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Le Liban en 2013 - Rétro 2013

Lorsque les radicaux se fâchent

L'année 2013 se sera achevée sur un nouvel et tragique épisode de la guerre sans merci menée depuis pratiquement octobre 2004 par l'axe irano-syrien contre le camp souverainiste. L'assassinat de l'ancien ministre Mohammad Chatah, tué le 27 décembre dans l'explosion d'une voiture piégée dans le quartier des grands hôtels du centre-ville, résume d'une manière affreusement symbolique la situation à laquelle sont parvenus le Liban et le Moyen-Orient à l'aurore de la nouvelle année 2014.

 

La conclusion le 24 novembre dernier, à Genève, de l'accord transitoire sur le nucléaire iranien entre le nouveau pouvoir en place à Téhéran et le Groupe 5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité + l'Allemagne) a incontestablement placé l'ensemble de la région à un tournant historique. Certes, le règlement définitif du vieux contentieux sur le dossier nucléaire iranien est loin d'être acquis. Mais force est de relever que l'aboutissement des négociations de Genève a exacerbé une tension à peine latente apparue en Iran entre, d'une part, l'équipe du président Hassan Rohani, qui prône une politique d'ouverture et de détente avec l'Occident et, d'autre part, le courant radical des gardiens de la révolution iranienne (les « pasdaran ») qui ne cache pas ses profondes réserves, voire sa franche opposition, à la ligne de conduite « modérée » et pragmatique suivie par le président iranien et son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Jawad Zarif. Au début du mois de décembre, ce dernier a été la cible des critiques acerbes du commandant des « pasdaran », le général Mohammad Jafari, qui a accusé le gouvernement du président Rohani d'être sous « l'influence de l'Occident », réclamant à cet égard un « changement fondamental » dans la politique du nouveau pouvoir.

 

L'évolution de ce bras de fer qui semble se manifester entre ces deux courants au sein de l'establishment iranien sera en toute vraisemblance l'une des lignes directrices de l'année 2014 non seulement dans la région, mais aussi au Liban. Le Hezbollah étant le bras armé, la tête de pont, des gardiens de la révolution sur la scène libanaise, le pays du Cèdre risque fort bien d'être choisi par les pasdaran, au cours des prochains mois, comme le terrain privilégié pour exprimer, par le biais du Hezbollah, leur opposition au projet de rapprochement entre l'Iran et les États-Unis. Pour les pasdaran, l'enjeu est évidemment stratégique, géopolitique et, surtout, idéologique, mais il est aussi économique, dans la mesure où le vaste appareil des gardiens de la révolution contrôle des investissements qui se chiffrent à plusieurs milliards de dollars.

 

Dans ce contexte, l'assassinat de Mohammad Chatah pourrait constituer le signe avant-coureur de cette volonté de contrecarrer, dans le sang, l'orientation insufflée par le courant de Rohani. Car d'une certaine façon, et bien au-delà d'une simple lutte pour le pouvoir à Téhéran, ce sont, encore une fois, deux projets politiques, deux visions des relations internationales, qui s'affrontent aujourd'hui, plus particulièrement après l'élection de Rohani et la désignation à la tête de la diplomatie iranienne de Mohammad Zarif qui avait déjà, au début des années 2000, après les attentats du 11-Septembre, élaboré un audacieux document de travail pour initier une réconciliation et une coopération stratégique entre son pays et les États-Unis.

 

Dans un article publié dans nos colonnes le 27 décembre, le président Rohani soulignait qu'il aspirait pour son pays à un « rôle mondial » (même plus régional !), mais en suivant la voie de la « modération », de l'ouverture et de la coopération avec l'Occident et la communauté internationale, ce qui aurait pour conséquence, a-t-il relevé, de « contribuer à apaiser les tensions dans la région ». Fait significatif, et c'est peut-être à ce niveau que l'attentat du 27 décembre pourrait trouver une explication : Mohammad Chatah planchait, avec d'autres personnalités, sur une lettre ouverte que tous les députés du 14 Mars s'apprêtaient à adresser au président Rohani afin de lui exposer le point de vue du camp souverainiste concernant le rôle du Hezbollah et la politique de l'Iran dans la région. Ce document, dont Mohammad Chatah était ainsi l'un des principaux artisans, exprimait une volonté du 14 Mars d'effectuer une ouverture en direction de la nouvelle équipe dirigeante à Téhéran. À l'évidence, une telle perspective ne plaisait pas au courant radical iranien et à son relais libanais.

 

Il est fort probable que l'année 2014 sera marquée par les tentatives répétées de cet axe extrémiste de recourir aux méthodes les plus meurtrières pour stopper ce qu'il perçoit comme une « dérive pragmatique » en Iran et pour relancer sa guerre terroriste contre le camp souverainiste et le courant sunnite modéré au Liban. Face au risque d'une collusion entre ceux qui prônent la détente, l'exacerbation des tensions sectaires constitue la parade la plus directe.

