Rechercher
Rechercher

Liban - Éclairage

De Haret Hreik à Tripoli, des zones d’ombre alimentent toutes sortes de supputations

La bibliothèque al-Sa’eh brûlée.

C'est dans dix jours que débutera à La Haye le procès public dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri, impliquant officiellement, selon l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban, cinq cadres du Hezbollah. Ce déballage en direct des circonstances de l'attentat du 14 février 2005 interviendra dans un contexte régional explosif marqué essentiellement par la guerre syrienne, certes, mais surtout par les perspectives d'un dégel irano-occidental que l'aile radicale du pouvoir iranien – les pasdaran – et sa tête de pont libanaise – le Hezbollah – ne semblent pas apprécier outre mesure. Le tout sur fond d'exacerbation des tensions sectaires, qui sont accentuées, à l'évidence, par le conflit en Syrie et par les turbulences dans plusieurs autres pays arabes, dont notamment l'Irak, mais qui constituent dans le même temps un terrain fertile à toutes sortes de manipulations politico-socio-médiatiques.


Les enjeux présents, d'ordre stratégique et existentiel, peuvent entraîner, à n'en point douter, des machinations diaboliques, dont les Libanais sont devenus accoutumés, surtout qu'elles sont monnaie courante dans une conjoncture similaire à celle que traversent le pays du Cèdre et le Moyen-Orient. Le Liban serait-il en train d'en faire, une fois de plus, l'expérience ? La question se pose aujourd'hui avec acuité à la lumière de deux développements majeurs intervenus à l'aube de la nouvelle année : l'attentat de Haret Hreik, le 2 janvier, et l'incendie abject et en tout point criminel (pour le moins qu'on puisse dire) de la librairie el-Sa'eh de Tripoli. De troublantes zones d'ombre entourent en effet ces deux affaires.


Un rappel succinct des circonstances de l'incendie de Tripoli s'impose, d'abord. Selon la version « officielle », ou plutôt largement véhiculée à grands renforts de tapage médiatique, des inconnus (en réalité des vandales sous-développés, des « sous-hommes » ) ont mis le feu à la librairie en signe de représailles contre la volonté du prêtre en charge de cette librairie d'éditer dans une imprimerie de la ville, gérée par un islamiste, un manuscrit comportant des passages offensants à l'islam. Ces passages n'étaient autres qu'un article, datant de 2010, écrit par un vague auteur irakien, Ahmad Kadi, soulevant des points sur la vie du Prophète évoqués d'une manière clairement provocatrice. Or il s'est avéré que ce texte avait été sournoisement glissé, sous forme de pages séparées, dans le manuscrit en question, et sa teneur est, de surcroît, sans aucun rapport avec le thème de l'ouvrage qui devait être imprimé.


Plusieurs questions se posent d'emblée sur ce plan. Est-il concevable qu'un prêtre ayant pignon sur rue à Tripoli envoie à une imprimerie tenue par un islamiste un manuscrit renfermant des passages portant atteinte, de manière incontestable, à la dignité du Prophète ? Comment et par qui le texte en question, n'ayant aucun lien avec la teneur de l'ouvrage, a-t-il été intercalé entre les pages de l'ouvrage ? Plus grave encore : est-il vrai, comme l'indiquent des sources tripolitaines dignes de foi, que les forces de sécurité qui étaient en position devant la librairie se sont retirées moins de deux heures avant l'arrivée des vandales ? Auquel cas, pourquoi un tel ordre a-t-il été donné et par qui ?


Ces interrogations, qu'imposent les circonstances obscures de cette affaire, accréditent la thèse d'une vaste manipulation machiavélique visant à créer un climat de tension sectaire entre chrétiens et sunnites, en présentant ces derniers comme une faction mue par un fanatisme obscurantiste et réfractaire à toute formule de « vivre-ensemble ». Une autre hypothèse était avancée hier soir par certaines sources, sans toutefois que des données crédibles ne puissent la confirmer à ce stade : l'incendie de la librairie aurait été provoqué pour des raisons non politiques, en rapport avec la situation du bien-fonds et des considérations immobilières. Mais auquel cas, pourquoi le texte offensant à l'islam aurait-il été inséré dans le manuscrit? L'incendie aurait pu être allumé simplement, ses causes restant inconnues.


