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Nos Lecteurs ont la Parole

Batroun l’insoumise aux yeux assoupis

Tahani Khalil GHEMATI
« Si tu ne réussis pas à m’atteindre du premier coup,
ne te décourage pas, si tu ne me trouves pas à un endroit,
cherche à un autre, je suis arrêté quelque part et je t’attends. »
Walt Whitman


Ce matin en me réveillant j’ai pensé à toi. Belle Ana. L’amie espagnole. Brune à la chevelure ondulée. Au teint parfois diaphane. À la minceur retrouvée. Au pas léger et aérien. À ce regard un brin détaché. Par moments tristes. Certains euphoriques. Des ups and down. Toutes les deux embarquées sur le même rafiot percé. Exil. Hormones féminines de malheur. Jeux de cache-cache. La sorcière dissimulée toujours prête à sortir son balai. Un jour de février, un déjeuner entre filles. Un lieu branché quelconque. À Beyrouth. Tu m’as demandé. Que fais-tu pendant les vacances de Pâques? Rien. Je reste. Et toi? Je pars à Madrid. Je te prête Batroun. Mes yeux brillent. Les souvenirs envahissent mon cerveau squatté et souvent kidnappé par des esprits malins. La Grèce à une heure de route. La maison blanche aux volets bleus. La mer. La terrasse plantée. Un vaisseau échoué. Le refuge. La piqûre. Le médicament iodé. Le remède à tous les maux. Le ballet des pêcheurs à heure régulière. Toujours la même chorégraphie. Une bouée. Des grilles. Des pieds palmés. Clapotis. Les poissons à la queue trémoussée prêts à la livraison. Bribes de ruines encore dressées par miracle. Elles s’éclairent par magie les nuits de pleine lune. La carte postale irréelle. Explosée. Beauté hésitante et timide. Un lieu où le temps s’est arrêté net. À la porte des marchands de fruits et légumes. Au vieillard adossé contre ce mur fissuré. Il regarde passer ces étrangers perdus. À la dame aux effluves d’encens. Aux chaises en plastique coloré sagement alignées, lavées et séchées sur une balustrade. À ces tapis aux oursons souriants. Aux serviettes imprimées de jeunes jambes minces et effrontées. À ces échoppes où les bouquets de persil valsent avec les oranges, fèves, tomates, aubergines et concombres. Le silence dérangé. Des trésors de maisons abandonnées. Et des marteaux piqueurs à rénover. Coquillages dénichés au creux de galets. Escaliers aux mains courantes amputées. Dalles de balcon effondrées. Au port activé de camions et chantiers à la poussière évaporée. Fleurs en liberté parfois coiffées par des chapeaux improvisés. Des emballages évadés. Un fumet grillé d’ail et d’oignon à l’huile d’olive. Au spectacle ensoleillé des algues frémissantes flirtant avec la lumière du printemps. À ces lézards malappris. Au linge oscillé. Aux lacis compliqués des fils électriques branchés sur des poteaux reliés à des tableaux incompréhensibles. Je respire le sel évaporé. Les parasols se sont mutés en éventail. Volets et transats claqués. À l’envol de ce rideau blanc aux ailes de papillon déployé. À ces étoiles brillantes au-dessus d’une mer argentée.
Dans les ruelles où je me suis égarée j’ai retrouvé le néflier qui m’a rappelé le mien arraché par un vulgaire squatter. À vol d’oiseau à travers cette Méditerranée. Mon pays. La Libye. Ma ville. Tripoli. Déracinée comme cet arbre. Sauvagement. Elles étaient encore vertes. Petites et délicates. Batroun je te quitte remplie de toi. De ce bleu insolent. D’ombres furtives. De voiles évanescentes. De ces silences d’un vent en cavale. D’écume tremblante. De lumière rebelle. De barbouillage de tripes. De sanglots intérieurs étouffés. D’une âme apaisée. De rivages apprivoisés.

Tahani Khalil GHEMATI
« Si tu ne réussis pas à m’atteindre du premier coup,ne te décourage pas, si tu ne me trouves pas à un endroit, cherche à un autre, je suis arrêté quelque part et je t’attends. » Walt WhitmanCe matin en me réveillant j’ai pensé à toi. Belle Ana. L’amie espagnole. Brune à la chevelure ondulée. Au teint parfois diaphane. À la minceur retrouvée. Au pas léger et...
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