Rechercher
Rechercher

Aller-retour

C'est en forme de salve que se succèdent depuis quelques jours, sur la scène libanaise, les coups de théâtre. Et, avec eux, une foule d'interrogations demeurées sans réponse claire et nette. Pourquoi, par exemple, les combattants islamistes de Daech et d'al-Nosra ont-ils subitement investi la localité libanaise de Ersal, alors qu'il leur reste tant à faire encore sur les terrains syrien et irakien ? Au terme d'une bataille des plus coûteuses pour eux-mêmes comme pour l'armée libanaise, comment ont-ils réussi à sortir de la nasse en emportant deux douzaines de soldats et de gendarmes en otages ? Combien d'autres Ersal à venir ? Et pourquoi les livraisons d'armes françaises à l'armée, financées par l'Arabie saoudite, tardent-elles tant à parvenir à destination, ce qui porte le roi Abdallah à y aller d'un quatrième milliard de dollars ?

C'est à des spéculations tout de même plus réconfortantes que donne lieu le retour inopiné au pays, hier, après trois ans d'exil forcé, de Saad Hariri, officiellement chargé de convoyer à bonne fin les largesses du royaume wahhabite. Si considérables, si flagrantes sont les interférences étrangères dans nos affaires que cet événement a tout l'air d'être le fruit de quelque entente régionale visant, pour des motivations diverses, sinon contradictoires, à préserver un minimum de stabilité au Liban : laquelle entente, pensent d'aucuns, pourrait même s'étendre à l'élection prochaine d'un président de consensus. En attendant d'y voir plus clair, on peut aisément constater néanmoins l'impact indéniablement positif qu'a ce retour au plan strictement intérieur.

Loin des yeux, loin du cœur ? Loin plutôt de l'allégeance, de l'obédience dues au zaïm. En ces temps d'exacerbation des tensions sectaires, une partie notable du public traditionnellement fidèle aux Hariri, notamment au Liban-Nord, a opéré, au fil des mois, un glissement vers des formations plus radicales. Or, et à la différence d'un Hassan Nasrallah, chef religieux autant que politique des chiites qui ne redoute nulle velléité de surenchère, le sunnite modéré Saad Hariri ne pouvait plus longtemps espérer contrôler ses ouailles au moyen d'épisodiques vidéoconférences tenues, de surcroît, à quatre mille kilomètres de distance. On veut croire avec force que cette réinsertion physique, charnelle, dans l'échiquier politique local aura l'effet d'un coup de fouet pour le camp de la modération, celui des sunnites prônant la primauté des institutions ainsi que la parité islamo-chrétienne et brandissant le slogan Liban d'abord.

De bon augure pour la communauté sunnite dans son ensemble, le retour de l'ancien Premier ministre l'est aussi, à l'évidence, pour les chrétiens, toutes tendances confondues. Ce fait ne revêt que plus d'éclat, à l'heure où la chrétienté d'Orient est en butte à la déferlante du fanatisme ; d'un point de vue égoïstement libanais, on pourrait même y voir un développement plus encourageant encore que ces tardives frappes américaines lancées hier contre des positions de jihadistes en Irak, et dont il reste d'ailleurs à évaluer les résultats concrets.

Assez ironiquement enfin, les ennemis les plus acharnés de Saad Hariri, eux-mêmes, ont tout à gagner désormais de ce come-back. Cet homme, ils attendent maintenant de lui qu'il fasse barrage à un extrémisme sunnite qui n'est que la réponse à leur propre participation militaire au conflit de Syrie. Ce même homme, ils l'avaient chargé de tous les maux de la création. À ce fils d'un chef assassiné, attentat pour lequel ils sont pointés du doigt par la justice internationale, ils ont promis le même et terrible sort. L'un de leurs alliés s'est publiquement gaussé de l'aller simple pour l'exil qui lui était ainsi délivré ; et c'est ce même personnage qui en venait dernièrement à se porter garant de sa sécurité, si seulement l'ancien chef de gouvernement l'aidait à se faire élire président.

Reste à savoir qui garantit quoi, en démocratie libanaise. L'impunité continue de faire loi dans notre doux pays. Jusqu'à nouvel ordre, les risques de mort violente y demeurent inséparables des fastes et honneurs de l'action politique.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

C'est en forme de salve que se succèdent depuis quelques jours, sur la scène libanaise, les coups de théâtre. Et, avec eux, une foule d'interrogations demeurées sans réponse claire et nette. Pourquoi, par exemple, les combattants islamistes de Daech et d'al-Nosra ont-ils subitement investi la localité libanaise de Ersal, alors qu'il leur reste tant à faire encore sur les terrains syrien...