Seule l'enquête, si elle est menée à son terme, pourrait éclaircir ces zones d'ombre. En tout état de cause, l'affaire a provoqué dans l'immédiat un effet contraire à celui qu'auraient escompté les machiavéliques tireurs de ficelle, si la thèse de la manipulation diabolique s'avère vraie. Le général Achraf Rifi, qui est désormais l'un des principaux pôles politiques de Tripoli, a indiqué à cet égard à L'Orient-Le Jour que la mise à feu de la librairie el-Sa'eh a provoqué un élan de solidarité englobant toutes les forces vives de la capitale du Nord et a enclenché une « dynamique de modération, fondée sur la concorde islamo-chrétienne, l'acceptation de l'autre et l'attachement à la diversité pour faire face aux tentatives de discorde ». À quelque chose malheur est bon : le général Rifi souligne dans ce cadre que les courants « modérés » de Tripoli ont encaissé le coup et ont pris conscience de la nécessité impérieuse de monter au créneau sur la scène tripolitaine pour ne pas laisser le champ libre aux extrémistes qui représentent, précise le général Rifi, moins de 5 pour cent des sunnites de Tripoli.

 

(Lire aussi : On a brûlé les livres, pas les consciences...)

 

L'attentat de Haret Hreik
Autre zone d'ombre troublante : les circonstances de l'attentat à la voiture piégée à Haret Hreik, dans la banlieue sud, le 2 janvier. Le Hezbollah s'emploie en effet à privilégier la thèse d'une opération-suicide menée par un jeune (sunnite) de Wadi Khaled, dans le Akkar. Or les indications et observations rapportées par une source sécuritaire digne de foi (une source officielle et toujours en fonction) laissent planer des doutes sur la thèse de l'attentat-suicide et ouvrent la voie à des interrogations n'écartant pas l'hypothèse d'une manipulation médiatique prenant pour cible, encore une fois, la composante sunnite du pays, et plus précisément la région du Akkar. Selon la source en question, des témoins oculaires affirment avoir vu quelqu'un sortir de la voiture piégée et s'enfuir quelques instants avant l'explosion. D'autres sources, dont les indications n'ont pu être toutefois confirmées, croient savoir que le kamikaze présumé aurait été tué en réalité non pas par l'explosion, mais de deux balles dans la nuque.

 

(Lire aussi : Le groupe islamiste Da'ech revendique l'attentat de Haret Hreik)


Toujours au chapitre des points obscurs, et non moins troublants : comment le certificat d'état-civil du jeune de Wadi Khaled a-t-il « atterri », en bon état de surcroît, au sixième étage d'un immeuble situé sur le lieu de l'attentat, et comment les papiers du véhicule ont-ils été retrouvés, malgré l'explosion ? Comme l'a souligné le quotidien as-Safir, si le kamikaze présumé voulait garder sur lui une pièce d'identité au cas où il serait arrêté à un barrage de contrôle, les commanditaires de l'attentat auraient pu facilement fabriquer, à cette fin, un faux certificat d'état-civil. Sommes-nous devant un nouveau cas « Abou Adas », ce cadre fondamentaliste à qui le service sécuritaire syrien voulait faire assumer, en 2005, la responsabilité de l'assassinat de Rafic Hariri ? Dans ce cas, la manipulation aurait pour but non pas d'effectuer une diversion pour détourner l'attention des commanditaires de l'attentat – c'était le cas en 2005 – mais d'attiser encore plus le déchaînement des passions sectaires. Tel n'était-il pas, d'ailleurs, l'objectif de « l'opération Michel Samaha / Ali Mamlouk » ?


Autre observation soulevée par la source officielle précitée : le signalement de la voiture piégée avait été communiqué à qui de droit par les services de renseignements de l'armée une dizaine de jours avant l'attentat. Or le jour de l'attentat, le véhicule n'était nullement camouflé, au niveau notamment de la couleur de la carrosserie. En outre, comment une voiture dont le signalement avait été communiqué par les renseignements de l'armée a-t-elle pu traverser la banlieue sud et parvenir à moins de 200 mètres du siège du conseil politique du Hezbollah ?


