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À La Une - Crise

« Tant qu’un leadership musulman ne s’impose pas sur la scène politique en France, les tensions resteront palpables »

Entre islamophobie, extrémisme et radicalisme religieux, les événements des derniers mois en France ont mis l’accent sur une société en mal d’ « identité ».

Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls en présence de Boubakeur Guedjali, vice-président de la mosquée d’Ozoir-la-Ferrière, avant la cérémonie de l’iftar. Bertrand Langlois/AFP

« Toute valeur n’entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. » Albert Camus, in L’homme révolté.


Cela n’est plus un secret pour personne : la France traverse une crise d’identité, une perte de sens sur l’humanisme, une crise économique et industrielle profonde, une décomposition sociale où les liens se perdent, et se débat dans une période de doute(s) où elle se sent noyée dans un monde qui lui était alors totalement inconnu. Surtout que la mondialisation n’aide pas : les repères se brouillent... Et c’est exactement sur fond de cette crise incontrôlable, difficilement maîtrisable et dont ils ne voient plus bien la sortie que les Français commencent à se rebeller, à s’inquiéter de leur avenir et à laisser libre cours à des formes de moins en moins honteuses de haine et de xénophobie : les replis identitaires s’exacerbent.


Toutes ces situations, mal vécues en temps de crise, peuvent susciter des réactions primaires, souvent irréfléchies. C’est ainsi que les responsables politiques républicains, de gauche comme de droite, ont nourri, inconsciemment sans doute, le discours de l’extrême droite sur les thèmes de l’Europe, de l’immigration, de l’échec de l’intégration, du chômage ou encore de la peur de l’étranger. Certains citoyens ont le sentiment que ces pouvoirs démocratiques les ont ignorés ou même trahis. Ils se réfugient alors dans le discours simpliste de l’extrême droite. Simpliste, peut-être, mais qui promet le bonheur à tous... lorsque les étrangers seront renvoyés chez eux.

 


Le catalyseur Bouarram
Et c’est ainsi qu’est glissée, dans le secret de l’isoloir, une enveloppe portant le nom d’un candidat de l’extrême droite. À ce niveau, la dynamique a nettement changé depuis que Marine Le Pen dirige le Front national (FN). Avant qu’elle n’en soit présidente, le FN acceptait en son sein des gens qui pouvaient appartenir à d’autres groupuscules radicaux ou prêcher une idéologie radicale. Officiellement, la double appartenance était interdite par les statuts, mais dans la pratique, il y avait assez peu de contrôles. C’est l’assassinat le 1er mai 1995 de Brahim Bouarram, jeune homme d’origine marocaine, poussé dans la Seine par des skinheads en marge du cortège du FN, qui a changé la donne. Le parti a compris que son image et sa réputation étaient en jeu, et c’est en coopérant avec la police qu’il a permis d’appréhender les agresseurs. Le grand nettoyage devait avoir lieu et c’est l’arrivée de Marine Le Pen en janvier 2011 qui voit l’exclusion des gens aux opinions particulièrement radicales. Cela a créé un petit espace à droite du Front, avec 3 000 personnes tout au plus.


Mais l’exclusion de ces membres radicaux ne les aurait-elle pas radicalisés davantage ? Selon Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe, les groupes radicaux, « pris dans une sorte de cul-de-sac, peuvent être tentés de compenser le faible nombre de militants et le faible écho de leurs mouvements par un passage à la violence d’autant plus facile que le culte de la violence est présent dans leurs groupes. Une violence exercée envers des cibles qui n’ont pas beaucoup changé au fil de l’histoire : les opposants politiques de gauche et d’extrême gauche, les minorités ethniques et religieuses, les homosexuels et tous ceux qui ont le malheur de présenter un signe visible de leur différence ».

 


L’opportunité
L’affaire Meric confirme tout cela. C’est après une rixe tragique avec des skinheads que le jeune homme de 18 ans avait vu la mort le 5 juin dernier. La République en deuil avait alors ordonné la dissolution du groupe d’extrême droite Troisième Voie et de son service d’ordre, les JNR, en se basant sur la loi de 1936 stipulant que le groupe propageait « la haine et la violence, une idéologie xénophobe et antisémite, des thèses racistes et négationnistes » ; une première étape avant d’autres possibles dissolutions de mouvements extrémistes. Leur participation aux manifestations antimariage pour tous n’est d’après le chercheur qu’une « bonne occasion d’apparaître sous l’œil des caméras et d’utiliser ces manifs qui rassemblaient beaucoup de monde comme caisse de résonance. Ça leur a permis de recruter un peu, de se montrer, de diffuser leur message, mais c’était l’occasion qui faisait le larron ».


L’auteur d’Extrémismes en France : faut-il en avoir peur?  ajoute que le FN « est pris dans cette ambiguïté permanente entre la volonté d’être un parti comme les autres et la récurrence des affaires révélant qu’en son sein militent des gens qui professent des idées pas comme les autres ». Les événements des mois passés ne desservent finalement pas le FN ; bien au contraire, l’attention est tellement braquée sur des groupes bien plus radicaux « qu’à côté, le FN passe pour un parti respectable ». Quant à l’opportunité de Marine Le Pen de tirer profit de la gestion extrêmement impopulaire de Hollande et la saga vaudeville UMP, M. Camus affirme que seules les élections européennes trancheront. « L’opinion française est plutôt mécontente de l’Union européenne. Il y aura une remise en question de l’Europe et de son avenir. L’UMP, selon des sondages, a été incapable, donc le FN aura ses chances sur la scène politique », ajoute l’expert.

