La séance parlementaire d'hier consacrée à l'élection d'un nouveau président de la République a été courte mais riche en émotions. C'est d'abord l'une des rares fois que l'hémicycle affichait presque complet avec 124 députés présents sur 128, les absents étant Saad Hariri et Okab Sakr à l'étranger, Élias Aoun à l'hôpital et Khaled Daher refusant de voter pour Samir Geagea. Les ténors étaient donc là : Michel Aoun, Walid Joumblatt, Sleimane Frangié, sans oublier bien sûr Nabih Berry et Fouad Siniora. Du côté du gouvernement, les rangs étaient quelque peu clairsemés, mais tous ceux qui ont la double casquette de député et de ministre étaient là pour voter, avec à leur tête le Premier ministre Tammam Salam.
D'emblée, la tension semblait grande. Les députés (et les journalistes) avaient beau connaître le scénario à l'avance, il y avait quand même une pointe d'angoisse sur d'éventuelles surprises, mauvaises pour les uns, heureuses pour les autres. D'ailleurs, tout au long de la séance, l'atmosphère binaire était claire et perceptible : ce qui plaisait à un camp déplaisait à l'autre et vice-versa, exposant ainsi au grand jour la grande division des députés et, à travers eux, celle des Libanais. Mais le plus évident encore était la division dans les rangs chrétiens, le Hezbollah, Amal et même le courant du Futur et les druzes se faisant discrets face aux députés chrétiens, toutes tendances confondues, lesquels multipliaient les déclarations « à fleurets mouchetés ». Au point qu'on croyait presque vivre un nouvel épisode de la « guerre fratricide » des années 90, sans fusils ni canons cette fois, mais avec des mots cinglants et des phrases lapidaires. L'arrivée de Tracy Dany Chamoun pour assister à la séance et y annoncer sa candidature a encore ravivé les mémoires, en rappelant aux présents un des plus tragiques épisodes de la guerre libanaise et surtout en réveillant cette sorte de « malédiction chrétienne » qui n'en finit plus de poursuivre le pays.
Soignant leurs entrées, les députés ont commencé à affluer place de l'Étoile à partir de 10h30, soucieux de saluer les journalistes. Avec une pointe d'humour, Ghassan Moukheiber a lancé : « Les députés sont aujourd'hui comme les cardinaux lorsqu'ils élisent le pape, le Saint-Esprit en moins », alors que le vice-président de la Chambre, Farid Makari, a ostensiblement clamé que son candidat est aujourd'hui Samir Geagea, mais qu'il le sera aussi pour la prochaine séance et pour toutes celles qui suivront...
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Ce n'est qu'à midi dix que la séance a été déclarée ouverte par Nabih Berry, avec un quorum de 124 présents. Le président de la Chambre énumère les candidats, Samir Geagea bien sûr, mais aussi Henri Hélou et Tracy Chamoun, Nadine Moussa et Béchara Abou Younès. Ce qui fait dire à Serge Torsarkissian que ces derniers devraient présenter leur CV pour que les députés sachent à qui ils ont affaire. M. Berry a ensuite rappelé aux députés qu'ils doivent mettre le nom de leur candidat sans rajout faute d'annulation du bulletin et l'opération de vote s'est déroulée en quelques minutes, chaque député restant sagement assis à sa place. Une fois le devoir accompli, les députés du bloc du Changement et de la Réforme et ceux du bloc de la Résistance ont commencé à se retirer. Le chef du législatif leur a demandé de revenir, mais toujours prompt à riposter, Serge Torsarkissian s'est écrié : « Ils sont partis sans espoir de retour »...
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Le dépouillement des bulletins est ensuite entamé, alors que le silence se fait dans l'immense salle, jusque sur les bancs réservés aux journalistes et aux diplomates – où d'ailleurs s'est installé l'ambassadeur de France Patrice Paoli avec une délégation de l'ambassade. C'est le directeur général du Parlement qui s'est chargé d'ouvrir les enveloppes pour remettre leur contenu à Marwan Hamadé qui lisait les noms d'une voix haute et solennelle. Pendant toute la durée du dépouillement, le silence était quasiment total et il est devenu opaque et lourd lorsque, dans la salle qui retenait son souffle, ont retenti les noms de Rachid Karamé, Tarek Dany Chamoun, Jihane Tony Frangié et Élias Zayeck. Certes, cette mention n'était pas de nature à renverser les résultats annoncés ni à modifier la donne. Mais pour ceux qui ont mis ces noms, il s'agissait de rappeler le passé du candidat Samir Geagea, qui, depuis la fin de sa détention en 2005, dans le cadre d'une loi d'amnistie, n'a cessé, selon eux, de vouloir l'effacer des mémoires. À ce propos, il faut préciser qu'une fois dehors, Sethrida Geagea, tout de rouge vêtue, a déclaré aux nombreux journalistes qui cherchaient à obtenir sa réaction qu'elle est probablement la seule femme au monde à avoir voté la loi d'amnistie libérant son époux pour ensuite voter en faveur de sa candidature à la présidence de la République...