L'on comprend mieux ainsi que le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ait tiré à boulets rouges sur l'Arabie saoudite quelques jours après la déclaration du chef de la diplomatie iranienne qui exprimait sa volonté d'initier une ouverture en direction des États du Golfe, le royaume wahhabite en tête.

 

À l'ombre d'un tel imbroglio géopolitique, force est de relever que la politique suivie par le président Barack Obama a pratiquement laissé le champ libre aux extrémistes de tous bords pour qu'ils exploitent les deux scènes libanaise et syrienne comme arènes pour concrétiser leur politique obstructionniste. Depuis que le chef de la Maison-Blanche a renoncé, en septembre dernier, à faire pression sur le régime syrien, Bachar el-Assad s'en donne à cœur joie et déverse quotidiennement des tonneaux bourrés d'explosifs sur la population civile dans les zones échappant à son contrôle, ce qui ne peut avoir comme conséquence que de renforcer le positionnement extrémiste sur la scène syrienne. Et parallèlement, en reléguant aux oubliettes le dossier libanais, occupé qu'il est à axer tous ses efforts sur les négociations stratégiques avec le pouvoir iranien, le président Obama permet indirectement aux pasdaran et à leur allié local de disposer à leur guise du terrain libanais pour se livrer à toute sorte d'action déstabilisatrice.

 

Résultat des courses : en fermant l'œil sur les développements en cours en Syrie et au Liban, le chef de la Maison-Blanche contribue à renforcer la capacité de nuisance de ceux-là mêmes qui s'emploient à torpiller les efforts de l'aile du pouvoir iranien avec laquelle il négocie... Comble du paradoxe. Mais l'administration Obama n'en est pas à un cynisme près...

L'année 2013 se sera achevée sur un nouvel et tragique épisode de la guerre sans merci menée depuis pratiquement octobre 2004 par l'axe irano-syrien contre le camp souverainiste. L'assassinat de l'ancien ministre Mohammad Chatah, tué le 27 décembre dans l'explosion d'une voiture piégée dans le quartier des grands hôtels du centre-ville, résume d'une manière affreusement symbolique la...
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Dans leur projet de lettre ouverte au nouveau président iranien, Hassan Rouhani -en une idée d'ouverture en principe bonne- les "brillantes" têtes du 14 Mars commettent une gaffe monumentale. Selon le texte de ce projet publié par le Wall Street Journal, elles désignent nommément les Gardiens de la révolution iranienne comme "responsables" de l'anomalie que constitue le Hezbollah, en tant que parti armé, dans l'Etat libanais. Comme si le président iranien était déjà non seulement en conflit très ouvert avec les Pasdaran, mais aussi sur le point d'en être victorieux ! Il n'est pas clair si l'ancien ministre Mohammad Chatah, réputé être bien versé dans la bonne diplomatie, a accordé de manière définitive ladite gaffe à ses collègues du mouvement. Il y a lieu de se demander en tout cas si celle-ci n'a pas été la cause de la fureur des Pasdaran et de sa perte.

Halim Abou Chacra

18 h 36, le 03 janvier 2014

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Commentaires (2)

  • Dans leur projet de lettre ouverte au nouveau président iranien, Hassan Rouhani -en une idée d'ouverture en principe bonne- les "brillantes" têtes du 14 Mars commettent une gaffe monumentale. Selon le texte de ce projet publié par le Wall Street Journal, elles désignent nommément les Gardiens de la révolution iranienne comme "responsables" de l'anomalie que constitue le Hezbollah, en tant que parti armé, dans l'Etat libanais. Comme si le président iranien était déjà non seulement en conflit très ouvert avec les Pasdaran, mais aussi sur le point d'en être victorieux ! Il n'est pas clair si l'ancien ministre Mohammad Chatah, réputé être bien versé dans la bonne diplomatie, a accordé de manière définitive ladite gaffe à ses collègues du mouvement. Il y a lieu de se demander en tout cas si celle-ci n'a pas été la cause de la fureur des Pasdaran et de sa perte.

    Halim Abou Chacra

    18 h 36, le 03 janvier 2014

  • "Résultat des courses : en fermant l'œil sur les développements en cours en Syrie et au Liban, le chef de la Maison-Blanche contribue à renforcer la capacité de nuisance de ceux-là mêmes qui s'emploient à torpiller les efforts de l'aile du pouvoir iranien avec laquelle il négocie... Comble du paradoxe. Mais l'administration Obama n'en est pas à un cynisme près." ! Bien au contraire, agissant ainsi, Husseïn Obama 2ème contribue plutôt et surtout à User dans ce magma Syro-libanais, "la capacité de nuisance de ceux -là mêmes qui s'emploient à torpiller les efforts de l'aile du pouvoir en Iran avec laquelle il négocie". Il ne faut y voir nul paradoxe. Pour ce qui est du Cynisme d'Obama, en effet c'est plus que du cynisme, c'est.... du "Pur" Machiavélisme !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 55, le 03 janvier 2014

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