Un double mouvement, apparemment contradictoire, anime en ce siècle la plupart des conduites humaines.
D’une part, une tendance marquée, puissante, vers le nivellement des idées, le compactage des valeurs, vers l’uniformisation des comportements, dans une société vouée et dévouée à la consommation, à la rentabilité, au maintien des acquis et à la recherche quasi compulsive d’une sécurité matérielle maximale.
Et, d’autre part, une aspiration profonde de beaucoup de femmes et d’hommes à se réapproprier un pouvoir de vie sur leur existence, à retrouver un plus grand respect envers leur corps et ses besoins profonds, une exigence plus grande envers la qualité de leur relation, un mouvement pour se relier au divin qui est en chacun.
Toute une culture du mieux-être s’est en effet développée, avec à la fois des excès mais aussi des voix d’intériorisation étonnantes, et d’une extrême sensibilité.
Des hommes et des femmes veulent s’affirmer comme ayant la capacité d’un choix de vie possible, différent de celui qui leur a été imposé au départ de leur histoire. De plus en plus de femmes et d’hommes aspirent à sortir, à dépasser les conditionnements de leur milieu, à se démarquer des valeurs recommandées ou imposées, des modes de vie qui sont dans l’air du temps, des orientations dominantes.
« Je veux pouvoir conduire ma vie et développer mes ressources. » « Je ne veux plus vivre seulement pour survivre, mais pour accroître le meilleur de moi, pour oser mes possibles, pour être au plus près de mes potentialités réelles. » « Je ne me reconnais plus dans les valeurs religieuses transmises par ma famille, j’éprouve le besoin de me relier à une expérience spirituelle qui soit plus proche de l’homme que je suis aujourd’hui. »
Mais il y a aussi, semble-t-il, au-delà du personnalisme manifeste, de l’égocentrisme potentiel ou des égoïsmes apparents, une aspiration vers un engagement plus ouvert, plus large, plus allocentriste, tourné vers les autres, un combat pour un mieux-être plus collectif, humanitaire et planétaire.
Les rayons « sciences humaines » des librairies et même des hypermarchés sont riches, diversifiés et sensibles à tous ces courants. J’aime bien ces deux mots : sciences humaines. « Science » comme rigueur, recherche, espoir, et « humaine » comme humilité, tâtonnements, doutes, interrogations, bref tout ce qui représente notre quête et notre recherche, tout ce qui s’incarne dans « l’humanitude » d’un être.
L’équilibre, l’harmonie, la vision d’une vie sans souffrance, en un mot le bonheur accessible au moindre prix, nous sont de plus en plus fréquemment proposés, vendus en quinze leçons ou en kit de deux à trois séminaires intensifs d’illumination, d’éveil ou même de formation à des relations humaines présentées comme plus vraies et plus authentiques, susceptibles d’apporter apaisement et sagesse.
Au point qu’il y a parfois l’équivalent d’une véritable escroquerie quand sont proposées des démarches thérapeutiques ou des formations qui vendent et garantissent un résultat. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau de bain, prenons ce qui nous rejoint, là où c’est possible, quand c’est accessible à nos attentes, sans perdre pour autant une vigilance critique. Acceptons les cheminements, les découvertes et les engagements possibles, pour devenir un meilleur compagnon pour soi.
La recherche du bien-être me semble une démarche saine quand elle débouche sur un meilleur respect de soi, et de l’autre, au quotidien. Elle suppose, de toute façon, un travail sur notre histoire, sur notre passé, sur notre façon d’être au monde au présent, avec un mélange parfois inquiétant et stimulant d’aspects inattendus de soi-même, de nouveaux désirs, de découvertes vivifiantes et de passages douloureux, de tâtonnements, de résistances et de régressions.
Le bien-être ne s’achète pas, il est une conquête à construire au quotidien.
C’est un apprentissage à plein-temps, celui de la confiance en nos ressources propres, celui de la bienveillance envers nos propres limites.
Bien-être et amour de soi, s’ils ne doivent pas se confondre, sont interdépendants et supposent l’un et l’autre une qualité renouvelée de communication avec autrui. Pouvons-nous ne pas oublier que les chemins du bien-être passent en quelque sorte par une ascèse de vie, faite d’engagements, de fidélités à des valeurs, de cohérence et de respect ?
Découvrons le plaisir de terminer par nous-mêmes ce que nous devrions accomplir !
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