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Le dépouillement achevé, les résultats sont lus par Nabih Berry : 48 voix pour Geagea, 52 bulletins blancs, 16 voix pour Henri Hélou, une voix pour Amine Gemayel et sept votes annulés. Constatant qu'il n'y avait plus que 78 députés dans la salle (il en faut 86 pour le quorum), le président de la Chambre a levé la séance pour fixer un autre rendez-vous mercredi prochain.
Ce fut aussitôt la ruée vers les portes, les journalistes voulant interroger les députés avant qu'ils ne quittent le Parlement. L'objectif était d'abord de connaître l'identité de ceux qui ont mélangé les cartes, puisque la veille, les pronostics étaient de 50 à 52 voix pour Geagea, 57 bulletins blancs et 11 pour Henri Hélou. Il est donc clair que des députés non membres du bloc de Walid Joumblatt (qui a retrouvé ses trois membres perdus depuis la chute du gouvernement de Saad Hariri) ont voté en faveur de Hélou. Les confidences des uns et des autres ont permis de savoir que Nicolas Fattouche a voté pour Hélou, ainsi que Nayla Tuéni et Michel Murr, et encore Nagib Mikati et Ahmad Karamé. Le seizième bulletin reste imprécis. On parle du Premier ministre Tammam Salam. Par contre, le député de Tripoli membre du courant du Futur Mohammad Kabbara aurait mis le nom de Rachid Karamé. Certains disent aussi que le député du bloc du Changement et de la Réforme Farid el-Khazen aurait voté pour Henri Hélou du fait d'une longue amitié entre eux. Ce qui voudrait alors dire que Mohammad Safadi aurait voté blanc. Ziad Assouad du bloc du Changement et de la Réforme a révélé avoir mis le nom de Jihane Tony Frangié et il est probable que les autres bulletins annulés aient été déposés dans l'urne par des députés du même bloc. En tout cas, Nabil Nicolas et Abbas Hachem ont affirmé avoir voté Tarek Dany Chamoun. Ces votes, qui étaient destinés à rappeler le passé de Samir Geagea, ont d'ailleurs fait dire à Sethrida Geagea qu'ils sont l'indice « d'une faillite politique totale ». Mme Geagea a quand même qualifié la séance de « noces démocratiques »...
(Voir : Qu'attendez-vous du prochain président ? Les Libanais, à travers le pays, répondent)
Ces votes étaient en tout cas la seule surprise de cette séance destinée à sonder les intentions. En dépit du ton victorieux des députés des Forces libanaises, du profil bas des députés Kataëb, du silence des députés du Hezbollah et de l'air narquois des députés du bloc du Changement et de la Réforme qui semblaient dire « rira bien qui rira le dernier », chaque camp va désormais revoir ses calculs en prévision de la prochaine séance qui a été résumée par Michel Aoun : « Il est encore trop tôt pour parler d'un candidat consensuel. »
commentaires (4)
C'est tout de meme une mini gueule de bois ce matin ! Les 14 evanescent parti la "fleur au fusil" comme ils le pretendent , s'en sont revenus bredouilles et le crosse entre les jambes. On pourra jouer autant qu'on voudra avec les principes de dignite des peuples , mais en fin ce compte rien Nasser de courrir, Sadate depuis longtemps , le seul president valuable pour un Liban puissant , fort et independent ne peut etre que sorti des principes de la resistance a l'injuste qui est fait aux peuples du M.O , on vient de voir ce qu'une reconciliation chez nos frères et voisins palestiniens pouvaient engendrer . La relation ace qui se passé chez nous ? eh bien le bloc du 14 evanescent , ou ira t il chercher ses allies ? c'est pas sur Mars ( planete ) mais bien en binsaoudi alliee du pays pays de l'usurpation . Scarlett , sans vous rien ne peut etre aussi clair , laissez moi vous demander une faveur , ne nous lachez surtout pas en si bon chemin .
FRIK-A-FRAK
14 h 47, le 24 avril 2014