de Roumieh)


Interrogé sur les dégâts à Ersal, il rapporte qu'il n'y a que des pans de mur ou des toits détruits. « Rien, cependant, qui ne pourra pas être rapidement reconstruit », dit-il. Et de poursuivre : « J'espère que l'on finira une fois pour toutes avec ces takfiristes. Nous n'avons jamais pu savoir leur nombre dans le jurd qui est un espace immense et difficile d'accès. Nous y avons des arbres fruitiers et j'aimerais bien pouvoir y aller à nouveau en toute sécurité sans redouter la menace des jihadistes. » « Je n'ai jamais imaginé qu'ils pourront entrer aussi facilement à Ersal et que les réfugiés syriens des camps allaient les aider à saccager le village », soupire-t-il encore. Ersal, qui compte 40 000 habitants, avait accueilli 170 000 réfugiés syriens.

Dans le sens contraire, sur le chemin menant de Laboué à Ersal, certaines voitures qui remontaient vers la localité étaient pleines à craquer : des hommes, des femmes et des enfants ayant quitté lundi dernier à la va-vite leur village natal. Il y avait aussi des camionnettes pleines d'objets hétéroclites et multicolores : matelas, coussins, tapis en osier, lave-linge, frigos, baluchons... Les familles étaient heureuses de rentrer et personne ne s'était attendu à revenir aussi vite au village. Les habitants interrogés ont espéré que les choses rentrent rapidement dans l'ordre pour qu'ils puissent se sentir à nouveau en sécurité chez eux.

 

(Lire aussi: Pour le bloc du Futur, une obsession nationale : le retour à l'État civil, l'article de Michel Hajji Georgiou)

 

Se réfugier loin, surtout pas chez le voisin...
Les déplacés de Ersal ne se sont pas réfugiés chez leurs voisins de Laboué ou d'autres villages chiites de la région.
La situation entre sunnites et chiites dans cette partie de la Békaa, comme dans d'autres parties du Liban, a commencé à se dégrader avec l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005 et s'est véritablement envenimée avec la guerre en Syrie, atteignant son paroxysme avec l'envoi du Hezbollah, notamment en mai 2013, de ses hommes se battre aux côtés de l'armée syrienne.

Il est à noter que le seul accès à Ersal à partir du Liban, localité exclusivement sunnite possédant 60 kilomètres de jurd avec la frontière syrienne, est la route de Laboué, village chiite soutenant le Hezbollah.
Depuis de longs mois, les habitants de Ersal subissent insultes et brimades de leurs voisins de Laboué qui, à plusieurs reprises, ont tenté de bloquer la route menant à la localité sunnite.
D'ailleurs, c'est ce que les habitants de Laboué avaient fait, encore une fois, mercredi dernier pour empêcher les aides offertes par le Qatar de parvenir aux habitants bloqués à Ersal par les combats.

 

(Voir aussi notre diaporama : Tombés pour le Liban)

 

Les déplacés de Ersal donc ne se sont pas réfugiés chez leurs voisins les plus proches. Ils ont préféré se rendre dans des localités sunnites de la Békaa comme Saadnayel, Majdel Anjar, Marj, ainsi que dans des villages du caza de Aley et à Beyrouth.
À Marj (une centaine de kilomètres plus loin et plus d'une heure de voiture), village exclusivement sunnite de la Békaa-Ouest, qui compte actuellement 15 000 habitants et 18 000 réfugiés syriens, la municipalité a mis à la disposition des 450 déplacés de Ersal deux écoles publiques ainsi qu'une dizaine d'appartements. Des banderoles et des affiches rendant hommage à l'armée libanaise ornent les rues de la localité.

Le président du conseil municipal, Nazem Saleh, préfère rencontrer lui-même les journalistes avant de les autoriser à accéder aux écoles qui abritent les déplacés.
« Même si Ersal et Marj sont éloignés géographiquement, nos liens restent très étroits. C'est dommage que les choses s'enveniment entre des voisins et que les habitants de Ersal soient obligés de partir loin pour se sentir en sécurité... Il fallait que l'État traite équitablement toutes les communautés. Que tous les Libanais se sentent égaux devant la loi. La seule solution pour ce pays réside dans le fait que seule l'armée soit responsable des armes. Dans le cas contraire, les crises se répéteront et les choses s'envenimeront davantage », dit-il non sans amertume, faisant allusion à la communauté chiite qui soutient le Hezbollah.

 

(Repère : Le Liban dans l'engrenage du conflit syrien)


Dans l'une des écoles publiques de Marj, plusieurs familles de Ersal attendent que la situation soit moins tendue pour rentrer chez elles. Hommes et femmes ont les larmes aux yeux quand ils évoquent les combats de Ersal et décrivent avec amertume la situation.
Tout en accusant le gouvernement d'iniquité, ils indiquent que seule l'armée peut sauver la situation. « La troupe nous représente. Nous sommes prêts à nous battre à ses côtés, à la protéger... Mais il faut que l'État et le gouvernement arrêtent d'utiliser la politique des deux poids, deux mesures. Alors que Ersal était sous les bombes, les habitants de Laboué ont bloqué un convoi de vivres destiné à la localité, et personne n'est intervenu... Nous ne voulons pas d'aide; nous voulons que justice soit faite. C'est quand tout le monde sera traité équitablement que nous nous sentirons en sécurité », s'indigne Ahmad.
« Je ne sais pas si ma maison a été atteinte par les bombardements ; il faut que je rentre pour m'en assurer... Chacun me raconte une version au téléphone », dit-il encore.
Il poursuit : « Il y a des parties qui veulent porter atteinte à l'armée ; en l'espace de quelques instants samedi dernier, toutes les positions de la troupe à l'intérieur de Ersal et dans le jurd ont été encerclées. Il existe un plan pour nuire à l'armée, et les événements de Ersal le prouvent. »

À côté de lui, Mahmoud, très ému, rapporte : « Quand les jihadistes ont fait irruption dans le village, nombre de réfugiés syriens habitant les camps ont déterré leurs armes qu'ils avaient enfouies dans le sol sous les tentes pour les aider. » « Dès le début de la guerre en Syrie, nous voulions qu'une solution soit trouvée. Nous avons appelé à l'aide, et le gouvernement libanais et la communauté internationale. Il fallait construire des camps officiels de réfugiés à la frontière... Actuellement, pour que je me sente en sécurité dans mon village, il faut que l'armée protège la frontière, toute la frontière de la Békaa, au Hermel comme à Ersal, ou encore que la 1701 s'applique à tout le Liban », s'écrie-t-il.

À Ersal tout comme à Beyrouth, nombre de personnes, hommes politiques ou anonymes, sont du même avis : sécuriser la frontière et traiter équitablement tous les Libanais sont des conditions impératives pour protéger le Liban du pire.

 

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