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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Surfant sur leur popularité régionale, les houthis exagèrent leur autonomie face à l’Iran

Désormais incontournables dans « l’axe de la résistance », les rebelles yéménites sont davantage liés à Téhéran qu’ils ne l’admettent, notamment sur la question des armes.

Surfant sur leur popularité régionale, les houthis exagèrent leur autonomie face à l’Iran

Un jeune Yéménite tient une fausse roquette lors d’une manifestation suite aux frappes des forces US et britanniques, à Sanaa, la capitale contrôlée par les houthis, le 12 janvier 2024. Mohammad Huwais/AFP

« Il est vrai que nous faisons partie de l’axe de la résistance avec la Syrie, le Liban, l’Irak et l’Iran, mais nos prises de décision sont autonomes. » Dans une interview récemment accordée au magazine Marianne, Mohammad al-Bukhaïti, cadre au sein des houthis, balaie les allégations selon lesquelles les rebelles yéménites agissent sous le contrôle de l’Iran, qui les forme, les finance et leur fournit des armes de plus en plus sophistiquées. Le responsable houthi joue sur le flou qui règne autour des relations entre Téhéran et son mouvement, qui restent difficiles à analyser en profondeur en raison d’un culte du secret au sein de ce dernier. « Il est faux de dire que les houthis sont parfaitement autonomes, tout comme il est faux de dire qu’ils sont subordonnés à Téhéran. C’est une organisation yéménite, férocement nationaliste », avance Thomas Juneau, spécialiste du Golfe et professeur associé à l’université d’Ottawa.

Le débat agite en tout cas les experts depuis des années, mais il a pris une tout autre tournure depuis le début de la guerre à Gaza, dans laquelle les houthis jouent un rôle de premier plan. En lançant quasi quotidiennement depuis novembre des attaques contre des navires en mer Rouge, s’attirant en retour les foudres des États-Unis et de leurs alliés, les insurgés agissent-ils dans leur propre intérêt et dans celui du Yémen ? Ou servent-ils davantage ceux de l’Iran ? La réponse est sans doute les deux, mais à des degrés différents et particulièrement complexes à définir.

Lien idéologique

La force de Hussein el-Houthi, l’ancien dirigeant du mouvement et frère du leader actuel, tué au combat contre les forces gouvernementales en 2004, est d’avoir su connecter le concept d’anti-impérialisme à l’idée d’une renaissance zaydiste, à une période de grogne populaire face à la coopération du Yémen avec les États-Unis dans leur guerre contre le terrorisme. Paradoxalement, cette initiative nationaliste a créé un terrain favorable au développement des relations avec l’Iran, qui a porté un intérêt croissant au groupe rebelle dès cette époque. « Outre d’éventuels sentiments de solidarité chiite fondés sur une origine historique commune et certains principes religieux partagés, qui sont particulièrement évidents dans les conférences de Hussein el-Houthi, ces récits anti-impérialistes constituent le principal lien idéologique avec l’Iran et le Hezbollah », écrivaient en 2022 les chercheurs Marieke Brandt et Alexander Weissenburger dans l’Encyclopaedia Islamica.

La République islamique a commencé à fournir des armes à Ansarullah dès la première intervention militaire saoudienne au Yémen en 2009, en soutien au régime de Ali Abdallah Saleh contre l’insurrection houthie. Téhéran y a vu au passage l’occasion de déstabiliser son rival saoudien. La relation irano-houthie est surtout montée en grade après la campagne destructrice de l’Arabie saoudite contre le Yémen en 2015.

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Téhéran a notamment permis aux houthis de gagner une autonomie partielle en leur apprenant à fabriquer certaines armes, notamment des missiles et drones de courte portée. « Certains drones à plus longue portée peuvent être produits localement, mais les Shahed, qui sont à mon avis les plus susceptibles d’avoir été utilisés, sont importés à grande échelle, soulignait Fabian Hinz, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies, dans nos colonnes en octobre dernier. Les systèmes utilisés pour cibler Israël jeudi ne comporteraient donc pas d’éléments majeurs de production locale. Cela dit, nous ne pouvons pas savoir s’ils ont été livrés avant l’accord de mars entre l’Arabie saoudite et l’Iran. » Une dépendance dont les houthis peuvent encore moins s’affranchir, alors que leur popularité a explosé depuis qu’ils multiplient les attaques en mer Rouge.

