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À La Une - Droit à l’éducation

La difficile adaptation des écoles libanaises à l’afflux des élèves syriens

Quatre écoles publiques de Beyrouth ouvrent leurs portes à « L’Orient-Le Jour ».

Malgré les différences et les petits accrocs, petits Syriens et Libanais cohabitent. Des liens d’amitié se tissent souvent, comme dans cette cour de récréation, à l’école de Ras Beyrouth.

La tâche n’est pas aisée. Elle est même ardue. Non seulement les chefs d’établissement et le corps enseignant doivent faire face à des classes surchargées, mais ils doivent gérer des groupes d’une grande disparité. Une disparité de niveaux d’abord, car le système éducatif syrien est très différent du système libanais. L’enseignement y est exclusivement donné en langue arabe, même pour les maths et les sciences. Alors qu’à l’école libanaise, le français ou l’anglais s’ajoutent à l’arabe dès les petites classes et font partie intégrante du cursus. La grande majorité des élèves syriens, surtout ceux issus de l’école publique, peinent donc à suivre le programme libanais. Une disparité d’âge, ensuite, de nombreux élèves syriens ayant été admis à la condition de redoubler leur classe, ou d’être rétrogradés d’une ou deux classes. Ils ont donc souvent deux, trois, voire quatre ans de plus que leurs camarades libanais.


La différence entre les élèves libanais et syriens est également perceptible au niveau du choix de leur première langue étrangère. Majoritairement « francophone », l’enseignement public national est aujourd’hui confronté à une demande pressante des petits réfugiés pour un enseignement « anglophone ». À tel point que certains établissements traditionnellement « francophones » se voient contraints de créer des cursus « anglophones », pour ne pas fermer boutique. Une adaptation qui se fait avec les moyens du bord, car les professeurs anglophones manquent cruellement. Les enseignants francophones sont alors mis à contribution, avec les risques pédagogiques qu’une telle démarche comporte.


Tiraillés entre les impératifs du programme éducatif et la nécessité de se mettre au niveau de la majorité des élèves, les directeurs d’établissement gèrent la situation. Mais ne peuvent que reconnaître un net recul du niveau de l’enseignement. Un recul qui n’est pas du goût de bon nombre de familles libanaises : elles retirent massivement leurs enfants de l’école publique.

 



Scolariser coûte que coûte
 « La pression est indescriptible. Les classes sont saturées. Principalement les sections anglophones. » C’est ainsi que le directeur de l’école publique de Ras Beyrouth, Mohammad Chreim, décrit la rentrée scolaire dans son établissement, francophone à l’origine. Une classe a même atteint le nombre record de 74 élèves. Le directeur envisage de la diviser, mais il n’a pas le cadre enseignant pour le faire. Il attend que le ministère de l’Éducation réponde à sa demande. Les inscriptions se poursuivent pourtant en ce mois d’octobre. Elles sont ouvertes à tous, libanais, syriens ou autres. Car il reste des places dans les sections francophones. Mais celles-ci sont peu prisées, quasiment désertées. « Nous avons besoin d’élèves dans les sections françaises », affirme même M. Chreim. Il faut dire que seuls les Libanais les plus démunis de ce quartier bourgeois fréquentent l’établissement. Ils lui préfèrent l’école privée. Sur 630 élèves, près de 450 sont syriens.


Le directeur assure qu’il ne refuse aucun enfant. Il vient pourtant d’éconduire Roula et Rana, deux adolescentes syriennes de 12 et 14 ans, par manque de place. Déscolarisées depuis plus d’un an, les deux sœurs ont lamentablement échoué au test d’entrée. Elles seront inscrites sur une liste d’attente pour être orientées vers les cours de l’après-midi, dans un autre établissement public beyrouthin. Leur mère, Nahed, s’entête. « Qu’on me les accepte, ici, dans n’importe quelle classe ! Mais qu’elles soient scolarisées, à proximité de la maison. L’autre école est trop loin. » Les larmes aux yeux, elle avoue craindre que ses filles ne soient obligées de rentrer seules, le soir, à la maison. Mais le directeur est intraitable. Les enseignants doivent déjà gérer d’importantes disparités de niveau entre élèves libanais et syriens au sein d’une même classe. Car, en Syrie, les cours sont en arabe, exclusivement. Même si les petits Syriens se disent anglophones, leur niveau d’anglais est très faible, particulièrement ceux qui viennent de l’école publique. « Ils ont de grandes difficultés à suivre les classes de maths et de sciences qui sont données en anglais. Je ne peux donc absolument pas prendre en charge des élèves qui n’ont pas le minimum requis », regrette-t-il.

 


A l'Ecole publique de Zoqaq el Blatt, les petits Syriens font leur première rentrée.



Forte demande pour l’enseignement « anglophone »
Pour permettre à la quinzaine d’élèves syriens de comprendre le cours de mathématiques en anglais, une enseignante de classe de septième traduit chaque phrase en arabe. Même chose pour la donnée d’un exercice. Nous sommes à l’école publique mixte de Basta 2, initialement « francophone », devenue « anglophone » pour répondre à la demande. La trentaine d’élèves est invitée à participer. Les réponses fusent, en anglais ou en arabe. « Les élèves syriens sont très faibles en anglais, constate la jeune femme. Je n’ai d’autre choix que de donner les explications en arabe. Fort heureusement, dans cette section, ils sont bons en maths », reconnaît-elle.


