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Nos Lecteurs ont la Parole

Au crépuscule de la mémoire...

Joseph Goebbels, maître de la propagande de guerre, disait : « Plus le mensonge est gros, mieux il passe. » Cette vision l’a élevé au sommet du pouvoir dans le régime nazi, après seulement Adolf Hitler. Goebbels voulait mettre l’accent sur le fait que pour coupler une histoire fictive à la réalité et la rendre incrustée dans la mémoire, il suffit d’engager les émotions, de les manipuler et de les modifier au moment présent. Plus récemment, les recherches sur la mémoire ont démontré notre capacité à modifier notre vision du passé, influencée par le contexte du moment présent. Les expériences de la professeure Elizabeth Loftus ont prouvé que de faux souvenirs peuvent être facilement implantés lorsqu’on pose des questions suggestives aux témoins d’un incident ou lorsqu’on leur fournit des informations erronées après un événement choquant. C’est en effet ce qui distingue la mémoire de l’histoire et que le philosophe français Paul Ricœur a bien décrit en disant : « La mémoire détient un privilège que l’histoire ne partagera pas, à savoir le petit bonheur de la reconnaissance : c’est bien elle ! C’est bien lui ! Quelle récompense, en dépit des déboires d’une mémoire difficile, ardue ! C’est parce que l’histoire n’a pas ce petit bonheur qu’elle a une problématique spécifique de la représentation et que ses constructions complexes voudraient être des reconstructions, dans le dessein de satisfaire au pacte de vérité avec le lecteur. » Ainsi, la mémoire collective d’un peuple ne se réduit pas à une simple succession de souvenirs puisés dans l’histoire écrite, mais plutôt à une fusion de données résonant avec cette histoire pour éclairer les émotions au présent qui est en continuité avec le futur. Si le présent est mal appréhendé, si le consensus sur l’actuel et la nation fait défaut, la mémoire collective s’embrouille, tout comme les identités communes et toute projection collective vers l’avenir.

Dans ce contexte, l’histoire classiquement racontée du Liban se caractérise par le fait que les groupes confessionnels ont trouvé une certaine cohésion sous l’influence des interventions étrangères, tandis que la mésentente et le chaos ont éclaté en leur absence. Il est proposé ici de rafraîchir cette mémoire et de la remettre en perspective dans un effort de discernement. En effet, lorsque les données s’obscurcissent et que le jugement est altéré par une multitude d’images, de termes et de slogans, la vision du passé entre dans son crépuscule : une phase où la vigilance est élevée, où l’attention est concentrée pour ne rien manquer, mais où le manque de lumière ôte aux images leur éclat et leur couleur. À travers les lentilles d’un télescope du temps, l’histoire du Liban pourrait se résumer ainsi : « Malgré la domination ottomane, le Liban a conservé une certaine autonomie sous la principauté du Mont-Liban, marquée par des tensions interconfessionnelles et des influences étrangères. L’émir Fakhreddine II a initié un rapprochement au XVIe siècle en se convertissant au christianisme, assurant la prospérité de la principauté. La transition vers la guerre civile de 1860 a été précédée de tensions croissantes, provoquant des affrontements religieux. L’intervention française en 1861, en tant que « puissance protectrice » des maronites, a laissé une marque importante. Plus tard, le mandat français (1920-1946) a introduit des réformes politiques et économiques, et l’indépendance en 1943 a maintenu des liens avec la France. La guerre civile de 1975-1990 a été dévastatrice, impliquant des acteurs locaux et internationaux, aggravée par des interventions étrangères. L’accord de Taëf en 1989 a mis fin à la guerre civile en réformant le système politique et en confiant à la Syrie la responsabilité de mettre en œuvre ces principes sur le terrain. Malgré cela, les défis subsistent, notamment la reconstruction postconflit et l’instabilité politique. Depuis le retrait des forces syriennes à la suite des manifestations de millions de Libanais comme le 14 mars 2005, le Liban est confronté à une instabilité persistante, exacerbée par une crise économique, politique et identitaire déclenchée en 2019, menaçant d’escalader vers de nouveaux conflits armés civils. »

À partir de ce bref aperçu de notre histoire, il serait plausible de noter que les périodes de désaccord entre les composantes du pays ont été bien plus longues que celles d’entente. Il est également remarquable que les périodes de gestion politique directe par des puissances étrangères ont été relativement paisibles, grâce à une autorité protectrice ou oppressive, évitant ainsi les tensions internes. Il semble que chaque fois que des décisions devaient être prises collectivement, sans intervention extérieure, le risque de retour à la guerre civile augmentait. Il serait aussi possible de réaliser que ce qui a maintenu ce pays uni, c’est la volonté internationale, en particulier celle de la France, qui croit en la viabilité du modèle conçu il y a plus d’un siècle, ainsi que certaines initiatives locales, telles que les manifestations du 14 mars 2005 demandant la sortie de l’armée syrienne. Et encore... il convient de remarquer que notre perception de notre histoire, de toute notre mémoire collective, pourrait être erronée, car elle n’est que le reflet de perceptions détournées par notre suggestibilité qui invite les nouveaux Goebbels à stimuler sans cesse.

