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Parler - Lorient-Le Siecle

Feyrouz et les Rahbani ne seront pas censurés

Quand Dame Anastasie pointait le bout de son nez, Marie-Thérèse Arbid dégainait sa prose assassine tout en ayant l’air de ne pas y toucher...

Feyrouz et les Rahbani ne seront pas censurés

Ihsan Sadek et Feyrouz dans « Safarbarlek » de Henri Barakat. Photo d’archives L’OLJ 

Dans le cadre d’une rubrique intitulée « La question du jour », sous un croquis qui représente sa frimousse mutine, Marie-Thérèse Arbid pose des questions généralement gênantes à des personnalités qui font l’actualité libanaise. En ce dimanche 29 octobre 1967, la journaliste au franc-parler légendaire, chef du service culturel – à partir de 1966 au Jour puis à L’Orient-Le Jour jusqu’à sa mort en 1990 – lance un débat quelque peu absurde. Mais c’est sa manière de procéder, de provoquer l’interviewé d’une manière ingénue, qui interpelle surtout le lecteur. Pour soulever la question de la censure qui menaçait sérieusement Safarbarlek, le film d’Henri Barakat avec Feyrouz en vedette, MTA choisit d’interroger les deux parties en conflit, un diplomate de l’ambassade de Turquie au Liban et Assi Rahbani.

L’entretien se présente ainsi :

M.-T. A. : M. le Chargé d’affaires de Turquie, il paraît que votre ambassade a demandé l’interdiction du film des Frères Rahbani « Safarbarlek ». Pouvez-vous me dire pour quelle raison ?

Le diplomate : Le film n’est pas en cause, nous n’avons rien contre les frères Rahbani. Nous aimons tous Feyrouz… Mais les relations entre la Turquie et les pays arabes devenant des plus amicales, il vaudrait peut-être mieux que certaines personnes ne puissent pas exploiter certains passages… Mais… Ne dites rien.

Assi Rahbani, il semble que votre film ait suscité des réactions à l’ambassade de Turquie. Puis-je savoir à quel propos ?

A.R. : Oui, il paraît. De toute façon, l’affaire est entre les mains du ministère des Affaires étrangères. Il vaut mieux ne pas en parler, ne dites rien…

Et, chose promise, chose due, évidemment, je ne dirai rien…

Propos (confidentiellement) recueillis par Marie-Thérèse ARBID

Confidences pour confidences, publiées finalement dans un quotidien à grand tirage... MTA finaude, à ne pas en douter.

Mais qu’est-ce qui a provoqué la gêne des diplomates turcs ? Retour sur les faits à travers les archives de L’Orient et du Jour.

Safarbarlek (expression turque qui signifie « exil ») est le premier long métrage libanais du cinéaste égyptien Henri Barakat. Il est également la deuxième expérience cinématographique de Feyrouz – la première ayant été Baya’ el-khawatem (Le Vendeur de bagues) de Youssef Chahine.

L’action de Safarbarlek se déroule en 1914. Feyrouz est une jeune villageoise qui, partie à travers la montagne libanaise à la recherche de son fiancé disparu, se trouve mêlée et bientôt participant activement au mouvement de révolte des patriotes contre le joug de la domination turque. Le film porte la signature des frères Rahbani pour l’histoire, le scénario, les dialogues et la musique. D’autre part, il marque les débuts à l’écran de Assi Rahbani, poète et musicien passé au rang d’acteur.


Coupure de presse de la rubrique « Question du jour » de Marie-Thérèse Arbid, en date du dimanche 29 octobre 1967. Archives « L’OLJ »

Barakat avait déclaré au Jour en avril 1967 : « Le travail effectué par les frères Rahbani sur le scénario original est réellement extraordinaire. Ils ont su merveilleusement restituer le climat tourmenté de fer et de sang des années d’occupation et concrétiser les troubles de toute une époque à travers la lutte pour la liberté menée par les citoyens d’un village montagnard. »

Quant à Feyrouz qui assure dans ce film la liaison entre les divers chefs du maquis libanais, « elle a dû traverser un tronçon de montagne sur une charrette cahotante », indique un article de L’Orient en avril 1967. À la guerre comme à la guerre... « Mais pour le repos de notre vedette guerrière, les Rahbani ont loué une maison à Douma », non loin du lieu de tournage, nous rassure-t-on par ailleurs. Safarbarlek allait donc comme sur des roulettes.