Cette façon de procéder n’est plus exceptionnelle. Le corps enseignant dans sa totalité doit aujourd’hui faire preuve d’ingéniosité pour permettre aux élèves syriens de s’intégrer. Compte tenu que le niveau varie d’un élève à un autre et que les nouveaux arrivants présentent des lacunes nettement plus importantes. En sixième, l’enseignante d’anglais, elle aussi, a recours à l’arabe pour se faire comprendre. « Certains ne savent même pas écrire leur nom en anglais. J’avance donc très lentement », déplore-t-elle.


Pour rattraper leur handicap, les petits Syriens doivent alors redoubler d’efforts. Une petite poignée est prise en charge l’après-midi par des associations qui les aident à faire leurs devoirs. « Mais c’est une remise à niveau qu’il leur faudrait. » Et puis, la grande partie est livrée à elle-même. Les parents de Lana et de Yara n’ont pas hésité à embaucher des professeurs particuliers pour soutenir leurs filles. Sans emploi, la grande majorité des réfugiés n’a pas les moyens de faire face à de telles dépenses.
« Résultat, le niveau général de l’enseignement est en net recul, de même que l’enseignement en français », constate la directrice de l’établissement, Joumana Seifeddine. Sur 200 élèves, précise-t-elle, l’école scolarise 150 petits Syriens. Quant aux élèves libanais, « ils sont de moins en moins nombreux dans les établissements publics, regrette-t-elle. On ne sait pas où ils sont allés ». « Peut-être sont-ils en situation de décrochage scolaire, ou alors sont-ils allés dans le semi-privé ou le privé. »

 

Dans les petites classes, faute d’enseignants, le cours de maths est donné en arabe, à Bourj Hammoud.



Défection des élèves libanais
Même constatation à l’école complémentaire mixte de Bourj Hammoud, où « 30 familles libanaises ont retiré leurs enfants de l’institution », comme le note le directeur, le père Bassam Adwan. Sur 315 élèves inscrits, seulement 115 élèves sont libanais. Il faut dire que l’école a été prise d’assaut par les réfugiés syriens, principalement kurdes, qui ont trouvé à Nabaa et Bourj Hammoud des logements à loyers abordables, « souvent au détriment des familles libanaises qui ont quitté le quartier ». Dans les classes surchargées, les enfants s’entassent souvent à trois par banc. Et pour cause, l’institution n’a pas assez d’enseignants pour ouvrir de nouvelles sections. Et puis le bâtiment porte encore les traces de la guerre et n’a toujours pas été réhabilité par les autorités. Détruit, le dernier étage est interdit d’accès. Autre particularité qui attire les élèves syriens et décourage les petits Libanais, tous les cours sont donnés en arabe, même les maths et les sciences, jusqu’à la classe de septième. « Je n’ai pas le cadre enseignant nécessaire pour donner ces matières en anglais », déplore le responsable de la petite école anglophone. Il précise que l’enseignement en arabe est plus à la portée des petits réfugiés. « C’est dans les classes complémentaires, où les matières scientifiques sont données en anglais, que les élèves syriens souffrent, constate-t-il. Mais des associations sont déjà à pied d’œuvre pour leur apporter un soutien scolaire. »


Si l’institution envisage de recevoir encore près de 90 élèves syriens, sitôt leur titre de séjour renouvelé, elle se voit contrainte de refuser des centaines de demandes, par manque de place. « J’ai enregistré 550 élèves réfugiés sur une liste d’attente. Je communiquerai cette liste au ministère de l’Éducation, qui devra leur trouver une alternative », assure le père Adwan. Il termine à peine sa phrase qu’une mère de famille syrienne vient le supplier d’accepter ses enfants. « Ce sont de bons élève », insiste-t-elle, aussitôt rejointe par deux autres mères en larmes, dont les enfants, déscolarisés depuis deux ans, n’ont été acceptés nulle part.


Peu préparé à une telle situation, l’État saura-t-il relever le défi de scolariser le plus grand nombre possible de petits réfugiés, sans pour autant lâcher les élèves libanais ?

 

 

Pour mémoire

Aide européenne pour financer l’intégration des élèves dans les écoles publiques

 

Des cours l’après-midi pour les réfugiés syriens du Liban-Nord ?

 

Fin 2013, une personne sur quatre vivant au Liban sera un réfugié syrien

 

Pour les Libanais de Wadi Khaled, les réfugiés syriens sont désormais un lourd fardeau

La tâche n’est pas aisée. Elle est même ardue. Non seulement les chefs d’établissement et le corps enseignant doivent faire face à des classes surchargées, mais ils doivent gérer des groupes d’une grande disparité. Une disparité de niveaux d’abord, car le système éducatif syrien est très différent du système libanais. L’enseignement y est exclusivement donné en langue...

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