Depuis le début de cette semaine fleurissent sur les murs de Beyrouth de curieuses affiches en noir et blanc réclamant Fouad Chéhab pour président. Fouad Chéhab est mort en 1973. C'est un peu comme si, toutes proportions gardées, les Français, en plein scrutin présidentiel, rêvaient du retour de De Gaulle, ou les Américains de celui d'Eisenhower. Par delà la boutade, on peut s'interroger sur le sens d'une telle campagne, à l'heure où se déroulent les premières phases de cette élection dans une ambiance, du moins à ce stade, étonnamment tiède, pour ne pas dire quasi dépassionnée. Que représente donc ce portrait suranné d'un homme en frac et pantalon rayé, cravate blanche sur chemise blanche et rosette à la boutonnière ? Droit dans ce cliché en pied, Fouad Chéhab, comme raidi par les innombrables garde-à-vous de sa carrière militaire, n'a pas ce regard de visionnaire, perdu dans un horizon lointain, que les photographes des années 50 et 60 conféraient aux hommes politiques. Il regarde simplement devant lui, sans émotion particulière. Il a l'air satisfait. De fait, il géra la patrie en bon pater familias de son époque, modernisant les infrastructures et les services sociaux tout en développant un redoutable appareil sécuritaire qui savait tout sur tous. Autant dire que son mandat n'avait pas qu'un parfum de violette à ce moment de l'histoire où, indépendants de fraîche date, les Libanais n'étaient pas rassasiés de liberté.
La question est de savoir si les auteurs de cette campagne d'affichage – que l'on suppose jeunes – souhaitent vraiment un président ayant le profil de Chéhab, ou s'ils ne font qu'exprimer leur nostalgie d'une époque qui leur semble idéale. Veulent-ils vraiment être gouvernés par cette statue du Commandeur, ou rêvent-ils plutôt du décor qui l'accompagne, ces maisons à arcades avec leurs petits jardins que rafraîchit un bassin, les troquets du port, la faune des souks, les belles Américaines à ailerons, les actrices au regard humide, taille corsetée et seins bombés sur les affiches géantes d'un cinéma aujourd'hui démoli ?
Hier, tandis que les députés ouvraient leurs jeux, place de l'Étoile, le monde célébrait la Journée de la Terre. Dans l'état où se trouve aujourd'hui la terre, il s'agissait plutôt d'une commémoration. On a encore planté des arbres. Allez savoir si la terre est contente qu'on lui plante tous ces arbres, elle qui n'aura bientôt plus assez d'eau à leur donner. Un vieil arbre, pourtant, est une chose magnifique à enlacer. On pose la joue à l'écorce. On écoute monter la sève. On s'emplit d'énergie tellurique. Dans notre pays à bout de souffle et de ressources, nous n'arrivons plus à envisager l'avenir autrement que sur le modèle d'un certain passé. Enlacer un vieux chêne ou placarder Chéhab, en noir et blanc, sur les murs lépreux de Beyrouth, un même et pathétique combat.
commentaires (5)
Fifi, encore, toujours, "devin", le mot juste, le verbe aisé, la vision claire, l'image crue et vraie, ambassadeur extraordinaire plénipotentiaire de nos sentiments et de nos émotions... Merci ENCORE Fifi....
Abdallah Shirine
13 h 40, le 24 avril 2014