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Parler - Lorient-Le Siecle

À l’origine de l’expression « téléphone arabe »

Aujourd’hui connue surtout pour le jeu qu’elle désigne, l’expression remonte au passé colonial de la France.

À l’origine de l’expression « téléphone arabe »

Installation Téléphone Arabe #1 de l'artiste Clément de Gaulejac, à Bruxelles avec Recyclart, en 2004. Photo Clément de Gaulejac

Le lien entre « Le Liban est un message » et « Le lit du banc fait un massage » ? Le « téléphone arabe ». Soit la « transmission très rapide, de bouche à oreille, d’une nouvelle ». À ne pas confondre avec le bouche à oreille qui fait bonne publicité. Pour beaucoup, l’expression fait aujourd’hui référence à un jeu aux règles bien définies, aussi appelé téléphone sans fil, consistant à communiquer une dépêche d’une personne à l’autre pour s’amuser ensuite des déformations subies au fil des chuchotements. « L’intérêt croît avec le nombre de joueurs et la complexité du message », précise le site Jeux et compagnie, soulignant l’intérêt éducatif de « comprendre l’impact des ragots et des rumeurs ». Car bien que le contenu diffère d’un jeu à l’autre, aucun message ne sort intact de murmures qui se suivent mais ne se ressemblent pas.

La faute aux Arabes ? C’est en tout cas l’importance accordée à la transmission orale au sein de la tradition arabe qui est ainsi mise en lumière, voire en cause. Certaines sources situent l’origine de l’expression auprès des colons français installés en Afrique du Nord au XIXe siècle, qui auraient été impressionnés par la rapidité avec laquelle les informations circulaient entre habitants, sans autre moyen de communication que l’oralité. « S’il n’y a pas ici de vrai téléphone, le mot est presque pris au sens étymologique, de télé qui veut dire loin en grec ancien, et phone qui signifie le son ou la voix », souligne Sylvie Brunet, coauteure d’Une grammaire à croquer (First, 2023).

Des racines xénophobes

Alors que d’aucuns placent l’apparition de l’expression dans le langage courant français au début des années 1960, la linguiste en a trouvé une première occurrence à l’écrit en 1935, en glanant dans les archives de la Bibliothèque nationale de France. « C’était dans le journal L’Action française nationaliste, xénophobe et collaborationniste, précise-t-elle. Le journaliste d’extrême droite prend l’expression avec des pincettes en la mettant entre guillemets, comme par dégoût. » De quoi y coller dès le départ un prisme raciste de condescendance paternaliste. « L’idée était un peu de dire : ce sont certes des sauvages, mais ils communiquent bien entre eux », ajoute Sylvie Brunet, pour laquelle la péjoration, le mépris, voire le racisme induits sont inhérents au contexte colonial dans lequel est née l’expression. Sans avoir rencontré le même succès dans le jargon français, le « téléphone de brousse » est d’ailleurs né en parallèle dans les autres colonies françaises d’Afrique, indique Delphine Gaston-Sloan, auteure notamment de Le pourquoi et le comment des expressions françaises (Larousse, 2018).

Rapidement, l’information devient rumeur, bruits de couloir douteux. « La notion de déformation est venue par la suite, insinuant que lorsque l’on récupère une information, on la modifie un peu avant de la transmettre à son voisin », renchérit l’écrivaine. Un sens qui peut être certes considéré comme vexatoire, mais qui ne constitue par un élément de discrimination, a tranché la justice québécoise. « Dans son sens usuel, (l’expression) ne constitue pas une façon de dénigrer les personnes arabes et n’a strictement rien à voir avec l’origine ethnique ou nationale, précise ainsi le compte-rendu d’une affaire de discrimination portée par un employé de confession musulmane contre son employeur. L’utilisation de telles expressions (...) peut être perçue comme un manque de tact ou de sensibilité, sans pour autant avoir pour effet de détruire ou de compromettre l’exercice en pleine égalité de son droit à la sauvegarde de sa dignité. »

À chacun sa bête noire

« Ce sont des expressions qui ont été générées par une action politique », rappelle toutefois Sylvie Brunet. Si la langue de Molière se réfère à l’arabité, en anglais, le jeu du « téléphone arabe » ne se traduit-il pas par « Chinese whispers » (murmures chinois) ou encore « Russian scandal » (scandale russe) ? Leur existence dans le langage familier, et d’autant plus dans le domaine du jeu, a néanmoins pu contribuer à lisser, voire à faire oublier leur héritage. « J’avais conscience de l’arrière-plan colonial, mais je ne le voyais pas comme quelque chose qui pouvait être perçu comme raciste », confie ainsi Clément de Gaulejac après une déconvenue survenue autour de l’expression. Fasciné par les jeux de langage, les questions de « traductibilité », et surtout peut-être d’« intraductibilité », cet artiste français a installé en 2005 un néon lumineux dans un quartier populaire de Bruxelles, où était inscrit le mot téléphone en arabe (hatef). Peu après, son œuvre est vandalisée, la transformant ironiquement en « téléphone brisé », expression qui désigne dans le monde arabe (en français) le même jeu. Une coïncidence « géniale » qui le pousse à tenter une mise en abîme, en explorant à quel point son « téléphone arabe » pourrait être déformé s’il devait être reproduit aux quatre coins du monde. S’ils ont pris des styles calligraphiques différents, les néons recréés successivement à Montréal, Ottawa, Paris et Shanghai au fil des ans ont fidèlement retranscrit le message. Une manière de faire mentir l’expression en arabe ?


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