Autant de zones d'ombre qui alimentent toutes sortes de supputations quant à l'identité non pas des exécutants mais des véritables commanditaires de l'attentat de Haret Hreik et de l'incendie de Tripoli.
Dans l'attente que l'enquête apporte des réponses convaincantes à cette série d'interrogations, le résultat dans l'immédiat reste le même : ces deux affaires sécuritaires qui ont marqué le début de l'année 2014 au Liban apportent de l'eau au moulin de ceux qui mettent en garde contre les sombres complots visant à entraîner le pays sur la voie d'une « syrianisation » rampante.

 

Lire aussi

Les morts ont parfois raison, la chronique de Nagib Aaoun

Hypercondriaques, le billet de Ziyad Makhoul

Le Hezbollah défend sa politique et ses méthodes...

C'est dans dix jours que débutera à La Haye le procès public dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri, impliquant officiellement, selon l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban, cinq cadres du Hezbollah. Ce déballage en direct des circonstances de l'attentat du 14 février 2005 interviendra dans un contexte régional explosif marqué essentiellement par la...

commentaires (6)

L'inconvénient ...c'est plus on suppute ...mois on sait ou elles sont....!

M.V.

16 h 26, le 07 janvier 2014

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • L'inconvénient ...c'est plus on suppute ...mois on sait ou elles sont....!

    M.V.

    16 h 26, le 07 janvier 2014

  • Les esprits se rejoignent pour pointer les vrais responsables derrière ces attentats: Le parti occupant la banlieue sud. Ils sont tellement en désarrois qu'ils useront de tous les moyens pour chercher a se maintenir. Menaces, assassinats, attentats, kidnappings, etc... Ils ont eu leurs chances et l'ont jeté, maintenant ils ont été trop loin et ils leur faudra un jour ou l'autre se présenter devant le TSL. Apparemment pas dans très longtemps!

    Pierre Hadjigeorgiou

    13 h 13, le 07 janvier 2014

  • Dans ce climat sombre une chose est vraie créer un climat de tension machiavélique sectaire visant toutes les confessions semble gagner du terrain de Haret Hreik à Tripoli comme à la veille de guerre civile de 1975. Vraiment dangereux.

    Sabbagha Antoine

    16 h 56, le 06 janvier 2014

  • En 2001 a NY , on a bien retrouve la CI de Mohamed Attah aux pieds des tours jumelles , il etait le pilote kamikaze et bizarrement tout avait fondu sauf ses papiers , quand on met en doute l'implication de forces lobbyists on se fait taxer de revisionistes ou de theoricien du complot. Pourquoi chercher midi a quatorze heure , les terrorists sont connus , leurs sources ideologiques sont connues et leur finacement aussi , du boko haram a toute la panoplie des salafowahabites au M.O et en extreme Orient jusqu'au fin fond du caucase leur mastermind est bandar ben(in)sultan. Comme la bensaoudie se fait taper un peu partout , elle s'allie avec le diable sioniste por sauver sa peau de vache . Rappelons qu'avant maged el maged disparu au benefice de la bensaoudie , il a eu chaker absi , hicham kaddoura, abdel rahman awadh, abdel ghani jawhar et enfin mais pas des moins minables le wazwaz ahmed assir . Disparu ou tue , bizarre , vous avez dit bizarre ??

    FRIK-A-FRAK

    16 h 39, le 06 janvier 2014

  • Qui a un désir ardent "d'entraîner le pays sur la voie d'une syrianisation rampante", d'une discorde sunnito-chiite gigantesque, profitant de l'engagement à pleine vapeur du Hezbollah dans la guerre sectaire syrienne ? Demandez au duo Ali Mamlouk-Michel Samaha. Les moukahabarat "frérotes" criminelles et leurs laquais au Liban, aussi criminels, ne dorment pas et ne cesseront jamais leurs tentatives de faire sombrer le Liban dans le tourbillon des flammes syriennes.

    Halim Abou Chacra

    12 h 47, le 06 janvier 2014

  • "Syrianisation, irakisation ou libanisation" : c'est Kifkif bourricot !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 35, le 06 janvier 2014

Retour en haut