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À La Une - Tribune

Tension au sein de l’islam : quelle réponse ?

Tony Blair a été Premier ministre du Royaume-Uni entre 1997 et 2007.

Tout le monde considère le meurtre de Lee Rigby, le soldat britannique assassiné il y a trois semaines dans une rue d’une banlieue de Londres, comme une horreur. Par contre, on peut l’interpréter de deux manières différentes. On peut y voir un acte sans autre portée que celui d’un fou, sous-tendu par une conception pervertie de l’islam ; il ne faut donc pas y réagir de manière excessive. Mais on peut y voir avant tout la conséquence d’une idéologie éminemment dangereuse. C’est à mon avis cette deuxième interprétation qui est la bonne.
Certes, nous ne devons pas surréagir. Nous ne l’avons pas fait après les attentats du 7 juillet 2005 dans les transports en commun londoniens. Mais nous avons agi, et nous avons eu raison. Nos services de sécurité ont ainsi évité d’autres graves attentats. Le programme Prévention mis en place au niveau local a été judicieux. Les nouvelles mesures prises par le gouvernement paraissent également raisonnables et proportionnées. Mais ne nous berçons pas d’illusions en croyant que nous pouvons nous protéger en agissant exclusivement sur le plan intérieur. Car l’idéologie que j’évoquais est là, et elle ne faiblit pas. 


Considérons le Moyen-Orient. La Syrie se trouve sur la voie d’une désintégration de plus en plus rapide. Le président Bachar el-Assad pulvérise brutalement des communautés entières hostiles à son régime. Plus de 80 000 personnes ont perdu la vie, le nombre de réfugiés atteint presque un million et demi, et celui des personnes déplacées à l’intérieur du pays dépasse quatre millions. Beaucoup de gens dans la région pensent qu’Assad veut chasser les sunnites des zones qu’il contrôle et créer à proximité du Liban un État indépendant, débarrassé des sunnites. Ces derniers constitueraient dans le reste de la Syrie un État dépourvu des richesses du pays et sans accès à la mer. L’opposition syrienne est formée de nombreux groupes. Mais les combattants associés au groupe Jabhat al-Nosra affilié à el-Qaëda bénéficient d’un soutien grandissant, qu’il s’agisse de livraisons d’armes ou d’argent en provenance de l’étranger. Assad utilise en outre des armes chimiques à une échelle limitée, mais elles sont mortelles. Certaines sont stockées dans des zones qui donnent lieu à d’âpres combats.
La réticence de l’Occident à s’impliquer est tout à fait compréhensible. Néanmoins, nous sommes seulement au début d’une tragédie susceptible de déstabiliser la région.

 

(Pour mémoire : Redistribution des cartes au Moyen-Orient)

 

La Jordanie fait preuve d’un courage exemplaire, mais il y a une limite au nombre de réfugiés qu’elle peut raisonnablement absorber. Le Liban est fragilisé, tandis que l’Iran pousse le Hezbollah dans la bataille. El-Qaëda essaye à nouveau de provoquer un carnage en Irak, tandis que l’Iran continue son ingérence. En Égypte et en Afrique du Nord, les Frères musulmans sont au pouvoir, mais la contradiction entre leur idéologie et leur incapacité à gérer des économies modernes alimente les pressions des groupes extrémistes et une instabilité croissante. Quant au régime iranien, il veut toujours parvenir à l’arme nucléaire, et continue à exporter terreur et instabilité. En Afrique subsaharienne, le Nigeria fait face à une vague d’attentats abominables. Au Mali, la France a mené de rudes batailles pour empêcher les extrémistes de mettre la main sur le pays. Il faut aussi compter avec le Pakistan et le Yémen. Plus à l’est, la frontière entre la Birmanie et le Bangladesh est sous haute tension. Et l’on pourrait allonger la liste avec les événements récents au Bangladesh même ou dans la province à majorité musulmane de Mindanao aux Philippines.


Dans nombre de ces zones affectées par la violence, un autre facteur est apparent : une population en croissance rapide. Au Moyen-Orient, l’âge médian est d’environ 25 ans. Au Nigeria, il est de 19 ans. À Gaza, où le Hamas est au pouvoir, un quart de la population a moins de cinq ans. Je retournerai prochainement à Jérusalem pour aider à la construction d’un État palestinien, ce sera ma 100e visite au Moyen-Orient depuis que j’ai quitté ma fonction de Premier ministre. Je suis donc aux premières loges pour voir ce qui se passe dans la région. Je comprends donc le désir d’expliquer les conflits par des problèmes locaux, l’aliénation économique et évidemment la « folie ». Pourtant, une question se pose : ne pouvons-nous pas trouver un élément commun à ces conflits, une idéologie qui y conduit ou au moins les exacerbe ?


