Réunis en urgence au palais présidentiel de Baabda, les hauts responsables libanais concernés par la décision prise par l’Arabie saoudite de « suspendre » ses importations de fruits et légumes en provenance du Liban ont exhorté hier les dirigeants du royaume à revenir sur leur sentence. L’Arabie saoudite avait annoncé vendredi cette décision après la découverte d’une cargaison de Captagon dissimulée dans des grenades en provenance du Liban. Riyad avait alors affirmé que des cargaisons de fruits et légumes étaient utilisées pour faire de « la contrebande de drogue » et avait accusé Beyrouth d’inaction. La suspension des importations, avaient ajouté les autorités saoudiennes, restera en vigueur « jusqu’à ce que les autorités libanaises fournissent des garanties suffisantes et fiables sur les mesures permettant de mettre fin aux opérations de contrebande systématique ciblant le royaume ». Présidée par le président Michel Aoun, en présence du Premier ministre sortant Hassane Diab, de plusieurs ministres, du commandant en chef de l’armée, des chefs des organismes de sécurité, des responsables des douanes et de représentants de syndicats d’agriculteurs, la réunion a été consacrée à la grande question de la contrebande à partir du Liban, ainsi qu’aux conséquences catastrophiques de la décision saoudienne pour les exportations libanaises. En quelque sorte, elle est venue confirmer la scandaleuse incompétence de l’administration libanaise dans la lutte contre le trafic de drogue, pour ne rien dire des complicités internes dont le trafic a sans doute bénéficié.
Parmi les responsables réunis, on redoute que le terme de « suspension » utilisé par les dirigeants saoudiens ne soit qu’un euphémisme pour « fermeture durable », indiquent des sources bien informées. Au terme de cette réunion, le ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a été officiellement chargé d’engager des contacts avec son homologue saoudien, à des fins d’information et d’explication. M. Fahmi tente en particulier de sauver 100 tonnes de fruits et agrumes bloqués dans des camions à la frontière saoudienne.
Diab prône la coopération
À l’issue de la réunion de Baabda, un communiqué a été publié dans lequel les responsables expriment le souhait du Liban « de voir l’Arabie saoudite revenir sur sa décision » et assurent de sa volonté d’entretenir avec le royaume « les relations les plus fraternelles ». Dans son intervention personnelle, le Premier ministre sortant avait tenu à rappeler à l’Arabie saoudite et aux États du Golfe comme le Koweït, Bahreïn, le sultanat d’Oman et les Émirats arabes unis, qu’on dit tentés de l’imiter, « que l’arrêt de l’importation de fruits et légumes du Liban n’empêchera pas (les réseaux de trafiquants) de trouver d’autres voies pour leur marchés illicites ». Hassane Diab a donc proposé une « coopération » Liban-Arabie saoudite dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Toutefois, le chef de l’État devait offrir à l’Arabie saoudite un gage plus concret de la bonne volonté du Liban, en s’indignant du retard mis par la direction des douanes à acheter et à installer des « scanners » de télédétection pour contrôler les conteneurs qui passent par le port de Beyrouth, malgré une décision en ce sens prise en juillet 2020, et la publication d’un décret à cet effet. Le chef de l’État a exigé que l’achat de ces appareils soit finalisé, quelle que soit la situation du Trésor. La décision d’achat des scanners avait été prise un mois avant les explosions qui ont dévasté le port et les quartiers portuaires (4 août 2020), et révélé le scandaleux état de sous-équipement de cette porte d’entrée du Liban laissée sans surveillance appropriée. La décision est désormais aux mains de la direction des adjudications. La chaîne de télévision al-Arabiya, citant sa consœur al-Hadath, avait rapporté que la drogue arrivée au Liban repartait du port de Beyrouth sans inspection, sous prétexte que le port n’est pas équipé de scanners pour le moment.
Quatre arrestations
Selon des premiers éléments de l’enquête des douanes, cités par notre correspondante Hoda Chedid, la cargaison de grenades truffées de Captagon avait été introduite au Liban depuis la Syrie avant d’être réexportée vers le royaume en tant que marchandise libanaise. La cargaison, après être arrivée au Liban, avait été estampillée comme un produit libanais par une société libanaise fictive qui dispose d’un certificat du ministère de l’Agriculture, avant d’être réexportée vers l’Arabie saoudite, selon une source proche de l’enquête. Quatre personnes liées à cette société fictive ont été arrêtées, d’après notre correspondante. Selon des informations de notre correspondante dans la Békaa Sarah Abdallah, un entrepôt de la localité de Taanayel, dans la Békaa, a été placé sous scellés sur ordre du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, dans le cadre de cette affaire.
L’enquête montrera s’il existe des complicités au niveau des ministères de l’Agriculture, de la Chambre de commerce et d’industrie de la Békaa, ou des Affaires étrangères, stations administratives nécessaires pour l’obtention de l’attestation d’origine. L’enquête s’orientera aussi vers les ministères de l’Économie et les douanes. Elle a été confiée au bureau des renseignements des FSI, et sera coiffée par Ghassan Oueidate. La cargaison de grenades contenait plus de 5 millions de comprimés de Captagon.Les premiers éléments de l’enquête semblent confirmer ce que Ibrahim Tarchichi, le président du rassemblement des agriculteurs et paysans de la Békaa, avait affirmé dès vendredi dernier, à savoir que les grenades saisies en Arabie saoudite ne viennent pas du Liban, mais de Syrie. « Ce n’est pas la saison des grenades au Liban et de toute manière, nous n’avons jamais exporté ce fruit. Nous en importons pour le marché local depuis 20 ans », a-t-il dit. La décision saoudienne porte incontestablement un coup dur au secteur agricole local, sachant que le pays a exporté pour 29,3 millions de dollars de fruits et légumes vers l’Arabie saoudite en 2020, selon le site des douanes libanaises. « Cette décision nous est tombée dessus comme un couperet. Elle nous prive de l’exportation de plus de 100 000 tonnes de produits tous les ans », a affirmé Ibrahim Tarchichi. « Il n’est pas interdit de penser que la suspension, par Riyad, des importations de fruits et légumes du Liban ait une dimension non seulement sécuritaire, mais aussi politique, et soit liée à la formation d’un nouveau gouvernement dont la déclaration ministérielle comprendrait spécifiquement l’engagement du Liban à contrôler ses frontières légales et illégales », indique, de son côté, notre correspondant Mounir Rabih. Et d’ajouter que, même en l’absence de toute dimension politique, « la décision saoudienne sera difficile à lever sans une période probatoire ». En 2011 déjà, des officiers saoudiens venus au Liban avaient exigé un meilleur contrôle de ses frontières, rappelle notre correspondant.
Rien que des gesticulations pour ne rien dire. Tout le monde sait qui est derriere tout cela. Mais personne n'ose le dire et surtout personne n'osera s'y opposer. Donc, l'indignation du president ne vaut pas un pet de lapin.
17 h 24, le 27 avril 2021