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Économie - Commerce maritime

Les importations au Liban affectées par les tensions en mer Rouge

Depuis plus de trois mois, les houthis yéménites attaquent des navires dans les eaux internationales, prétendument en réponse à la guerre d'Israël contre Gaza.

Les importations au Liban affectées par les tensions en mer Rouge

Le cargo Rubymar, battant pavillon bélizien, endommagé lors d'une frappe de missile le 19 février revendiquée par les rebelles houthis, coule dans la mer Rouge. Photo AFP via Getty Images

Pendant que les combattants houthis du Yémen poursuivent et menacent d'intensifier leurs attaques contre les navires militaires et commerciaux en mer Rouge, alors qu’aucune trêve entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza n’a jusqu'à présent été conclue, le flux commercial international demeure perturbé. Le corridor maritime le plus critique du monde, passant par la mer Rouge et le canal de Suez en Égypte, facilite en effet le mouvement des marchandises entre l'Europe et l'Asie. Ces attaques ont non seulement mis en danger les navires et leur équipage y circulant mais aussi mis à mal l'industrie du commerce maritime. 

Et le Liban n’est pas épargné. Des experts contactés par L’Orient Today anticipent des hausses de prix des produits importés et notamment un taux d’inflation de 2 à 15 % sur les denrées alimentaires. Frappé par une profonde crise économique depuis 2019, le Liban est fortement dépendant des importations et du commerce maritime pour les hydrocarbures, les denrées alimentaires, les véhicules, les machines et plus encore. Il sécurise ses besoins commerciaux vers et depuis de nombreux pays asiatiques grâce à des lignes maritimes mondiales régulières avec des navires porte-conteneurs passant par la mer Rouge et le canal de Suez, explique Élie Zakhour, premier vice-président de la Fédération arabe des chambres de navigation et ancien responsable de la Chambre internationale de navigation à Beyrouth.

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Le pays se trouve donc directement impacté par les perturbations des voies navigables, car il compte sur le fret maritime, moins cher que le fret aérien, poursuit-il, détaillant que le coût du fret maritime est calculé en tonnes ou par conteneur contenant plus de 25 tonnes, tandis que le coût du fret aérien est calculé en kilogrammes. Les commerçants peuvent charger plus de 200 000 tonnes sur un navire, alors que la charge maximale de l'avion est de 450 tonnes, ajoute l’expert.

La menace posée par les attaques houthies a donc incité plusieurs transporteurs internationaux à suspendre leurs voyages le long de ces routes et à faire transiter leur flotte autour du cap de Bonne-Espérance en Afrique du Sud, ajoutant des milliers de miles aux trajets et entraînant des retards importants dans les arrivées de marchandises. Des retards qui sont considérables pour le Liban, les trajets prenant maintenant 20 à 25 % plus de temps, souligne Omar Itani, directeur général du port de Beyrouth.

Un envoi de marchandises pour le ramadan, par exemple, était censé arriver le 15 février, mais on s'attend maintenant à ce qu'il arrive au milieu du mois de jeûne, nous a également déclaré Hani Bohsali, président du syndicat des importateurs de denrées alimentaires. De plus, pendant le ramadan et le carême, « la demande augmente généralement pour certains produits alimentaires, que nous pourrions ne pas être en mesure de sécuriser auprès d'autres pays pour trouver d'autres alternatives », ajoute le syndicaliste.

Hausse des prix

La durée prolongée du trajet et la consommation accrue de carburant contribuent également à une hausse globale des coûts de voyage, souligne Élie Zakhour. Les compagnies maritimes ont réagi en augmentant les tarifs, « avec le coût d'expédition d'un conteneur, par exemple, doublant de 2 000 à plus de 4 000 dollars, voire atteignant 5 000 dollars pour un conteneur de 20 pieds importé de Chine, de Corée ou du Japon... » selon Hani Bohsali.

Pendant ce temps, l'escalade des tensions militaires en mer Rouge a incité les compagnies d'assurance à augmenter les primes « contre les risques de guerre de 0,1 à 1 % » pour les opérations d'expédition, ce qui augmente encore les coûts qui risquent de poursuivre leur hausse « tant qu'Israël continue la guerre », ajoute Élie Zakhour. De son côté, Omar Itani déclare que les compagnies d'assurance ont également augmenté leurs frais pour les envois empruntant la route africaine « car le trajet est plus long et comporte différents risques ».

Geollect, une société de renseignement géospatial, a elle suggéré que le réacheminement du trafic maritime expose les navires à différents risques de sécurité. La société de sécurité maritime Ambrey Analytics rapporte que depuis que la crise a éclaté en mer Rouge il y a plus de trois mois, il y a eu 17 cas de navires saisis dans des incidents de piraterie basés en Somalie, dont 14 rien qu'entre décembre 2023 et janvier 2024. Le 13 mars, 20 personnes armées ont pris le contrôle d'un navire cargo après l'avoir assailli au large des côtes somaliennes.

