Le deuxième anniversaire de l'invasion de l'Ukraine par la Russie rappelle aux Européens que la sécurité du continent ne peut pas être considérée comme acquise. Cependant, cette logique s’applique aussi à grand son voisinage : alors que la guerre à Gaza fait rage, l'Union européenne (UE) en tant qu'institution, et l'Europe en tant que continent, doivent reconnaître que de sérieux impératifs de sécurité pour eux découlent également de ce conflit.
Lors du « Snow Meeting » d'experts en sécurité organisé par la Lituanie en janvier, le ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis, a déclaré : « Nous voyons d'autres tyrans et terroristes s'enhardir lorsqu'ils nous voient nous efforcer d'équiper l'Ukraine pour qu'elle puisse gagner. » Il avait raison. Nombreux sont ceux qui ont tiré les mauvaises leçons de ce confit. Et un même constat peut être tiré de l’autre côté de la Méditerranée, avec des ramifications considérables sur la sécurité immédiate de l'Europe ainsi que sur sa crédibilité qui risquent de s'intensifier à moyen et long terme à long terme.
Cycles d'escalade
Le conflit à Gaza ne se limite plus à l’enclave, où environ 25 000 à 30 000 Palestiniens, pour la plupart des civils, ont été tués par les bombardements israéliens depuis le 7 octobre. La possibilité que les Israéliens parviennent à entraîner le Hezbollah et le Liban dans un conflit plus large n’est toujours pas écartée ; Jérusalem-Est et la Cisjordanie sont également confrontées à une crise importante, en raison de l'occupation et des violences commises par les colons, qui ont fait des centaines de morts parmi les Palestiniens ; et, plus largement, au moins la moitié des États qui relèvent de la politique européenne de voisinage de l'UE peuvent potentiellement être touchés plus ou moins directement par ce qui se passe au Moyen-Orient. Au-delà de Gaza et du Liban, les attaques menées en mer Rouge par les houthis, ont eu des répercussions majeures sur l'avenir du commerce maritime international, et par conséquent sur la sécurité économique de l'Europe. Les États-Unis et l'Iran ont également vu leur propre conflit s'intensifier et s'élargir, mais sur les territoires syrien et irakien.
Si le conflit de Gaza se régionalise, ce qui est tout à fait possible en raison des conflits en Irak et des interventions déstabilisantes de l'Iran, ainsi que des représailles américaines, l'Europe pourrait être par conséquent entraînée dans des cycles d'escalade dont elle paierait le prix.
L’UE est confrontée à un autre problème, qu'elle a elle-même créé, et qui concerne sa crédibilité auprès de ses partenaires internationaux. Si certains États européens, comme l'Irlande, la Belgique et l'Espagne, ont exprimé des sentiments similaires à ceux du reste de l'opinion internationale sur le conflit, et voté aux Nations unies en accord avec ce principe, d'autres ont suivi une voie différente. L'Allemagne, en particulier, a fermement soutenu Israël, au point d'intervenir en son nom devant la Cour internationale de justice, après que l'Afrique du Sud eut accusé Israël de perpétrer un génocide à l'encontre des Palestiniens.
Crédibilité
On ne saurait surestimer à quel point ce positionnement, perçu comme un soutien défaillant au droit international et un ordre mondial équitable, a mis à mal la crédibilité de l'Europe en particulier, et de l'Occident en général. Pour la plupart des nations du monde, si les attaques du Hamas du 7 octobre étaient horribles et injustifiées, elles ne sont pas venues de nulle part, mais se sont déroulées dans le contexte de l'occupation israélienne des territoires palestiniens qui dure depuis des décennies. Autrement dit : ils ne considèrent pas le Hamas comme l'équivalent de la Russie et Israël comme l'équivalent de l'Ukraine, mais plutôt Israël comme l'équivalent de la Russie et les Palestiniens comme l'équivalent de l'Ukraine.
Les Européens ont un intérêt profond à promouvoir un ordre mondial fondé sur le droit international. S'ils sont perçus comme ayant un comportement sélectif et, pire encore, comme leur allié israélien alors que celui-ci viole de manière flagrante le droit international à l'encontre d'un peuple reconnu comme étant militairement occupé, il leur sera difficile d'imposer à d'autres dans le monde une norme universelle.
Aussi différents que soient ces défis, l'Europe devrait aborder ces situations en défendant ses propres valeurs. Cette approche serait non seulement conforme aux objectifs déclarés de l'UE en matière de promotion et garanties des droits de l’homme et de l’État de droit (article 3 du traité de Lisbonne) mais aussi aux intérêts européens sur le plan international. Une politique européenne cohérente et conforme aux valeurs européennes, qui inclurait le soutien au droit international, se traduirait par un effort commun en faveur d'un cessez-le-feu permanent à Gaza, tout en prenant au sérieux une solution politique globale pour l'occupation israélienne.
Le premier est une étape initiale simple pour atteindre le second, qui est beaucoup plus complexe. Depuis de nombreuses années, l'accent est mis sur une solution à deux États. Pourtant, les Israéliens ont clairement fait savoir qu'ils ne voyaient pas la création d'un État palestinien à l'horizon. Mais cela ne doit pas être un obstacle pour les responsables politiques européens. L'Union européenne n'est peut-être pas en mesure d'exercer le même type de pouvoir que les États-Unis, mais dans l'état actuel des choses, elle ne fait que suivre les pas de Washington, comme en témoigne le récent débat sur l'opportunité d'imposer des sanctions à une poignée de colons israéliens : les colonies israéliennes sont, par définition, illégales, et sanctionner quelques colons violents plutôt que l'ensemble de l'entreprise de colonisation et ceux qui la facilitent semble étrange.
Une telle approche rendra les relations avec Israël plus complexes au cours de la période intérimaire, en particulier lorsque l'extrême droite jouera un rôle plus important au sein du gouvernement israélien. Mais elle renforcera la sécurité et la crédibilité de l'Europe aujourd'hui et pour de nombreuses années à venir. Ce n'est pas en trahissant son agence ou ses valeurs que l'on servira les intérêts de l'Europe à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières.
Par Hisham A. HELLYER, chercheur invité au Carnegie Endowment for International Peace.
Ce texte est la traduction synthétique d’un article disponible en anglais et en arabe sur le site du Carnegie MEC.
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14 h 22, le 01 mars 2024