Mais voilà. Alors que le film était sur le point d’être diffusé sur les grands écrans au Liban et dans la région, l’ambassade de Turquie a tenté de faire pression pour le faire retirer de l’affiche.

« Les relations libano-turques se sont brusquement tendues », lit-on en page 6 du Jour le 29 octobre 1967. L’ambassade de Turquie a estimé que le film était offensant pour le peuple turc et qu’on risquait, en « déterrant » les événements des dernières décennies, de ressusciter de vieilles haines, rapporte l’article. « Elle a donc demandé que certains passages soient omis. Les frères Rahbani ont accepté d’en supprimer quelques-uns, mais ont refusé d’effectuer d’autres coupes sombres. L’ambassade a alors demandé l’interdiction de la projection du film à Beyrouth, et les représentants diplomatiques turcs dans les diverses capitales arabes auraient l’intention de prier les autorités des pays où ils sont accrédités d’interdire également Safarbarlek », conclut le papier, non sans relever que les responsables libanais des Affaires étrangères examinent ce problème et tentent de trouver une solution qui donne satisfaction à tout le monde.

Ce fut chose faite apparemment, puisque l’ambassade, qui avait d’abord montré quelques réticences devant ce film qui stigmatise le comportement de la Sublime Porte, n’a pas tardé à retirer sa plainte, « étant donné que l’actuel régime turc est lui-même issu de la révolte d’Ataturk contre la dictature ottomane », avait expliqué la mission diplomatique. À titre de compromis, les frères Rahbani ont ajouté à la préface du film une note soulignant que les relations actuelles entre les deux pays n’étaient nullement visées.

C’est ce que rapporte L’Orient du 1er novembre 1967, non sans souhaiter un excellent départ pour Safarbarlek.

Tourné en couleurs et Scope, ce film marquera une date dans l’histoire de notre jeune cinéma national. Dans un pays en pleine crise, il a vu s’ouvrir toutes grandes, devant lui, les portes d’une salle importante du quartier de Hamra (qui est, en principe, « tabou» pour les productions locales), en même temps qu’il est passé sur un écran de la place des Martyrs. Partout, il a fait un malheur », allant jusqu’à battre les records beyrouthins de Sound of Music lui-même.

Pour la petite histoire, notons qu’à la fin des années soixante, les Français avaient tenté de faire pression sur les autorités libanaises pour empêcher la projection de La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, et les Grecs, du film Z de Costa Gavras. Le régime libanais au pouvoir avait tenu bon, entendant préserver la liberté d’expression qui demeure notre principale raison d’être. L’interdiction, en décembre 1971, de L’Aveu de Gavras remettait en cause ce que les Libanais avaient la naïveté de prendre pour de l’autonomie.


Dans le cadre d’une rubrique intitulée « La question du jour », sous un croquis qui représente sa frimousse mutine, Marie-Thérèse Arbid pose des questions généralement gênantes à des personnalités qui font l’actualité libanaise. En ce dimanche 29 octobre 1967, la journaliste au franc-parler légendaire, chef du service culturel – à partir de 1966 au Jour puis à L’Orient-Le...
commentaires (2)

Quel est l’équivalent de ce mot en langue Perse ? Je parie qu’aujourd’hui personne n’osera faire un tel film et que les barbus avec leurs armes sauront interdire, intimider et menacer.

Zeidan

09 h 18, le 12 mai 2024

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Commentaires (2)

  • Quel est l’équivalent de ce mot en langue Perse ? Je parie qu’aujourd’hui personne n’osera faire un tel film et que les barbus avec leurs armes sauront interdire, intimider et menacer.

    Zeidan

    09 h 18, le 12 mai 2024

  • Safarbarlek.l, continue, avec acharnement, sans la Turquie et sûrement contre notre Patrie, le Liban.

    Wlek Sanferlou

    17 h 41, le 11 mai 2024

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