Ces coûts supplémentaires – frais d'expédition plus élevés, frais de carburant et d'assurance – se refléteront dans une hausse potentielle des prix de plusieurs produits importés, y compris le pétrole, le gaz, le carburant et les denrées alimentaires, explique Élie Zakhour, ajoutant que cette augmentation varie en fonction de la valeur des marchandises. La Chine est en tête des importations libanaises avec 13,8 %  en 2022, soit 2,8 milliards de dollars, expédiant une partie importante des marchandises par le canal de Suez et la mer Rouge.

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Les produits alimentaires de base libanais importés d'Extrême-Orient, généralement vendus à des prix plus bas, devraient voir des hausses de prix « allant jusqu'à 15 % », selon Hani Bohsali. Ces produits alimentaires comprennent « le riz, les céréales, les haricots, les conserves, le poisson, entre autres. Environ 70 % des importations de riz proviennent d'Extrême-Orient – Chine, Thaïlande, Pakistan et Inde. La plupart des conserves de poisson proviennent de Thaïlande et du Vietnam ».

En parallèle, les articles avec des coûts d'expédition fixes par rapport à leur valeur peuvent connaître des augmentations de prix relativement plus faibles « jusqu'à 2 % ». Interrogé sur le fait que ces hausses pourraient déjà être ressenties sur les marchés libanais, Hani Bohsali a déclaré : « Il y a des informations contradictoires à ce sujet et aucune n'est basée sur des chiffres réels. Il n'y aura pas de pénurie (de denrées alimentaires) à condition que le port et l'aéroport (de Beyrouth) restent ouverts », rassure-t-il. A contrario, les navires arrivant d'Europe n'ont pas été affectés par les tensions en mer Rouge, rappelle Omar Itani.

Le secteur agricole durement touché

Du côté des exportations, et plus particulièrement celles du secteur agricole, elles sont également affectées par les tensions en mer Rouge, car elles dépendent fortement de cette route, notamment en raison de l'embargo saoudien sur la route terrestre entre le royaume et le Liban, après que ses douanes ont découvert plus de 5,3 millions de pilules de Captagon cachées dans une cargaison de grenades en 2021. Et l'Arabie saoudite constitue un point de transit pour les camions de fruits et légumes libanais vers les pays du Golfe.

« Le Liban exporte chaque année environ 250 à 350 tonnes de produits agricoles – agrumes, pommes de terre et fruits d'été– notamment vers les pays du Golfe, le Qatar, Bahreïn, Mascate, les Émirats arabes unis et le Koweït », détaille Ibrahim Tarchichi, chef de l'Association des agriculteurs de la Békaa, soulignant que « l'exportation est une nécessité absolue pour les agriculteurs car elle leur fournit le capital qui leur permet de continuer la production ».

Les Émirats arabes unis arrivent en tête de la liste des partenaires d'exportation du Liban, représentant 23,3 % du volume total de ses exportations (2022). Avec des expéditions prenant beaucoup plus de temps pour atteindre leurs destinations, la qualité des produits périssables est compromise, ce qui peut entraîner des pertes importantes pour les agriculteurs, ajoute Ibrahim Tarchichi, qui ont également été affectés par l'augmentation des coûts d'expédition.

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Cela étant, le Liban n'exporte pas beaucoup de produits en hiver. « Nous envoyons ce qui reste de nos pommes de terre, raisins, pommes, explique Ibrahim Tarshishi. Les agrumes, qui poussent abondamment au Liban pendant cette saison, sont les produits exportés les plus affectés en ce moment. » Cependant, « nous n'avons pas de grandes quantités pour nous lamenter pour le moment », a-t-il ajouté.

Un fait confirmé par Omar Itani, qui a déclaré que les envois d'exportation ne sont pas bloqués dans les ports libanais en raison du retard et que « tout est normal ». « Le grand désastre dans le secteur agricole que nous craignons commencera en mai, lorsque la production augmentera », avertit Ibrahim Tarchichi.

Si plusieurs sociétés des pays du Golfe ont introduit des liaisons par camion comme celles de Bahreïn et de Dubaï vers Haïfa, réduisant considérablement les temps de transit, le Liban reste incapable de faire parvenir ses marchandises vers le Golfe via des routes terrestres en raison de l'embargo saoudien. « Les autorités au Liban devraient intervenir rapidement auprès de l'Arabie saoudite pour permettre le passage des camions de transit sur son territoire », appelle enfin Ibrahim Tarchichi.

Pendant que les combattants houthis du Yémen poursuivent et menacent d'intensifier leurs attaques contre les navires militaires et commerciaux en mer Rouge, alors qu’aucune trêve entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza n’a jusqu'à présent été conclue, le flux commercial international demeure perturbé. Le corridor maritime le plus critique du monde, passant par la mer Rouge et...

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