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Nos Lecteurs ont la Parole

Le « juge » à trouver…

Il nous faut, sans doute, admettre que les hommes sont de grands enfants. Et nous rappeler que le « juge pour enfants a fini par se pendre » (proverbe libanais).
Il n'y a, décidément, aucun moyen de mettre d'accord ensemble les deux fractions antagonistes qui prétendent plier à leur convenance la politique de notre minuscule pays. Les uns sont entêtés, les autres têtus ! Autant parler de la quadrature du cercle.
Sauf que le dilemme n'est pas né d'hier. Le nœud gordien qui hante nos rivages depuis des temps immémoriaux est dû, par fatalité, au hasard de notre position géographique. Nous sommes, en effet, à la limite de tout : de l'Orient et de l'Occident, d'abord. Du cœur et de la raison ensuite. À mi-chemin entre les idéaux et les réalités, la générosité et l'individualisme. Entre l'honnêteté et la fourberie. L'ordre et le chaos. En un mot, à mi-chemin entre l'intelligence et la bêtise.
Ce qui fait que nous étions condamnés d'avance à barboter à la surface de choses. Et si les grandes doctrines religieuses sont apparues non loin de nous, elles se sont épanouies ailleurs dans le vaste monde. Un journaliste avait écrit, un jour, à l'occasion d'un opuscule touristique, que le « Moyen-Orient avait été, dans l'histoire, le berceau de la civilisation ». Il avait hélas ! ajouté cette phrase assassine : « En effet, la civilisation y est restée dans le berceau. »
Nous pouvons en rire jaune. Mais les faits sont là ! Car lorsque la maturation des créatures sur terre a fini, après des milliers d'années, par façonner des sociétés humaines sous forme de groupes ethniques ou culturels, par les sédentariser et les organiser en vue de dominer la nature primitive et permettre de la sorte le développement harmonieux de la pensée, les populations de nos régions en sont restées, bizarrement, à la phase instinctive de leur ego, négligeant de comprendre que le progrès ne peut être, en définitive, qu'une « montée de conscience ».
Faut-il croire que la volonté s'émousse au contact d'un soleil trop fort, d'une végétation trop tendre, d'un climat trop clément ? On nous parle de l'esprit d'initiative de nos ancêtres phéniciens et sémites qui peuplaient nos côtes. Qu'est-il resté de leur enthousiasme, de leur savoir-faire, à part la débrouillardise, le laisser-aller et la suffisance ?
Eh bien ! Je crois pouvoir le dire, malgré mes modestes connaissances en sciences humaines : c'est d'un « manque d'éducation » qu'il s'agit. Une lacune mortelle qui empoisonne ceux qui n'ont pas su se pencher sur la véritable organisation de leur vie. Depuis que les « nations » ont fini de prendre forme, que les « États » se sont construits un peu partout, qu'une règle politique obligatoire a régi les ensembles humains, il ne s'est pas trouvé, de ce côté-ci de la Méditerranée, un seul esprit vivant qui ait eu la possibilité d'imposer une vision cohérente, une discipline soumise à la raison. C'est sous l'étiquette d'une simple vie, gourmande et végétative, que les « édiles » du Moyen-Orient se sont positionnés, pensant prolonger ad aeternam l'absence de préoccupations qu'un environnement vierge leur procurait. Le temps, pour eux, s'est figé à l'horizontale... tel un présent continu, entraînant dans leur sillage les dirigeants successifs de cet État lilliputien nommé Liban.
Aussi, au point où nous en sommes, n'est-il plus étonnant que nous n'ayons comme perspective que le recours au suivisme ou le fait de ne pouvoir survivre qu'à la traîne de nos voisins.
Pourtant, il s'est fait que, malgré tous les aléas énumérés ci-dessus, une partie d'entre nous aura réussi à émerger par-dessus la stagnation, illustrant, par sa ténacité, ce trait propre à l'espèce humaine : la curiosité. Ceux-là se sont laissé instruire, qui ont sciemment voulu se mettre au diapason de la modernité, modernité de l'esprit et non celle du confort matériel et de la société de consommation. Sortis d'horizons divers, d'ethnies diverses, de confessions religieuses diverses, ils ont tenu à se fixer un objectif et manifester le noble désir d'appartenir à un pays de tolérance et de convivialité. « L'autre », pour eux, est tout au plus un rival, pas un ennemi. Ainsi l'exige ce développement de la conscience nommé humanisme.
Or ces individus-là constituent, au Liban, un corps sélectif minoritaire. S'ils regardent vers le large, et bien que ce ne soit pas par amour béat de l'Occident dont ils connaissent parfaitement les tares, mais par sympathie légitime avec un monde extérieur si prodigieusement épanoui, ils risquent ‘accusation éhontée d'être à la traîne d'étrangers, assimilables à des « impérialistes ».
Or ces individus-là constituent, au Liban, un corps sélectif minoritaire. S'ils regardent vers le large, et bien que ce ne soit pas par amour béat de l'Occident dont ils connaissent parfaitement les tares, mais par sympathie léghitime avec un monde extérieur si prodigieusement épanoui, ils risquent l'accusation éhontée d'être à la traîne d'étrangers, assimilables à des « impérialistes ».
À côté d'eux, d'autres concitoyens, toutes confessions confondues, héritiers d'une pensée fixiste propre au caractère collectif de l'Oriental, s'érigent en censeurs au nom d'un purisme régional et culturel désuet, s'accrochant depuis des décennies à une attitude de surenchères démagogiques qui ne leur permet aucun « écart ». C'est tantôt une doctrine religieuse que l'on invoque à la rescousse, tantôt une stratégie politique mêlant obscurantisme, orgueil et même corruption. À ce titre, aucun système ne peut fonctionner et le vice de fabrication se retrouve ici touché du doigt.
Dans ces conditions, le Liban n'est plus viable, s'il l'a jamais été. Et voilà pourquoi le juge « débonnaire » n'a plus qu'à se pendre.
Conclusions grossières et combien pessimistes, me direz-vous ! Qui devraient nous inciter, justement, à ne pas baisser les bras. Quitte à crier dans le désert, je souhaite que l'opinion publique soit alertée et qu'elle réalise pleinement que si « deux négations ne font pas une nation », comme l'avait génialement écrit un Georges Naccache désabusé, deux projets de société aussi stupidement opposés ne feront pas, non plus, la trame d'un pays décent.
Or, nous avons droit à la vie, sous ce carré de ciel bleu !
Alors, le moyen d'en sortir ? Je ne le vois pas, hélas ! quant à moi.
Nous resterait le choix entre continuer à surfer sur la médiocrité et l'hypocrisie ambiantes ou nous mettre miraculeusement d'accord un (très beau) jour, sur une déclaration de « neutralité internationale » comme a choisi de le faire la Suisse, il y a des siècles.
Mais cela est une tout autre histoire !

Louis INGEA
Il nous faut, sans doute, admettre que les hommes sont de grands enfants. Et nous rappeler que le « juge pour enfants a fini par se pendre » (proverbe libanais).Il n'y a, décidément, aucun moyen de mettre d'accord ensemble les deux fractions antagonistes qui prétendent plier à leur convenance la politique de notre minuscule pays. Les uns sont...
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