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Nos Lecteurs ont la Parole - Dr Maria BASSIL

Et si c’était ça, le Liban ?

Vendredi soir, 19 heures. Je décide de faire une virée shopping en solo, sans mari, ni enfants, ni même copines. Direction le centre-ville pour sortir un peu des éternels malls devenus de véritables forteresses. Je passe devant la place Riad el-Solh puis je longe les thermes romains et l'église Saint-Louis des capucins pour finir aux Souks. Un profond sentiment de tristesse me prend alors aux tripes : Beyrouth est désertée, complètement désertée, et ce une veille de week-end ! ! Beyrouth l'envoûtante, l'ensorceleuse, la festive est comme une ville fantôme. Son cœur bat au ralenti. Peu, très peu de cafés sont ouverts et peu de clients s'y aventurent. À 20 heures, les magasins sont presque vides. Les étalages sont remplis de vêtements pourtant soldés, mais la clientèle ne se bouscule pas. Beyrouth la flamboyante, l'avant-gardiste, le phare de l'Orient est réduite à l'état peu reluisant et oppressant d'une caserne : barricades en tout genre, supposées être dissuasives, policiers, vigiles, soldats lourdement armés. Beyrouth somnole pour ne pas dire se meurt et laisse malgré elle la place qui lui était dévolue à Dubaï, Abu-Dhabi, Doha ou même récemment Irbil. Ces derniers ont supplanté notre capitale sur l'échiquier international en devenant de véritables et redoutables plaques tournantes de la finance et des plateformes culturelles, économiques et artistiques. À eux les prestigieux festivals de musique, de cinéma ou de mode, les musées où brillent les œuvres de Cézanne ou Van Gogh, les tournois internationaux de polo, de tennis, les concours hippiques avec des élégantes du monde entier qui se pressent dans les tribunes comme au prix de Diane ou à Longchamp, les étapes de Formule 1 et tout le glamour et la manne touristique qui va avec. À nous les voitures piégées, les kamikazes en tout genre qui terrorisent et font fuir aussi bien les touristes que les nationaux. Et à la clef un nouvel état d'esprit qui bouffe notre quotidien : la peur. Beyrouth, qui était légendaire pour son sens de la fête, sa douceur de vivre et sa culture du beau et de la vie, bascule une fois de plus et à son corps défendant dans l'horreur et la peur, et dans l'ère infamante des milices, des bras armés de familles hors la loi qui veulent faire leur propre loi et, plus grave encore, dans les bras de jihadistes aux discours délirants qui semblent venir d'un autre monde...
Tout cela se produit au su et au vu de nos politiciens chevronnés qui s'étripent par médias interposés pour se faire des salamalecs en privé.
Tout cela est le fruit d'une classe politique déplorable et corrompue jusqu'à la moelle, accrochée au clientélisme aveugle et sauvage et au féodalisme, car ils lui permettent d'asseoir son pouvoir ad vitam aeternam et de prospérer effrontément en dilapidant les deniers publics et en renflouant ses comptes et, au passage, ceux de ses courtisans et ses sbires pour s'assurer de leur fidélité. Tous sont complices de cet ignoble crime, crime qui a fait de notre pays la poubelle et la poudrière du monde, infesté et gangrené de jihadistes en tout genre. La dernière mascarade est digne des grandes heures de la comedia dell arte où l'on assiste, impuissants, incrédules et désolés, à un duel de bouffons pour la formation du gouvernement. Chaque partie se prostitue presque pour avoir les portefeuilles les plus juteux afin d'installer dans les ministères qu'elle s'approprie sa cour de flagorneurs inefficaces et même médiocres, mais dont la seule qualité est d'être totalement assujettis et donc dociles. Principes de démocratie, d'équité ou de probité foulés au sol, morale et éthique en berne, valeurs patriotiques, abnégation, devoir et sacrifice relégués aux oubliettes. Par contre, on aura eu droit à tous les délires et servis à toutes les sauces s'il vous plaît : alliance contre nature, retournement de veste spectaculaire qui laisse caduc le choix des urnes pourtant censé être sacré et faisant au passage de Beyrouth un Hanoï au lieu d'un Hong Kong (n'est-ce pas M. Joumblatt ? ...). Il y eut même du négationnisme nauséabond qui valida les exactions d'un régime « frère » criminel et pestiféré, et pour finir des discours populeux et populistes avec à la clef une interprétation débile et infantilisante de rôle du régime de Damas dans la soit-disant protection des chrétiens d'Orient. Tout leur est permis car ils jouissent, et ils le savent, d'une impunité totale étant complices dans le même crime, celui d'avoir réduit le Liban à une terre de litiges sans fin et ses citoyens à une chair à canon pour les règlements de comptes internationaux. Même le vote du peuple et le verdict des urnes n'ont aucune valeur à leurs yeux. Leur ego surdimensionné les rendant sourds et aveugles, nul ne pense au bien-être du peuple, éreinté par trente ans de conflits, de marasme économique, de fuites des cerveaux. On n'est plus que pourvoyeur et exportateur d'une jeunesse brillante qui va se construire un avenir radieux sous des cieux plus cléments et transformer des déserts en paradis.
Comment sommes-nous tomber aussi bas ? Comment n'avons-nous pas pu endiguer par les urnes ou la rébellion pacifiste, mais tenace et inflexible, ce flux et cette éclosion de politiciens véreux, ces nébuleuses devenues professionnelles dans le démembrement de ce qui reste de la République, dans le dynamitage de ses institutions en exigeant par exemple, et c'est un comble, des maroquins spécifiques comme si l'État était leur propriété. Comment et quand notre seuil de tolérance, de critique et de résilience a-t-il atteint ces hauteurs pour que rien ni personne, même les crimes les plus abjects, les plus gratuits, ne nous fassent plus réagir, ou si peu ? Le pire, nous dit-on, est à venir...
Mais du fond des ténèbres et de la morosité ambiante, un ange blond est passé dans la soirée du samedi 25 janvier. Un ange au sourire ravageur qui, en dix toutes petites minutes, s'est invité sur nos écrans pour nous rappeler de quoi et surtout pour quoi est fait le Liban. Aline Lahoud, ce soir-là, a ramené les Libanais loin, très loin dans leur passé, c'est-à-dire lorsque ce passé était encore synonyme de beauté, de joie, de musique, de talent en tout genre et de rayonnement artistique et culturel permanent. En chantant une chanson libanaise – sacrés choix et défi ! –, elle a envoûté le jury, les publics français et libanais, et administré une claque magistrale à tous ceux qui veulent que le Liban tombe dans l'obscurantisme et le chaos. On étaient tous Nahi Lahoud samedi soir, fiers et émus devant sa prestation. Et comme par miracle, et pour quelques minutes seulement, par sa fraîcheur, son aplomb et son talent, Aline a occulté les menaces sauvages d'el-Nosra et autre Daech. Pour quelques minutes, on s'est pris à rêver : que c'était ça le Liban, que ce n'était que ça le Liban, que ça ne pouvait et ne devait être que ça le Liban. Un peuple et une jeunesse avides de réussite, de rayonnement culturel et intellectuel, cosmopolites et ambitieux, fiers de représenter leur pays, s'il le faut et en même temps bien enracinés dans leur terre, ses traditions et sa culture. Un peuple et une jeunesse transcendés par leur unique et extraordinaire puissance et appétit d'exister et de vivre. De vivre, bon sang ! Merci Aline.

Dr Maria BASSIL

 

Vendredi soir, 19 heures. Je décide de faire une virée shopping en solo, sans mari, ni enfants, ni même copines. Direction le centre-ville pour sortir un peu des éternels malls devenus de véritables forteresses. Je passe devant la place Riad el-Solh puis je longe les thermes romains et l'église Saint-Louis des capucins pour finir aux Souks. Un profond sentiment de tristesse me prend alors...
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