Il n’y a pas de problème avec l’islam. Ceux qui l’ont étudié savent qu’il est pacifique. Il n’y a pas de problème non plus avec les musulmans en général. En Grande-Bretagne, la majorité est horrifiée par l’assassinat de Rigby. Mais il y a un problème au sein de l’islam. Nous devons en toute honnêteté le prendre en considération. Certes, il existe des extrémistes chrétiens, juifs, bouddhistes ou hindous. Mais je crains que la tension qui se manifeste actuellement au sein de l’islam ne soit pas due simplement à une poignée d’extrémistes. Elle tient intrinsèquement à une conception de la religion et de son rapport à la politique qui est incompatible avec une société plurielle, ouverte et libérale. Ce ne sont pas seulement les terroristes qui adhérent à cette conception de la religion, car elle est plus profonde et plus répandue que nous ne sommes généralement enclins à l’admettre – sans doute parce que cela nous met mal à l’aise.


Cela a deux conséquences. D’une part, les extrémistes croient que nous sommes faibles et que cette faiblesse les renforce ; d’autre part, ceux des musulmans – heureusement ils sont nombreux – qui savent que le problème se pose et veulent réagir perdent espoir. À travers le Moyen-Orient et au-delà, un combat se déroule. D’un côté, les islamistes et leur idéologie exclusive et réactionnaire qui constituent une minorité significative, bruyante et bien organisée. De l’autre, les partisans de la modernité, qui méprisent la nouvelle oppression exercée aujourd’hui par les fanatiques religieux, comme ils détestaient hier l’oppression des anciens dictateurs corrompus. Ils constituent potentiellement la majorité, mais hélas, ils sont mal organisés.


Des groupes sont en train de semer les germes du fanatisme et de la terreur de demain (peut-être même ceux d’un conflit majeur). C’est pourquoi nous devons répandre ceux de la réconciliation et de la paix. Mais ouvrir la voie à la paix n’est pas toujours une entreprise pacifique. Du fait des conflits longs et difficiles en Afghanistan et en Irak, les pays occidentaux sont peu enclins à intervenir. Mais n’oublions pas pourquoi ces conflits ont été longs et difficiles : c’est parce que nous avons autorisé l’émergence d’États défaillants. Saddam Hussein a été responsable de deux guerres majeures qui ont fait des centaines de milliers de victimes, notamment au moyen d’armes chimiques. Il a tué un nombre à peu prés équivalent d’Irakiens. Les talibans ont pris le pouvoir à la fin de l’occupation soviétique en Afghanistan et ont fait de ce pays un terrain d’entraînement pour terroristes. Ces deux régimes une fois renversés, l’Irak et l’Afghanistan ont commencé à combattre les mêmes forces qui prônent un peu partout la violence et la terreur au nom de la religion.


Tous les engagements ne doivent pas être militaires et tous les engagements militaires ne doivent pas faire intervenir les troupes. Mais le désengagement à l’égard de ce combat ne nous apportera pas la paix. Une politique de défense n’y suffira pas non plus. Si une politique de défense résolue a permis de résister au communisme révolutionnaire, ce dernier a été finalement vaincu par une meilleure idée : la liberté. On peut faire la même chose ici, la meilleure idée étant alors une conception moderne de la religion et de sa place dans la société, un modèle basé sur le respect et l’égalité entre les personnes de fois différentes. La religion peut avoir son mot à dire dans le système politique, mais ce n’est pas à elle de le gouverner.


Nous devons commencer avec les enfants, ici et à l’étranger. C’est pourquoi j’ai créé une fondation dans l’objectif spécifique d’éduquer les enfants de religions différentes à se connaître et à vivre ensemble. Nous sommes présents dans 20 pays et nos programmes fonctionnent. Mais c’est une goutte d’eau dans l’océan, comparé au tsunami d’intolérance enseigné à un si grand nombre. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons être forts et avoir une bonne stratégie.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
© Project Syndicate/« Mail on Sunday », 2013.


 

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