Dans la soirée du mardi 7 mai, près de 24 heures après la mise en garde du Premier ministre français Gabriel Attal contre tout blocage dans les universités françaises, en référence aux dernières semaines de mobilisations étudiantes en soutien à la Palestine dans la guerre à Gaza menée par Israël et le Hamas depuis le 7 octobre, une centaine d’étudiants de la Sorbonne à Paris se sont rassemblés dans un amphithéâtre de l’université.
Carmen*, franco-libanaise, et Leila*, franco-marocaine, étudiantes en deuxième année de master en sciences politiques, ont participé à ce rassemblement, avant d’être évacuées puis arrêtées par les forces de l’ordre. « Ils se sont jetés sur nous sans aucune sommation », lâche tout de-go Carmen, dont une partie de la famille réside encore au Liban. La jeune femme se dit profondément impliquée dans ce conflit et martèle que ce n’est pas seulement la Palestine qui est concernée, mais également son pays d’origine « bombardé quotidiennement ».
Contactées par L’OLJ, les deux jeunes femmes racontent leur arrestation par des agents de la CRS (Compagnie républicaine de sécurité).
Une garde à vue de 15h
Les agents de la CRS ont d’abord fait irruption devant l’amphithéâtre. C’était « un face-à-face absurde. Ils nous fixaient, prenaient des photos et se moquaient de nous », raconte Carmen. Après de longues minutes, ils ont finalement forcé l’entrée principale et ont évacué les étudiants manu militari. « Ils se sont jetés sur nous sans aucune sommation », poursuit l’étudiante.
Après fouilles et contrôles, Carmen et Leila ont été conduites au commissariat avec dix autres étudiantes. Selon leurs dires, elles ne s’attendaient pas à être placées en garde à vue, interprétant les remarques infantilisantes des policiers comme une tentative d’intimidation. Leila fustige « le mépris, l’intimidation et l’humiliation que met en place le corps policier » dès leur arrestation jusqu’à leur arrivée au commissariat. Elles ont dû remettre leurs effets personnels avant d’être interrogées par la police judiciaire et se voir suggérer de contacter un avocat une fois dans la salle d’interrogatoire.
Placées dans une cellule décrite comme « insalubre et jonchée de détritus », les jeunes filles disent avoir manqué de couvertures, d’eau et de sanitaires. Elles y resteront jusqu’à 13 heures le lendemain, avant d’être relâchées avec une convocation devant la police pour une audience ultérieure. Libérées après 15 heures de garde à vue, Carmen et Leila sont « sous le choc », se sentant traitées « comme des criminelles », mais encore plus déterminées à poursuivre leur lutte. Leur désarroi s’est amplifié en découvrant que 86 personnes avaient été interpellées.
« La Palestine semble être un sujet d’exception »
Jugeant la répression subie « anormale et sans précédent », et craignant des réponses encore « plus rapides et automatiques » des forces de l’ordre face aux mobilisations, Carmen s’est dite surprise par le manque de couverture médiatique de l’incident. Pour les deux militantes, cette lutte nous concerne tous, et la cause « dépasse les identités arab, musulmane, palestinienne ou libanaise », car elle relève de la justice et de la dénonciation collective « d’une guerre coloniale ».
Les jeunes militantes se disent affligées par les représailles infligées aux étudiants qui manifestent contre « le soutien de leurs institutions à la guerre ». Elles dénoncent un climat de censure croissant en France concernant la situation à Gaza. « Depuis le 7 octobre, le sujet est tabou. Aucune initiative de l’université pour informer, pas de conférences, pas de tables rondes. Nous, on cherche le dialogue, mais en face, il est rompu », s’insurge Carmen.
« La Palestine semble être un sujet d’exception où la mobilisation est sapée. Ce n’est pas normal. Il est temps d’arrêter l’autocensure » ajoute-t-elle. Selon Leila, « l’école crée un climat de peur en restreignant le débat à une seule idée : toute mobilisation pour la Palestine et contre le sionisme est assimilée à de l’antisémitisme ». Face à ce vide, elles ont créé un collectif étudiant pour organiser des événements de sensibilisation, offrant une plateforme de discussion libre.
Leila déplore que l’université française ne soit plus un « lieu indépendant d’expression libre ». « L’obstacle, c’est la police », conclut Carmen, soulignant que les événements dédiés à la Palestine ont été pacifiques et inclusifs. « Quand on porte un uniforme qui est censé représenter la République, on doit véhiculer les valeurs de la République », ajoute Leila. Néanmoins, les deux étudiantes espèrent que la répression violente de l’État ne dissuadera pas la mobilisation populaire.
*Les prénoms ont été changés.
Sissi zayyat vous avez entièrement raison
00 h 28, le 16 mai 2024