Fort d’une armée estimée entre 100 000 à 200 000 combattants, le mouvement recrute désormais à tour de bras. Ses attaques de missiles contre Israël, bien qu’interceptées avant dégâts, mais surtout ses agressions contre des cargos supposément liés ou se dirigeant vers l’État hébreu, puis les échanges de frappes désormais quasi quotidiennes contre des navires américains ont été loués dans toute la région. « Nous sommes dans une situation de frappes limitées américaines sans escalade, qui permettent aux houthis de mobiliser le sentiment antiaméricain et anti-israélien au Yémen et au Moyen-Orient. Tout cela sert les intérêts de l’Iran », souligne Thomas Juneau.

Plausible déni

Au vu de ces succès, et alors que le rôle de Téhéran dans la coordination des actions de « l’axe de la résistance » bénéficie du flou entourant son plausible déni, les houthis ont plus que jamais intérêt à revendiquer leur autonomie, eux qui ont tant accusé le gouvernement yéménite d’être à la solde des Saoudiens et des Émiratis. Mais certains événements récents indiquent que l’influence de la République islamique sur les houthis est plus importante que ces derniers veulent l’admettre. Leur réponse aux séries de frappes américano-britanniques contre des sites leur étant attribués au Yémen depuis près d’un mois a pris la forme de représailles particulièrement mesurées de leur part, eux qui ont souvent prouvé qu’aller au combat contre des adversaires plus puissants ne les effrayait pas.

De récents rapports suggèrent par ailleurs une pression de Téhéran en coulisses, afin d’éviter l’escalade régionale. Selon une source iranienne citée par le site d’information Middle East Eye, les États-Unis ont contacté l’Iran via un canal saoudien, l’informant qu’ils comptaient frapper les houthis au Yémen, tout en l’exhortant à restreindre ses alliés pendant l’attaque. Washington a précisé que les frappes resteraient mesurées au départ, mais qu’en cas de réaction forte de l’Iran, une réponse américaine d’ampleur suivrait, rapporte la même source. L’administration Biden a également exhorté la Chine à faire pression sur la République islamique afin qu’elle contienne les attaques de ses alliés en mer Rouge, selon des responsables américains, a rapporté le Financial Times le 24 janvier. Un souhait qui semble avoir été entendu, puisque Pékin a demandé à Téhéran d’aider à freiner les attaques contre des navires autour du détroit de Bab el-Mandeb, a relayé Reuters deux jours plus tard.

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« Il est plausible (que l’Iran fasse pression sur les houthis) dans le sens où Téhéran veut éviter un tel embrasement, et que les houthis semblent prêts à accepter un degré de violence avec les États-Unis un peu plus élevé que l’Iran, note Thomas Juneau. Mais ce sont avant tout des partenaires, avec des objectifs globalement alignés. » L’influence iranienne sur les houthis est certes incomparable à celle exercée au sein des milices chiites en Irak, qui ont noyauté l’armée et le Parlement, ou du Hezbollah libanais qui prend directement ses ordres du guide suprême iranien. Mais il semble qu’en termes de politique régionale, l’Iran ait au moins facilité, si ce n’est dicté, l’intégration du groupe au sein de « l’axe de la résistance ». Le parti de Dieu a soutenu militairement les houthis au Yémen pendant la guerre de 2015, et ces derniers possèdent un bureau à Beyrouth au même titre que le Hamas et d’autres éléments de « l’axe de la résistance ». Dans ses discours filmés, le chef du mouvement Abdel Malek el-Houthi reprend de plus en plus les codes visuels des interventions de Hassan Nasrallah, mêlant sourires et fermeté, et arborant une bague en argent et en onyx au petit doigt.

Il existe par ailleurs peu de doute sur le fait que les houthis se soient engagés dans des négociations de paix avec l’Arabie saoudite sans concertation avec leur allié iranien, même si l’initiative a été présentée comme 100 % saoudo-houthie. Les pourparlers ont en effet été entamés après la réconciliation entre Riyad et Téhéran, signée le 10 mars dernier sous l’égide de Pékin. « Les houthis et les Iraniens sont mariés depuis vingt ans et sont sur la même longueur d’onde, illustre l’analyste yéménite Hisham al-Omeisy. Donc lorsqu’ils travailleront sur les clauses de l’accord final, ils veilleront à ce qu’il n’y ait rien qui puisse contrarier les Iraniens. »

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