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Nos Lecteurs ont la Parole

Le ministre Cortbaoui n’est pas un « postier »

Par Abdel Hamid EL-AHDAB
La procédure engagée par le ministère public près la Cour de cassation contre le député Mouïn al-Merhebi en foi de l’accusation de diffamation portée par le commandant en chef de l’armée ne peut que relever de l’un des deux cas qui suivent :
Premier cas : il faut rappeler que l’article 39 de la Constitution dispose qu’« il est interdit de poursuivre un député pour ses opinions ou les idées qu’il exprime au cours de la période de son mandat ». D’où le principe de l’irresponsabilité pénale du député au cours de l’exercice de son mandat.
Le minsitère public a, dès lors, commis une erreur juridique grave en engageant des poursuites pour des actes non constitutifs de délit et pour lesquels une disposition constitutionnelle écarte toute responsabilité du fait qu’ils se rapportent aux opinions et idées exprimées par ce député. Dans ce cas, le ministre de la Justice n’est pas une sorte de « postier » mais une voie de passage conditionnant l’accès de l’accusation au Parlement. Aussi l’action erronée doit-elle s’arrêter à la porte de ce ministre, lequel doit la retourner au ministère public près la Cour de cassation pour absence de fondement légal. Le ministre de la Justice peut le décider d’office en raison de son rapport avec l’ordre public. La levée de l’immunité ne peut être examinée au sujet d’un acte non constitutif d’une infraction, la règle étant qu’il n’y a pas de peine, pas d’infraction sans texte de loi. Un tel principe relève de l’ordre public. Le député ne sera même pas admis à renoncer à son immunité.
Deuxième cas : si le ministère public s’est appuyé sur l’article 40 de la Constitution se rapportant à des crimes commis par le député au cours de son mandat, tels que le vol, le meurtre ou autres, qui ne peuvent faire l’objet de poursuites qu’après la levée de l’immunité parlementaire (comme dans le cas du député Rifaat Kazaoun qui avait été accusé de meutre et dépouillé de son immunité), la référence à cet article procède également d’une erreur grave, l’infraction dont il est accusé ne relevant pas de tels crimes contrairement aux affirmations du commandant en chef de l’armée. Il serait ainsi imputé à ce député des crimes qu’il n’a point commis et qui ne font même pas l’objet de poursuites à son égard.
La question se rapporte en fait au rôle du ministre de la Justice. Ce ministre est un symbole de probité, mais aussi un symbole de science et de culture. Chakib Cortbawi affirme n’être ici qu’un simple « postier ». Mais un postier ne délivre pas des plis vides. L’action engagée est, aux termes de l’article 39 de la Constitution, une hérésie. Le « postier » est tenu de veiller à l’inviolabilité du droit.
Le mieux aurait été de renvoyer les papiers au ministère public qui impute à Merhebi des actes ne relevant pas d’un crime.
Le ministre aurait ainsi corrigé la grave erreur de droit commise par le ministère public, au lieu d’aggraver les choses en transférant la demande de levée de l’indemnité au Parlement.
Dans un arrêt rendu aux beaux jours de la justice, le juge et homme de science Youssef Gebran, et le grand juge et homme de loi Boutros Noujaïm ont défini l’article 39 de la Constitution comme suit :
« Nulle différence si (le député) a formulé son opinion ou son idée sous la voûte du Parlement ou lors d’une conférence qu’il a tenue, ou même à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou dans un article publié dans la presse ou dans une déclaration faite en public, ce parce que la Constitution libanaise diffère totalement de la Constitution française de 1875 sur ce plan. L’article 39 de la Constitution française limite la responsabilité pénale du député relativement à ses opinions et idées qu’il exprime au cours de l’exercice de son mandat, alors que le texte libanais se veut plus large et plus général puisqu’il interdit les poursuites contre le député pour la formulation d’opinions et d’idées au cours de cette même période, soit au cours de la période où le peuple, tout le peuple, l’a investi de ce mandat inconditionnel et lui a donné l’entière liberté de penser et de formuler une opinion sur toutes les questions qui le préoccupent abstraction faite du lieu, du contexte ou du temps où elle est exprimée. »
(Arrêt de la Cour de cassation pénale – 9/4/1973 – Émile Boustany/Raymond Eddé).
Il en serait de même si le ministère public arguait de l’article 40 de la Constitution pour justifier son action contre le député Merhebi. Ce ministère aurait ainsi dénaturé les faits et attribué à ce dernier un crime qu’il n’a point commis. Il appartenait au ministre de la Justice de sauver rapidement la situation en renvoyant la demande de levée de l’immunité au ministère public aux fins de préciser l’infraction et l’acte imputés au député et montrer leur correspondance avec la réalité.
Vous n’êtes pas, Excellence, un « postier ». Vous êtes garant de la Justice, du respect du travail des députés, de la bonne marche de la démocratie, de la défense de celle-ci contre les éventuelles agressions militaires...
Il vous incombe de pallier rapidement la situation pour éviter une défaite de la légalité. Le ministre de la Justice dispose, vis-à-vis du ministère public, d’un pouvoir bien défini par l’article 14 du Code de procédure pénale. Il y est dit « qu’il appartient au ministre de la Justice de demander au procureur général près la Cour de cassation d’effectuer des poursuites au sujet des crimes dont il prend connaissance ».
Nous demandons à Chakib Cortbaoui de redonner à la loi le prestige dont elle jouissait au temps de Youssef Gebran et Boutros Noujaïm et au temps de Raymond Eddé. Le défi qui lui est posé est très grand, mais Cortbaoui a le calibre requis pour ce faire.

Abdel Hamid EL-AHDAB
Docteur en droit, président
du Conseil scientifique pour la promotion de la culture
juridique dans le monde arabe
La procédure engagée par le ministère public près la Cour de cassation contre le député Mouïn al-Merhebi en foi de l’accusation de diffamation portée par le commandant en chef de l’armée ne peut que relever de l’un des deux cas qui suivent :Premier cas : il faut rappeler que l’article 39 de la Constitution dispose qu’« il est interdit de poursuivre un député...
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