Pas de surprises majeures hier au Tribunal spécial pour le Liban dont le procès s'est ouvert jeudi dernier, en présence des principales victimes directement ou indirectement concernées. L'accusation, qui s'est prononcée tout au long de la journée de jeudi sur l'affaire en entamant sa déclaration liminaire, a poursuivi hier son déroulé sur la thèse des communications téléphoniques constituant l'une des pièces centrales à conviction aux mains du procureur.
Parallèlement, les avocats des quatre membres du Hezbollah, absents de leur procès, ont rejeté les charges du procureur qui les accuse d'avoir tué en 2005 l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, et qualifié le crime de « sans mobile ».
Si les données et informations centrales avancées par le premier substitut du procureur, Cameron Graeme, sur le modus operandi de l'assassinat de Rafic Hariri ont pu surprendre plus d'une personne dans la galerie publique, ce n'était toutefois pas l'avis des conseils de la défense qui estiment que l'accusation n'a rien révélé de plus de ce qui avait été consigné sur papier, alléguant à plus d'une reprise la faiblesse des preuves qui restent à leurs yeux « circonstancielles » et peu probantes.
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L'exposé avancé par l'accusation ne manquait pourtant pas d'éléments quasiment saisissants. Décryptée dans ses plus petits détails, la chronologie de la préparation, de l'organisation et de l'exécution de l'assassinat de l'ancien Premier ministre, au cours notamment des dernières 48 heures, a été retracée étape par étape, et racontée à travers le schéma complexe des réseaux de téléphonie ingénieusement mis en place par les 5 accusés.
Bleus, rouges, verts...
S'appuyant sur un jeu de couleurs relatifs à l'attribution des lignes, des zones géographiques et des rôles affectés à chacun des protagonistes, Cameron Graeme a démonté, en quelques heures, la trame qui a mené, au cours des dernières heures, à l'heure J de l'explosion.
Consignés dans des tableaux, les relevés des appels téléphoniques sont ainsi régulièrement montrés ainsi que le mouvement croisé qui s'opère entre le type de réseaux utilisés (représentés par des couleurs) et les auteurs des appels, chacun selon la fonction qui lui est attribuée dans le cadre du « complot ». « L'ironie a voulu que ce sont les téléphones secrets que Moustapha Badreddine et Salim Ayache se sont donné tant mal à cacher qui les ont trahis », souligne le premier substitut du procureur.
S'appuyant tout le long des exposés sur des schémas et des graphiques reproduisant les différentes combinaisons d'appareils utilisés selon les missions et les acteurs en jeu, l'accusation a démontré comment l'étau s'est resserré autour du Premier ministre les dernières 24 heures surtout, témoignant d'un regain d'activité notoire des appels à l'aide des téléphones rouges notamment dans la zone qui s'étend entre Koraytem, le Parlement et le lieu de l'explosion.
Avant l'arrêt final sur image, où se dilue, dans un nuage de poussière grise, la dernière photo de la camionnette de la mort. On découvre ainsi la surveillance étroite dont faisant l'objet Rafic Hariri, chacun de ses derniers déplacements ayant déclenché une cascade d'appels téléphoniques concomitants nécessaires à la poursuite du stratagème final.
Bilan révélateur le jour du 14 février : le nombre des téléphones actifs, à savoir 9 téléphones « bleus », 6 téléphones « rouges » et deux téléphones « verts ».
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Toute une machination qui a eu besoin pour se parfaire d'une « personnalité aussi naïve que Abou Addass », utilisé par les exécutants pour avancer un faux alibi pour la revendication finale. Un kamikaze « qui ne savait même pas conduire », atteste M. Cameron révélant ainsi l'une des conclusions de l'enquête sur ce personnage mis en scène par les accusés dans une vidéocassette. « L'horreur nous a révélé l'inhumanité de ces hommes et de leur cruauté », en déduit M. Cameron.
L'exposé de l'accusation apportera en outre des informations autrement intéressantes, mais pas tout à fait inédites sur l'identité des principaux accusés, dont se démarque nettement celle de Moustapha Badreddine. Qualifié de personnage « fantôme », avec 2 identités, dont celle de Sami Issa : un bijoutier de Beyrouth, propriétaire d'un appartement à Jounieh, d'une voiture Mercedes et d'un bateau mais qui n'a laissé derrière lui aucune trace bancaire, aucun passeport et « qui ne ménageait aucun effort pour éviter de se faire prendre en photo ».
La « faille »
Bref, pour l'accusation, le parfait « incognito » qui est indiscutablement le cerveau de l'opération, puisque c'est Moustapha Baddreddine, alias Sami Issa, qui a supervisé dès le départ l'ensemble de l'opération, chapeautant directement Ayach et Merhi, qui dirigeaient à leur tour les autres membres du réseau dont on connaît uniquement Assad Sabra et Hussein Oneïssi.
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Une « faille » qui vaudra d'ailleurs à l'accusation les foudres des conseils de la défense, qui ont décidé en dernière minute de tenir une conférence de presse dès la fin de l'audience publique. Antoine Korkmaz dénonce ainsi « l'armée » de suspects additionnels qui vient s'ajouter a la liste des cinq suspects annoncés et auxquels l'accusation fait référence par la lettre S (sujet). « Le dossier de l'accusation est fondé sur des preuves purement théoriques. Rien n'est tangible, il n'y a pas d'enregistrement téléphonique, pas de témoins, pas de SMS, rien n'est solide ici », a-t-il ajouté, avant de conclure : « Nous ne savons toujours pas qui a tué Rafic Hariri », insiste l'avocat commis d'office de Badreddine.
« C'est assez surprenant de voir qu'il n'y a toujours pas de mobile trouvé à ce crime », a confié pour sa part aux journalistes Vincent Courcelle-Labrousse, avocat de la défense. « Le procureur n'a pas avancé un seul mobile » pour l'attentat, a-t-il insisté.
Les propos de la défense ont succédé à une série d'interventions particulièrement poignantes, de la part des représentants des victimes (dont certains, outre Saad Hariri, étaient présents dans la salle) pour qui la justice internationale devient « un levier à pouvoir démultiplicateur », dira Nada Abdelsamad. « Donnez moi un levier, un point d'appui et je déplacerai la terre », a ajouté la juriste, qui plaide pour une cause juste et humaine, visant à « pousser la bête sanguinaire dans les oubliettes, pas seulement au Liban mais dans le monde entier ».
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commentaires (5)
Si rien n'est tangible, il n'y a pas d'enregistrement téléphonique, pas de témoins, pas de SMS, et personne ne sait qui a vraiment tué Rafic Hariri alors pourquoi et pour qui tout ce procès ?
Sabbagha Antoine
16 h 27, le 18 janvier 2014