Pour permettre à la lueur du crépuscule de notre mémoire collective de glisser paisiblement dans son horizon, luttons contre la désinformation et la vulnérabilité à la suggestibilité. Soulignons que l’identité des Libanais ne se résume pas à leurs affiliations confessionnelles, mais découle également d’un patriotisme forgé dans la résilience et la résolution des problèmes qui les rendent uniques en tant que peuple. Mettons en avant le fait que les gens vivent dans des villages où cohabitent chrétiens et musulmans, ainsi que dans des villes où les tensions intercommunautaires ne se manifestent pas nécessairement dans leurs interactions quotidiennes, contrairement à ce que l’on pourrait penser à la lecture de notre histoire. Soulignons également que toutes les tentatives de résoudre la question des tensions interconfessionnelles, telles que la modernisation de l’état civil par le mariage civil, ont été entravées par les mêmes adeptes de Goebbels. Mettons en lumière que le véritable enjeu réside moins dans la question des confessions que dans celle de la vie civique, car une grande partie des Libanais résistent à la vie en société dans un État de droit lorsqu’ils en ont le choix, préférant la situation d’absence de règles et de normes. Ajoutons aux ingrédients de notre histoire que notre endoctrinement par la peur de l’autre, de notre compatriote, de notre homologue partenaire dans la constitution du peuple libanais faisait appel à toutes les formes d’ingérence externe. Voilà la véritable histoire du Liban, celle que notre mémoire doit préserver pour mieux comprendre le moment présent. Notre peur de l’autre, forgée à la taille de ce que nos multiples dirigeants veulent nous faire croire, n’est pas notre seul symptôme. Il s’y ajoute notre incapacité à adhérer aux exigences de la vie collective, notre incapacité à favoriser notre appartenance patriotique face à nos multiples autres appartenances, notre manque de discernement par rapport à ce que l’on veut retenir du passé pour envisager ensemble notre avenir, notre peur de l’incertitude générée par le changement de mentalité aboutissant à une résistance, une opposition, une immuabilité, une inertie... Retenons de notre passé ce moment éphémère, lorsque l’émir Fakhreddine II a réussi sa direction du pays car il a fait preuve de nationalisme basé sur l’équité vis-à-vis de toutes les confessions ajouté à une confrontation de l’incertain. L’émir a réussi à unir, dans une même perspective, non seulement les confessions antagonistes, mais aussi les éléments du crépuscule aux éléments de l’aube qui lui ressemblent, grâce à son caractère visionnaire et décisif. En fin de compte, il a pu comprendre que ce qui rapproche le crépuscule à l’aube, à part l’embrouillage de la vision, c’est la profusion de pensées, de rêves, de projets et d’ambitions, le tout amalgamé au frémissement de l’incertitude au moment de prise de décision…

Rami BOU KHALIL, MD, PhD

Chef du service de psychiatrie

à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé

à la faculté de médecine

de l’Université Saint-Joseph.

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Joseph Goebbels, maître de la propagande de guerre, disait : « Plus le mensonge est gros, mieux il passe. » Cette vision l’a élevé au sommet du pouvoir dans le régime nazi, après seulement Adolf Hitler. Goebbels voulait mettre l’accent sur le fait que pour coupler une histoire fictive à la réalité et la rendre incrustée dans la mémoire, il suffit d’engager les...
commentaires (1)

Bonjour, Je m'adresse à la personne qui a changé le systéme de la lecture du journal, malheureusement nous n'arrivons plus à le lire les caractères sont petits et pour les agrandir ce n'est pas assez. Est ce que vous pouvez rectifier le nouveau systéme ? Bien à vous

geara joe

02 h 49, le 15 mai 2024

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Commentaires (1)

  • Bonjour, Je m'adresse à la personne qui a changé le systéme de la lecture du journal, malheureusement nous n'arrivons plus à le lire les caractères sont petits et pour les agrandir ce n'est pas assez. Est ce que vous pouvez rectifier le nouveau systéme ? Bien à vous

    geara joe

    02 h 49, le 15 mai 2024

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