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Lifestyle - Commentaire

Kennedy et les femmes

John F. Kennedy et la First Lady Jacqueline, arrivant à Dallas, le 22 novembre 1963. REUTERS/Cecil Stoughton/The White House/John F. kennedy Presidential Library

La 50e commémoration de l’assassinat de John F. Kennedy nous offre l’occasion d’analyser les différents changements survenus depuis cinq décennies au sein des mentalités américaines. Si Kennedy appartient aujourd’hui au panthéon des héros de l’Amérique, un certain nombre de données récentes laissent en effet à penser que l’admiration des Américains – et en particulier l’enthousiasme des femmes – à l’égard du leader se serait quelque peu érodé. Comment expliquer un tel désenchantement ?


À plusieurs égards, certes, les accomplissements réalisés par Kennedy en faveur des femmes apparaissent tout aussi progressistes que ses démarches autour des considérations raciales et de la pauvreté. L’une des initiatives véritablement visionnaires de l’homme d’État a consisté à demander à Eleanor Roosevelt, alors féministe de longue date, de présider la toute première commission présidentielle sur le statut de la femme, ou PCSW. Loin de constituer une simple initiative de façade, il y eut dans cette PCSW – qui réunissait un certain nombre de dirigeants politiques à la fois hommes et femmes – un véritable effort de travail autour des discriminations affectant les femmes sur leur lieu professionnel, autour des protections juridiques qu’il eut été judicieux de leur conférer, ainsi que sur les moyens de remédier à l’inégalité des sexes – une problématique alors encore absente du vocabulaire utilisé.


En effet, à l’époque où Kennedy réunit la PCSW, les Américaines pouvaient se voir exclues des jurys judiciaires, ne bénéficiaient que d’un accès restreint à la contraception orale et à l’avortement, et n’étaient pas même habilitées à obtenir un crédit en leur nom propre. L’année même où Kennedy fut assassiné, Betty Friedan publia un essai intitulé La Femme mystifiée, déclenchant une importante controverse autour d’un « problème dénué de qualification » – à savoir le mécontentement des femmes quant à la restriction de leurs responsabilités. Rendu un mois avant l’assassinat de Kennedy, le rapport de la PCSW aurait pu constituer un tournant décisif si l’on ne lui avait pas ôté la vie.


Mais malgré les positions progressistes du président, l’analyse rétrospective du statut global de la femme américaine dans les années 1960 met à mal l’héritage kennedien. Dans un premier temps icône d’héroïsme, de charme personnel et de volonté de lutte contre un certain nombre d’injustices de longue date, Kennedy a vu sa réputation sévèrement entachée par nombre de récits et témoignages autour d’un véritable défilé de femmes sur les oreillers de la Maison-Blanche (ou ceux des chambres d’hôtel lorsque le président était en déplacement).


Les récits livrés par certaines de ces femmes – parmi lesquelles Mimi Alford, stagiaire aux bureaux de presse de la Maison-Blanche, âgée de 19 ans lorsqu’elle commença à entretenir avec le président une relation qui durera 18 mois – ont en effet terni l’aura du président Kennedy, si ce n’est totalement assombri. Il en va de même des témoignages autour de ses liaisons avec Marilyn Monroe et Marlene Dietrich. D’autres femmes, parmi lesquelles sa maîtresse autoproclamée, Judith Campbell, auraient par ailleurs entretenu des relations sexuelles avec certaines personnalités de la mafia.


Le sentiment selon lequel tout eut été dû à d’aussi irresponsables dirigeants masculins s’est depuis peu à peu érodé – sujet, comme c’est souvent le cas dans la culture américaine, que l’on retrouve à la télévision. Plusieurs séries télévisées à succès, telles que la saga The Good Wife, mettent en évidence la souffrance des épouses de dirigeants politiques, épouses dont on exige retenue et bonnes manières face, pourtant, aux comportements les plus discriminatoires. De même, la série Mad Men, qui nous dépeint les frasques de fringants responsables aussi amateurs de femmes que de cocktails, plonge au plus profond du caractère superficiel et destructeur des prérogatives sexuelles masculines du début des années 1960.


Cet examen a posteriori de l’irresponsabilité et des privilèges sexuels masculins caractéristiques des années 1960 s’opère également aujourd’hui à d’autres égards – aggravant cette transformation qui fait passer Kennedy du statut de charmant playboy à celui de prédateur compulsif. La biographie autorisée de l’écrivain Norman Mailer – célèbre pour avoir déclaré, aux premières heures du féminisme, que « toutes les femmes devraient être enfermées en cage » – vient de voir le jour aux États-Unis. L’incorrigible appétit de Mailer pour les femmes (l’homme ayant été marié six fois) y fait l’objet d’une sérieuse réévaluation critique.


Aspect des plus révélateurs, là où l’aura de Kennedy a faibli auprès des femmes, la réputation de son épouse n’a cessé d’embellir. Au fil des décennies, Jacqueline Kennedy est passée de l’image d’hôtesse à l’allure de poupée, ouvrant les portes de la Maison-Blanche aux caméras de télévision, ou encore de l’incarnation de la veuve éplorée derrière son voile noir, à l’image solide et imposante d’éditrice de livres accomplie – icône de la femme moderne et active, voire féministe – que nous lui avons connue dans les dix dernières années de sa vie. Ses conversations avec l’historien Arthur Schlesinger, volontairement enregistrées pour la postérité en mars 1964, puis publiées en 2011, ont ajouté à sa renommée posthume.


L’ascension de l’étoile Jackie Kennedy sur fond d’érosion de l’image du président KFK – à tout le moins s’agissant de sa vie privée et des fins auxquelles il aura exploité son magnétisme personnel – reflète l’évolution sociétale de l’Amérique elle-même. Ce changement dans les mentalités américaines à l’endroit d’icônes telles que les Kennedy met en lumière l’évolution – que j’estime positive – des besoins, valeurs et aspirations propres aux Américains à l’endroit des femmes et de la relation entre les deux sexes. La création de la PCSW par le président Kennedy laisse à penser qu’il avait probablement vu les choses venir, bien qu’il agît clairement comme un homme de son temps.

Traduit de l’anglais par Martin Morel. © Project Syndicate, 2013.

 

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