À l'heure où le pays vit et tremble au rythme du terrorisme jihadiste, qui a frappé par deux fois en l'espace de 48 heures, la « démocratie consensuelle à la libanaise », ce système dans lequel le chantage des partis politiques a la primauté sur le droit écrit, se porte mieux que jamais.
Les « takfiristes », comme les surnomme le Hezbollah (parce que ce parti, qui est lui-même fondamentaliste, veut continuer à donner une connotation positive au terme de « jihadiste »), ne paraissent pas être en panne de candidats au suicide et les déclarations des responsables sécuritaires, à commencer par le ministre de l'Intérieur, ne sont guère rassurantes à ce sujet.
Fort heureusement, l'impact du kamikaze de Choueifate, en termes de bilan humain, a été finalement réduit. Mais cela est dû, semble-t-il, au fait que le terroriste, démasqué, a dû se faire exploser prématurément, avant d'atteindre les quartiers densément peuplés de la banlieue sud. En outre, si les bilans des pertes humaines que font les attentats sont, hélas, d'une grande importance, les terroristes pourraient néanmoins, au vu de leurs maigres résultats sur ce plan, se targuer en revanche d'avoir réussi à installer durablement la peur, voire la terreur, chez des populations relativement épargnées jusqu'à un passé récent par ce type de guerre lâche.
Pendant ce temps, sous couvert de remédier à ce qui serait prétendument considéré comme une spoliation des droits des chrétiens au sein du gouvernement, le CPL poursuit son épreuve de force contre le principe de la rotation des ministères, voulu par le Premier ministre désigné, Tammam Salam, et le président de la République, Michel Sleiman, et insiste pour garder dans son giron les portefeuilles de l'Énergie et des Télécoms, en plus de l'obtention d'un ministère régalien pour l'une des composantes du bloc du Changement et de la Réforme.
Hier en soirée, la situation se présentait à peu près comme suit : M. Salam, qui s'est rendu au palais de Baabda, a examiné avec le chef de l'État une mouture que l'on pourrait qualifier plus ou moins de « fait accompli ». Le Premier ministre y rejette en gros les demandes du général Michel Aoun, mais il y commet tout de même une entorse à son principe de rotation universelle en voulant satisfaire le chef du CPL sur un point : le ministère régalien.
Ainsi, les Affaires étrangères, censées à la base revenir à un grec-orthodoxe du 14 Mars (après avoir longtemps relevé de chiites du 8 Mars), étaient finalement proposées aux aounistes. Le cas échéant, ce ministère resterait ainsi dans le même camp, même s'il passe d'une composante à une autre. Le CPL recevrait en outre l'Éducation, deux autres portefeuilles devant échoir aux autres composantes du bloc aouniste, les Marada et le Tachnag.
Comme on le sait, le CPL est soutenu par le Hezbollah, que certains milieux au sein du 14 Mars accusent de manipuler le courant aouniste à sa guise afin de rester maître du jeu tout en se mettant à l'arrière-plan. On suppose donc qu'une sortie des ministres aounistes du gouvernement « de facto » serait suivie, du moins pour un certain temps, de celle de leurs collègues du Hezb.
(Lire aussi : Appels à accélérer la formation du gouvernement)
Mais le cas échéant, y aurait-il un effet boule de neige au sein du 8 Mars et ailleurs ? C'est sur ce point que les informations les plus contradictoires circulaient en soirée. Consultés hier par M. Salam, les Marada et le Tachnag ont évité de se prononcer explicitement, faisant état de concertations qui se poursuivent à ce propos. Cela signifie, pour le moins, qu'il n'y a plus d'automaticité, aux yeux de ces deux composantes, au sein du bloc du Changement et de la Réforme.
À Bkerké même, où pourtant des évêques proches du CPL défendent clairement l'approche du général Aoun, un changement de tonalité a été observé dans les derniers propos tenus par le patriarche maronite dimanche dernier. Ces propos donnent à penser que Mgr Raï n'est plus favorable à ce que l'intérêt du pays soit retardé pour des considérations partisanes.
Du côté du président de la Chambre, Nabih Berry, et du chef du PSP, Walid Joumblatt, les perspectives paraissaient tout aussi incertaines. Alors que M. Joumblatt se contentait hier, dans son intervention hebdomadaire à l'organe de son parti, al-Anba', d'un « no comment » sibyllin, ses milieux faisaient savoir en journée que le PSP était prêt à garder sa place au sein de l'équipe qui serait formée, sachant que M. Berry en ferait de même.
Mais, en soirée, certaines informations faisaient état de fortes pressions qui auraient été exercées sur le président de la Chambre par le Hezbollah pour qu'il se retire lui aussi du cabinet de facto, ce qui, du coup, entraînerait également M. Joumblatt vers la sortie.
D'après ces informations, le Hezbollah aurait décidé, au vu de l'accélération du rythme des attentats terroristes, de temporiser au sujet du gouvernement, en attendant de nouveaux succès militaires en Syrie. Il s'agirait pour lui d'emporter la décision – aux côtés du régime syrien – dans la ville syrienne de Yabroud, en face de la région d'Ersal. C'est, en effet, dans cette ville, tenue par les rebelles, que seraient, selon le Hezb, préparés les attentats terroristes perpétrés dans ses régions au Liban.
Toutefois, d'autres sources, misant toujours sur un relatif isolement du général Aoun, s'attendaient à un cabinet « de facto » dans les soixante-douze heures.
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A quoi bon un gouvernement puisque avec ou sans le terrorisme triomphera et nos responsables resteront toujours impuissants .
15 h 15, le 04 février 2014