« Être ou ne pas être »... Le choix devant lequel se trouve aujourd'hui le Liban est aussi simple, dans sa formulation, que cette célèbre petite phrase lancée par Hamlet dans la pièce de Shakespeare. Bien au-delà des personnes, ces quelques mots résument l'enjeu véritable de la bataille présidentielle de 2014. Le déroulement du scrutin d'hier, place de l'Étoile, a confirmé dans les chiffres, quantitativement et médiatiquement, une réalité qui n'échappe depuis longtemps à personne : la confrontation entre une vaste coalition, le 14 Mars, dont le projet souverainiste – un projet de paix civile – a été à nouveau clairement exposé dans le programme présidentiel du leader des Forces libanaises, Samir Geagea ; et une nébuleuse, dont l'élément moteur est le Hezbollah, avec ses aventures guerrières qui dépassent largement les frontières du pays et de la région ; et entre les deux, un bloc, celui de Walid Joumblatt, qui a lancé dans la bataille l'un des ténors du 14 Mars, Henri Hélou, un bloc qui tient, pour l'essentiel, le discours du 14 Mars, mais qui évite de brandir l'étendard « quatorzemarsiste », par manœuvre et pour renforcer son rôle de faiseur de roi.
Ce que le décompte des voix a mis en relief, c'est que l'enjeu aujourd'hui, à la faveur de cette bataille présidentielle, c'est la présence ou non d'une République, c'est la réédification ou non d'un État, la sauvegarde ou non de la formule libanaise, du Liban-message, de ce qui a fait la raison d'être du pays du Cèdre depuis la proclamation du Grand-Liban, en 1920.
Le mérite du programme présidentiel de Samir Geagea, c'est qu'il a posé, dans le fond, les bonnes questions, que nous ne répèterons jamais suffisamment : les Libanais désirent-ils que le pays soit géré par un État digne de ce nom, ou veulent-ils s'accommoder du fait accompli de l'autorité milicienne paraétatique (celle du Hezbollah) qui gangrène l'État ? Les Libanais désirent-ils mettre tout leur poids dans la balance afin de tenter (au moins) de tenir leur pays à l'écart de la politique des axes régionaux, d'établir (enfin) un climat de paix civile, de ne plus se laisser entraîner dans des aventures militaristes dont ils n'ont cure, ou veulent-ils assister passifs à l'entreprise d'instauration d'une société (d'une culture) guerrière, au bénéfice de grands projets régionaux qui ne les concernent ni de près ni de loin ? Les Libanais souhaitent-ils consolider l'élan populaire souverainiste transcommunautaire qui caractérise la révolution du Cèdre, ou préfèrent-ils, au contraire, relancer le phénomène de repli communautaire et de renforcement des courants extrémistes fondamentalistes, aussi bien sunnite que chiite, sous l'effet de l'ancrage du Hezbollah à un projet géopolitique transnational ? Les Libanais désirent-ils mettre un terme à l'effondrement socio-économique du pays, ou n'ont-ils d'autre choix que se résigner au fait accompli hezbollahi qui paralyse systématiquement le pouvoir et plonge de plus en plus le pays dans l'abîme de la déroute financière ?
(Voir : Qu'attendez-vous du prochain président ? Les Libanais, à travers le pays, répondent)
Bien au-delà des personnes, tels sont les défis que le prochain président se doit impérativement de relever. À défaut, la crise politique, institutionnelle, sociale, économique, sécuritaire et morale qui mine le Liban se prolongera et s'aggravera à un rythme exponentiel, et l'ensemble des Libanais continueront à être les otages du projet transnational du Hezbollah. L'enjeu de cette bataille présidentielle est de permettre d'élire un président qui ait suffisamment d'envergure, de courage et de détermination pour créer une situation politique nouvelle dans le pays, pour rétablir un équilibre au niveau du pouvoir – comme l'a souligné le Premier ministre Tammam Salam – afin de freiner la descente aux enfers. Face à l'ampleur d'un tel enjeu, les demi-mesures, les calculs politiciens mesquins, les considérations d'ordre sectaire, les règlements de comptes personnels, les attitudes frileuses et les louvoiements ne sauraient être admissibles.
D'aucuns prônent « le dialogue », la « concorde » et la « politique d'ouverture » pour atteindre ce même objectif. Soit... Mais à condition que la partie d'en face comprenne réellement le concept de dialogue et d'entente cordiale et qu'elle ne perçoive pas le dialogue et l'ouverture comme un moyen d'imposer son diktat. Quel type de « dialogue » est-il possible d'engager avec un parti : qui avalise la déclaration de Baabda et la renie d'une manière effrontée quelques jours plus tard ; qui prend l'engagement solennel au cours de la conférence arabe de Doha (en 2008) de ne pas provoquer la chute du gouvernement d'union nationale et qui fait chuter quand même ce gouvernement ; ou, pis encore, qui efface d'un coup de main, sous l'effet des menaces et de l'intimidation milicienne, les résultats d'élections législatives ?
Quelle voie suivre face à cette déplorable réalité ? Précisément, l'élection d'un président qui ait suffisamment de détermination et de courage pour rétablir l'équilibre politique perdu dans le pays, passage obligé pour initier un redressement institutionnel, économique, social et sécuritaire. Et dans ce cadre, les blocs parlementaires qui sont conscients d'un tel enjeu mais qui craignent d'agir clairement en conséquence ont une responsabilité historique à assumer devant l'histoire... Et les Libanais.
L'enjeu n'est d'ailleurs pas uniquement local. Il est aussi occidental et arabe. Certains pays se sont prononcés sans détours pour un candidat « consensuel ». En clair, cela condamne le nouveau président à se contenter de gérer la crise et le Liban à rester l'otage des jeux régionaux qui le dépassent. Les défenseurs de l'option du candidat « consensuel » oublient cependant un peu trop vite que la perpétuation du fait accompli paraétatique imposé par le Hezbollah ne peut avoir pour conséquence, à plus ou moins brève échéance, que de renforcer, par réaction, les courants jihadistes, au Liban et en Syrie. Et ces mouvances extrémistes finiront tôt ou tard par déborder du cadre libanais et syrien pour traverser les océans. Pour les services occidentaux et arabes, il sera alors trop tard ...
commentaires (11)
C'EST DE RÉSURRECTION QU'IL FAUT PARLER ! MAIS LES MORTS-VIVANTS DE L'ABRUTISSEMENT GÉNÈRENT DES ZOMBIES ET NON DES HOMMES !
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 39, le 26 avril 2014