 


Le cas Trappes
Mais bien qu’exclus de la scène politique, les radicaux d’extrême droite regagnent de l’activité. Selon un recensement de l’Observatoire de l’islamophobie, qui ne compte que les actes qui ont donné lieu à une plainte, les agressions dirigées à l’encontre des musulmans ont augmenté de plus de 35 % lors du premier trimestre 2013. La tendance se confirme en ce début de second semestre. D’Argenteuil à Reims, en passant par Trappes, le mois de juillet 2013 a été riche en événements sur le front de l’islamophobie.


Les cibles ont des noms à consonances étrangères, elles ont une couleur identifiable, un signe religieux ostentatoire. Et comme d’habitude, ce sont les femmes qui ont payé le prix fort. En effet, la majorité des actes déclarés sont des atteintes à des femmes, et dans la plupart des cas, des femmes voilées. Une grande partie de la communauté musulmane trouve que ces faits ne sont pas assez relayés dans les médias et pas condamnés assez fermement par les responsables politiques.


Concernant Trappes, Jean-Yves Camus relève « l’absence d’interlocuteurs représentatifs de l’islam, » ajoutant que « si, d’un côté, c’est un point positif qui montre l’intégration des musulmans, de l’autre elle empêche les dialogues constructifs avec cette communauté. Un interlocuteur musulman aurait su appeler au calme après les événements de Trappes. L’islam est encore trop mal organisé en France et c’est là l’un des problèmes majeurs de cette communauté. Tant qu’un leadership musulman ne s’impose pas sur la scène politique, les tensions resteront palpables », a-t-il martelé.


D’après Abdallah Zekri, ancien membre de l’UMP, vice-président du Conseil français du culte musulman en charge de l’Observatoire de l’islamophobie, « l’extrémisme musulman et l’extrémisme politique se nourrissent mutuellement ». D’un côté, les agressions à l’encontre des musulmans justifient le sentiment de marginalisation et de stigmatisation de ces derniers et pourrait même expliquer la montée en puissance de l’islam radical. De l’autre, la croissance de ces groupes religieux fanatiques, les émeutes, les prières dans la rue, les femmes intégralement voilées laissent penser à une incompatibilité de la religion musulmane avec les principes de démocratie et de laïcité. M. Zekri ajoute à cela « le rôle des médias : lorsque vous allumez votre poste de télévision, et que vous visionnez les scènes violentes en Syrie, en Égypte ou ailleurs, l’islam y est présenté comme une religion de guerre. Cela crée un amalgame qui nourrit l’extrémisme ».


C’est ainsi que les agressions à Argenteuil font remonter peur et colère à la surface de la communauté musulmane. Accusant l’État d’abandon, certains habitants s’interrogent même sur les limites de la laïcité. Ce pays qui prône la tolérance et l’enrichissement culturel est-il vraiment égal à ses valeurs ?


Après être resté longtemps silencieux, le gouvernement se décide enfin à répondre.
C’est à dessein que Manuel Valls, ministre de l’Intérieur en charge des Cultes, a choisi, après les grandes mosquées de Paris et de Lyon, de s’exprimer pour la troisième fois à l’occasion de l’iftar à la petite mosquée Taouba, forte de 150 à 200 fidèles. L’édifice avait été dégradé, début février, avec des inscriptions à caractère raciste et des croix gammées, qualifiées par le ministre de « slogans abjects » et d’ « attaques inacceptables ». Aux côtés du vice-président de la mosquée, Boubakeur Guedjali, et de l’imam Brahim Tounkara, il y a pourfendu les « actes antimusulmans », tout autant que leur récupération par des extrémistes. « La République ne tolérera jamais un geste dirigé ou une parole prononcée contre un musulman. La République protégera toujours les musulmans de France », avait-il martelé.

 


François
Les replis identitaires et la xénophobie n’ont jamais été l’apanage de la seule France. L’Europe reste, grosso modo, au diapason. Le monde aussi, naturellement. Et alors que les actes d’islamophobie ont été de plus en plus fréquents durant ce mois de ramadan, le pape François a signé personnellement le message de vœux que le Vatican adresse chaque année aux musulmans à l’occasion du Eid. Il y exprime son estime et son amitié envers tous les musulmans et y développe la « promotion du respect mutuel à travers l’éducation ». « Ce que nous sommes appelés à respecter dans chaque personne, c’est tout d’abord sa vie, son intégrité physique, sa dignité avec les droits qui en découlent, sa réputation, son patrimoine, son identité ethnique et culturelle, ses idées et ses choix politiques, écrit le pape. C’est pourquoi nous sommes appelés à penser, à parler et à écrire de manière respectueuse de l’autre, non seulement en sa présence, mais toujours et partout, en évitant la critique injustifiée ou diffamatoire. À cette fin, la famille, l’école, l’enseignement religieux et toutes les formes de communication médiatique jouent un rôle déterminant. »
Dans cette quête d’identité où l’autre effraie, dans ce sentiment constant de persécution et de stigmatisation, l’Europe, ce continent en déclin, connaît un choc des civilisations important. Des « valeurs » européennes communes ne resterait-il donc que la peur de l’étranger et le repli identitaire ?

 

 

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