Décidément, le général Michel Aoun n'est jamais à court de ressources dès lors qu'il s'agit pour lui de se mettre en scène dans les batailles qu'il mène, quitte à transformer ces combats en vrais mélodrames.
L'enjeu était trop important hier pour laisser quelqu'un d'autre que le chef du CPL donner lecture du communiqué mis au point au terme de la réunion hebdomadaire du bloc du Changement et de la Réforme. C'est donc le général Aoun qui s'en est chargé lui-même, malgré (ou peut-être à cause d')une indisposition qui se traduisait par un début d'extinction de voix.
Le spectacle pouvait paraître pitoyable aux yeux des uns, mais il était sûrement émouvant aux yeux des autres. Or, ce sont justement ces derniers qui sont visés, ceux-là mêmes qui sont toujours prêts à croire que le général Aoun, son parti, son gendre, ses autres ministres, ses députés, ses partisans et son électorat chrétien sont les éternelles victimes angéliques d'une classe politique sans foi ni loi... Jusqu'à en perdre la voix...
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Sur le fond, le général a repris, en termes plus solennels, les accusations lancées dimanche par le ministre sortant de l'Énergie et de l'Eau, Gebran Bassil, principalement contre le Premier ministre désigné, Tammam Salam. Ce serait donc lui le premier des bourreaux du CPL, lui qui se serait mué en « dictateur », selon les termes du communiqué lu par Michel Aoun.
Il est vrai que M. Salam, échaudé par les expériences de ses prédécesseurs, s'efforce depuis sa désignation, il y a dix mois, de réintroduire l'habitude du respect des prérogatives du chef du gouvernement, quelque peu perdue ces dernières années. Il est vrai qu'à cette fin, il faisait totalement mystère jusqu'à hier de ses intentions en ce qui concerne la répartition sur les divers blocs parlementaires des portefeuilles autres que les principaux ministères-clés.
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Tout en convenant que le Premier ministre est parfaitement dans son droit sur ce plan, certains observateurs informés notent qu'en effet, cette attitude ferme en a déjà irrité plus d'un et indiquent que des conseils de souplesse lui avaient été prodigués à ce propos.
De là à qualifier de « dictateur » un homme qui attend patiemment depuis dix mois que les protagonistes politiques se mettent d'accord entre eux sur la nature et la structure du gouvernement à former, il y a tout de même un monde.
État des lieux
Et il attend toujours ! Car il semble bien qu'avec le dernier rebondissement du soap opéra gouvernemental (un « feuilleton » finit plus vite), représenté par la crise existentielle déclenchée par le CPL, on ne soit toujours pas sorti de l'auberge. Une source centriste affirme à cet égard qu'aucune date limite n'a été à ce jour fixée et que le Premier ministre serait disposé à patienter encore pendant quelque temps en attendant la réponse définitive du 8 Mars.
Il convient de rappeler, en effet, que c'est au sein même de cette alliance que le problème s'est posé en réalité, et sûrement pas au niveau de la présidence de la République ou du Premier ministre désigné, comme le général Aoun et M. Bassil voudraient suggérer.
Voici, en résumé, où en sont les choses : le président de la Chambre, Nabih Berry, multiplie les signes de nervosité et fait fustiger par ses visiteurs et ses sources les « caprices » du général. En clair, il refuse catégoriquement de lui céder le ministère des Finances, qui est censé revenir à l'un de ses proches.
Mais à supposer que M. Berry accepte au bout du compte une telle cession, ce qui suppose que ce ministère aille à un chrétien, cela causerait un casse-tête quasi insoluble pour caser le ministre chiite qui doit être nommé à la tête de l'un des quatre ministères régaliens. Les Affaires étrangères devant aller à un chrétien du 14 Mars et celui de l'Intérieur à un sunnite du lot de M. Salam, il ne resterait plus dans ce cas que le portefeuille de la Défense, censé faire partie du lot revenant au chef de l'État. Or, on voit mal comment une personnalité chiite, même indépendante du Hezbollah, pourrait être nommée à la tête d'un département que l'Arabie saoudite vient de gratifier d'un don de 3 milliards de dollars.
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Refermons cette parenthèse. M. Berry est donc monté contre le CPL et il ne paraît pas être question pour lui de se solidariser avec celui-ci au cas où il déciderait de se retirer d'un cabinet « de facto ». Cela semble également être le cas du chef des Marada, Sleimane Frangié, et peut-être même du Tachnag. Or, ces deux derniers ne sont pas seulement alliés du général Aoun au sein du 8 Mars, ils font aussi partie de son bloc. Une sortie du CPL du cabinet, si elle n'était pas suivie de celle des Marada et du Tachnag, amènerait ainsi le bloc du Changement et de la Réforme au bord de l'éclatement.
Reste le Hezbollah. Que ferait-il dans pareil cas ? Pour l'instant, il donne à penser qu'il a l'intention de se solidariser jusqu'au bout avec son allié chrétien, lui qui a pourtant « négligé » de coordonner avec lui jusqu'ici. Le parti de Dieu a certes toujours grandement besoin de cet allié et il souhaiterait faire tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas se l'aliéner. Toujours est-il que nombre d'observateurs pensent, sans pourtant en être tout à fait sûrs, qu'il n'irait pas jusqu'à retirer définitivement ses ministres en cas de crise. S'il a besoin de Michel Aoun, le Hezb a encore plus besoin d'un gouvernement qui lui assurerait un minimum de « couverture » à l'heure actuelle.
Et c'est précisément cet aspect des choses qui semble avoir été au centre de la visite que le chef du PSP, Walid Joumblatt, a rendue lundi soir à l'ambassadeur d'Iran. Tout aussi monté que M. Berry contre le CPL, M. Joumblatt aurait demandé à Téhéran d'intervenir auprès du Hezbollah pour le dissuader de surseoir à sa participation au cabinet.
Du côté du 14 Mars, l'affaire Aoun ne suscite aucun branle-bas de combat, mais il est question de tentatives menées par le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, auprès de ses alliés chrétiens, et notamment du chef des Forces libanaises, Samir Geagea. Le but est d'obtenir que ce dernier ne s'oppose pas frontalement au gouvernement de rassemblement, même s'il s'en exclut, afin de ne pas donner de l'eau au moulin du général Aoun en élargissant l'assiette chrétienne de l'opposition.
Certes, M. Geagea a de nouveau appelé hier MM. Sleiman et Salam à former un gouvernement neutre « sans perdre une minute de plus », mais il sait que sa démarche contre le cabinet de rassemblement est aux antipodes de celle du chef du CPL. Rien donc ne l'incite à lui faciliter la tâche.
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Tant que ce général à la retraite ne se met pas à la retraite politiquement, il n'y aura pas de salut au Liban. Son temps est passé et à son âge avec son expérience de la chose "politique" il ne s'aperçoit pas de la pagaille qu'il ajoute à une situation calamiteuse, pratiquement inextricable dans l'état actuel du Liban
16 h 44, le 29 janvier 2014